Tribune libre de Christian Vanneste*
Les incidents (16 policiers blessés, quand même !) d’Amiens-nord, suscitent étrangement chez moi un vertige proustien. Sur les échasses du temps, et dans le brouillard des commentaires inconsciemment récurrents, resurgissent les ombres des « Politiques de la Ville » successives, les fantômes des lois sociales ou répressives et des débats qui les précédaient, les silhouettes des quartiers et des villes qui ont à un moment figuré dans l’actualité à la lueur des brasiers, des écoles incendiées et des voitures brûlées.
Que de temps perdu, et de solutions qui n’ont rien résolu !
Selon la logique absurde de la discrimination positive, on a d’abord pensé que ces quartiers difficiles, dont le nombre n’a cessé de croître (2500 !), condensaient les problèmes de notre société, qu’ils soient économiques (le chômage), sociaux (% de RSA), ou d’ordre public (taux de délinquance). On a donc bâti la « Politique de la Ville », à coups de renforcement des moyens, en ciblant tour à tour les différentes problématiques et les solutions diverses, de la Zone d’Éducation Prioritaire à la Zone de Sécurité Prioritaire, en passant par la Zone Franche Urbaine.
Si les problèmes apparaissent d’abord comme sociaux, il faudra renforcer les subventions et le clientélisme associatif, dans la perspective de l’intégration, avec le double entonnoir du recueil des aides auprès des Ministères et des Collectivités et de leur saupoudrage sous la houlette du FAS, devenu Fasild, puis ACSE. Quand on ne change pas une politique qui perd, on peut au moins changer de nom pour donner l’illusion d’avancer.
Si les obstacles sont essentiellement liés à l’urbanisme, s’ils dépendent de la pierre, alors il faudra raser et reconstruire. GPU, GPV,ORU, de l’ Habitat et Vie Sociale de Barrot à l’ANRU de Borloo, en passant par Banlieue 89 de Castro : j’entends encore Simone Veil me dire en montrant une photographie aérienne du quartier de la Bourgogne à Tourcoing : “Vous voyez, ce quartier est isolé, replié sur lui même. Il faudra casser cette muraille de bâtiments et ouvrir ». J’entends encore Jean-Louis Borloo vanter les mérites de l’Agence de Rénovation Urbaine. On allait voir ce qu’on allait voir ! On a vu, comme d’habitude, la même dépense forcenée d’argent public, la même lenteur dans la mise en œuvre, la même dispersion des actions et la même dilution des responsabilités.
Si l’on donne la priorité à l’économie, il faudra alors créer des emplois, favoriser l’implantation d’entreprises, et c’est le chemin suivi par Éric Raoult avec les Zones Franches Urbaines, dans le cadre du Plan de Relance de la Ville : 44 quartiers privilégiés fiscalement, pour cinq ans. Aujourd’hui : 751 Zones Urbaines Sensibles, 416 Zones de Redynamisation Urbaine, et 100 ZFU, pérennisées et augmentées au fil du temps, des contrats de cohésion et des pactes pour la ville, dans une inflation sémantique et financière qui prouve à chaque instant le niveau hallucinant des talents sortis de Sciences Po et de l’ENA.
Enfin, si l’on en vient à la question de la sécurité, alors ce sera la valse (si j’ose dire !) de la police de proximité qui joue avec les jeunes des cités au basket, et qui dépasse, record établi, les quatre millions de crimes et délits, et de la police d’investigation, qui, en s’attaquant à l’économie souterraine qui alimente à l’évidence la délinquance de banlieue, a montré toute son efficacité à Marseille… Les UTEQ avaient constitué une élégante motion de synthèse. L’occupation des halls d’immeuble, avec Sarkozy en 2003, les bandes violentes avec Estrosi–Ciotti en 2010 avaient fait naître quelques espoirs vite noyés dans les méandres judiciaires. Le sentiment diffus de bavardage, voire de disque rayé, d’un bruit de fond sans résultat tangible provoque aujourd’hui la nausée.
Un peu de bon sens cartésien permettrait sans doute de tracer son chemin dans cette purée de pois. Je proposerais trois règles.
D’abord, considérer que l’économie est un tout. Tant que la France aura choisi le chômage fondé sur la dépense publique et l’assistance, sur le coût du travail et l’emploi public, certains quartiers connaîtront des pics. La réforme structurelle de notre économie est le seul moyen de retrouver le plein emploi : TVA sociale (il est bien tard), Comptes Notionnels pour les retraites, abrogation des lois sur le temps de travail, allègement général de la fiscalité et des charges sur l’activité, la propriété et l’épargne.
Ensuite, cesser de dilapider l’argent public dans des opérations d’urbanisme redondantes, pour se concentrer sur deux objectifs : en premier lieu améliorer la qualité économique et écologique des bâtiments et leur accessibilité, et, en second lieu, instaurer une gestion singapourienne de l’offre de logements, avec propriété privée de l’habitat social, mais encadrement public de la répartition de la population afin d’éviter les ghettos : responsabilité des occupants en bas, responsabilité du Bien Commun, en haut.
Enfin, en matière de sécurité, plutôt que de voter des lois qui ne sont pas appliquées, il faut une réforme profonde la Justice, qui impliquerait d’abord l’élection des magistrats, tenus de rendre des comptes à leurs électeurs, et qui devrait (enfin !) accroître l’efficacité et la rapidité de son action, grâce notamment à l’adaptation et à la diversification des peines. Je pense, par exemple, aux Travaux d’Intérêt Général, insuffisamment mis en œuvre dans notre pays.
Faute d’une action plus large et plus profonde que la politique-ritournelle de la Ville, menée depuis trente voire quarante ans, de nouvelles cités prendront demain la place de Vénissieux, Vaulx-en-Velin ou Amiens.
*Christian Vanneste est un ancien député UMP du Nord.
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