Dans le brouillard médiatique entretenu par la « terreur » du covid, la scène internationale braque ses projecteurs une fois de plus sur le proche-Orient si compliqué, au point que le président a du mal à se faire entendre au Liban. Mais, pour compenser, selon son habitude, il écrase de son mépris les « Amish » et leurs lampes à huile face au progrès de la 5G. C’est cette notion de progrès qui est au coeur des contradictions suicidaires de notre pays. Il y a les partisans du « progrès » irréversible et généralisé, scientifique, technique, moral et sociétal. M. Macron en fait partie, avec une mince couche d’écologie électoraliste et démagogique, le tout enveloppé dans l’idée que les mesures opposées au réchauffement climatique, à l’épuisement des ressources naturelles et à l’appauvrissement de la biodiversité contribueront à l’innovation et à un retour de la croissance. A sa gauche, il y a ceux, verts ou rouges, qui sont ulcérés par les avancées technologiques et veulent même effacer celles qui ont contribué à améliorer notre façon de vivre, comme l’automobile ou l’électricité produite par l’énergie nucléaire. Mais les mêmes sont acharnés à promouvoir les prétendues « avancées » sociétales, la destruction systématique de notre modèle familial et de notre identité nationale. A sa droite, il y a surtout la confusion et la modération qui masquent toute idée nette sur le sujet : il faut progresser, mais pas trop. « Encore un instant, monsieur le bourreau », semble dire le député de « droite » qui s’oppose à l’élargissement de la PMA aux femmes seules tout en sachant que la GPA pour les « mâles » sera pour le prochain mandat. La loi bioéthique est une machine infernale et sans retour.
Pour y voir clair, il faut faire preuve du bon sens cartésien. Le progrès scientifique et technique est une évidence. Les découvertes et les inventions réalisent en partie le projet de rendre « l’homme maître et possesseur de la Nature ». Encore faut-il préciser que toutes les sciences n’avancent pas à la même vitesse selon le niveau de complexité, de fluidité, ou de charge idéologique de leur objet. On se rend compte avec l’expérience actuelle de la crise sanitaire qu’il est plus difficile de lutter contre un nouveau virus mutant que de voyager dans l’espace. La rupture est qualitative quand on passe aux sciences dites humaines qui sont souvent peu scientifiques et parfois inhumaines. C’est pourquoi il n’y a aucun rapport entre les progrès techniques qui sont objectifs et les « avancées » sociétales qui peuvent parfaitement être des reculs mortifères. Or, le phénomène sans doute le plus important de ces dernières années est lié au contre-sens qui confond les uns et les autres. Comme il se produit dans des domaines apparemment différents, on n’en perçoit pas l’unicité.
Le « progrès » sociétal repose sur un schéma assez simple : la liberté et l’égalité entre les humains dépendront de la fin des dominations. Le sexe dominant, la race dominante, la religion dominante, la pratique sexuelle dominante tirent leur pouvoir de « stéréotypes », c’est-à-dire de préjugés rhabillés de neuf par ce mot pour faire plus sérieux. L’émancipation et l’égalité exigent d’extirper ces préjugés de nos esprits, puis une fois ces esprits libérés, de changer la loi afin que la femme soit l’égale de l’homme, le noir l’égal du blanc, le musulman l’égal du catholique, l’homosexuel l’égal de l’hétérosexuel… Cette idéologie plutôt sympathique n’a rien de scientifique. Elle s’appuie sur des savoirs qui vont d’une relative connaissance biologique, génétique, historique, sociologique, psychologique, historique jusqu’à des délires idéologiques comme la « théorie du genre ». Elle ignore deux choses : d’abord, les différences objectives qui sont distinctes des inégalités juridiques, en second lieu le fait que le « préjugé » peut-être le produit efficace d’une tradition au profit du groupe. Certes, la conquête de l’égalité juridique entre les sexes est positive, mais les fonctions paternelle et maternelle, par exemple, doivent demeurer distinctes parce que biologiquement et sans doute psychologiquement les sexes sont différents. De même, il n’y a rien d’absurde pour une société à privilégier une religion qui garantit une certaine cohérence des comportements de ses membres.
Or, on se rend compte que le point culminant de l’égalité étant atteint, un étrange mécanisme se met en branle : ce que Chantal Delsol nomme « l’inversion normative », qui est apparue revêtue de la notion apparemment généreuse de « discrimination positive ». Il ne suffit plus que le dominant cesse de dominer, il faut qu’il s’écrase, qu’il s’efface, qu’il soit à son tour dominé. Il faut qu’un enfant ne puisse contester la maternité d’une de ses « deux » mères résultant de la PMA ouverte aux lesbiennes, tandis que le fils de l’homme pourra toujours contester la paternité de son père. Il faut que le blanc s’agenouille devant le noir, que la laïcité inaugure les mosquées et ignore les églises, et que l’homosexualité soit parée de toutes les vertus parentales tandis que l’hétérosexualité serait vouée à l’inceste et au viol. On voit bien que dans cette dérive le prétendu progrès n’est plus qu’une absurde et suicidaire soif de revanche. Cette pensée pathogène a été alimentée par ce que les Américains appellent la French Theory c’est à dire la littérature des « déconstructeurs » français. Il est temps d’en dénoncer le néant intellectuel et le nihilisme où elle nous mène.