Tandis qu’une macronite aiguë continue de régner dans les médias français, l’Europe bouge. Aujourd’hui, l’Autriche vote. Le parti autrichien de la liberté, l’un de ces partis « populistes » qui déchaînent la vindicte des bien-pensants, le FPÖ va sans doute obtenir 25% des voix. Il devrait aussi être distancé par l’ÖVP, le parti conservateur, requinqué par son nouveau dirigeant, Sebastian Kurz, l’actuel Ministre des Affaires Etrangères de la coalition « socialistes-conservateurs » menée par le social-démocrate Christian Kern. Les résultats attendus laissent présager une nouvelle coalition emmenée cette fois par les conservateurs, mais avec le parti que l’on dit d’extrême-droite. Bien que chaque pays européen ait sa propre configuration politique, ce qui rend l’hypothèse de listes européennes transnationales, formulée par notre génie élyséen, complètement farfelue, la traduction des résultats les plus probables serait en France la suivante : le parti socialiste, qui détient actuellement la Chancellerie, s’effondre. Il avait été éliminé au premier tour de l’élection présidentielle. Sur ce point, les deux pays se ressemblent. Il faut préciser toutefois que le SPÖ (le PS) n’exclut pas complètement une alliance avec le FPÖ (le FN). En fait, la future majorité s’appuiera plutôt sur l’ÖVP et le FPÖ. Cette fois la traduction devient plus difficile. Cela signifierait en France que le Front National, après avoir manqué de très peu l’élection présidentielle, serait devancé par Les Républicains, qui auraient obtenu ce résultat en effectuant un net virage à droite, notamment sur les questions migratoires, sous la houlette d’un tout jeune dirigeant… Le parti de droite et celui « d’extrême-droite » s’apprêteraient logiquement à gouverner ensemble. En France, une telle situation demeure, pour l’instant, impensable. Si l’ÖVP caracole en tête, mené par Sebastian Kurz qui, en raison de ses 31 ans est parfois comparé à Macron, Laurent Wauquiez, qui paraît imiter Kurz pour le virage à droite, freine dans la courbe en maintenant l’interdit sur tout rapprochement avec le Front National. Kurz sera sans doute le prochain Chancelier. Wauquiez prendra la tête d’un parti encore puissant au niveau local, majoritaire au Sénat, mais humilié à la Présidentielle et aux Législatives, profondément divisé, jusqu’à être menacé d’éclatement, et qui se laisse devancer dans l’opposition par l’extrême-gauche.
En fait, une fois de plus, il faut constater les différences irréductibles qui opposent les Etats européens sur le plan politique. Ils n’ont pas la même histoire. Les peuples n’ont pas des mentalités identiques. Les Autrichiens comme la plupart des pays catholiques issus de l’ancien Empire des Habsbourg ont une forte conscience identitaire. Celle-ci n’est pas contrariée aussi fortement qu’en Allemagne, toujours plongée dans le remords mémoriel. L’Autriche est la première annexion du Reich. C’est pourquoi les scores électoraux du FPÖ sont très supérieurs à ceux de l’AfD, même si dans les deux pays riches et vieillissants, la vague migratoire est aujourd’hui ressentie par beaucoup comme une menace. Il y a une autre raison, c’est l’histoire même du FPÖ. A l’origine, c’est un parti libéral qui participe déjà, comme tel, au gouvernement avec les sociaux-démocrates en 1983 ! Avec l’arrivée à sa tête de Jörg Haider, il vire au populisme, demeure libéral sur le plan économique, mais devient euro-sceptique et identitaire, opposé à l’immigration. Cela ne l’empêche pas de participer à des gouvernements régionaux et de les diriger parfois, avec les conservateurs, mais aussi les sociaux-démocrates. C’est dire à quelle point l’Autriche est une autre planète ! Lorsque le FPÖ revient au pouvoir, avec le Chancelier ÖVP Wolgang Schüssel, entre 2000 et 2007, la France de Chirac et de Jospin lance l’anathème. 14 pays mettent l’Autriche en surveillance. Sept mois plus tard, ils constatent que leurs préventions sur la sauvegarde de la démocratie en Autriche étaient parfaitement injustifiées.
Dans l’évolution politique actuelle de l’Europe, déclinée différemment dans chaque pays, la tendance dominante s’oriente à droite. C’est elle qui a gagné en Allemagne. La CDU-CSU a remporté les élections, mais avec un score décevant. Les socialistes les ont nettement perdues. L’extrême-droite de l’AfD a fait une percée en entrant au Bundestag. Les libéraux du FDP y sont revenus en force. Mais la Chancelière, qui se refuse à tout rapprochement avec l’AfD, assez semblable au FPÖ autrichien, devra trouver un accord difficile avec les écologistes et les libéraux. Ce sera une coalition arithmétique plus que politique. Quant à la France qui a toujours tendance au contre-temps, elle a trouvé sa grande coalition de centre-gauche, sociale-libérale et progressiste, avec un parti qui a eu la naissance et la croissance d’un champignon. L’alliance impossible entre les partis a laissé place à un nouveau parti qui a réuni les individus derrière un individu. Les partis laminés rejetés de part et d’autre, le PS et LR sont tous deux confrontés à un concurrent qu’ils jugent infréquentable, France Insoumise et Front National. Ce dernier, qui, loin de marier souveraineté, identité et libéralisme, avait eu tendance à « socialiser son discours », apparaissait lui-même vouloir s’éloigner de la ligne des autres partis populistes. Il s’est aperçu trop tard de son erreur, et traverse aujourd’hui une crise. Peut-être est-il temps de mettre un terme à la manie français d’être à contre-courant. En 1981, les Français, dont je ne suis pas, ont élu Mitterrand quand les Britanniques avaient choisi Thatcher. Nous payons encore ce contre-sens historique. Il est bon de cultiver son identité. Il est stupide de nager contre la vague en croyant avec arrogance que c’est elle qui doit inverser son mouvement. Il est possible que l’Autriche rejoigne le groupe de Visegrad. Il est probable que le souci de l’identité et de la souveraineté nationales s’accroisse en Europe. Si la majorité française actuelle fonce néanmoins, tête baissée, vers l’Europe fédérale, il serait salutaire que l’opposition de droite soit unie et ferme sur ces questions.