L’Histoire est-elle linéaire ? Est-elle cyclique ? Si le progrès scientifique et technique est une évidence, non sans conséquences néfastes parfois, le progrès politique ou moral est en grande partie illusoire. La marche vers plus de démocratie, plus d’égalité, plus de liberté est apparue comme le sens de l’Histoire lorsque le bloc soviétique s’est écroulé tandis que la plupart des pays, la Chine en tête, s’inscrivaient dans les échanges mondialisés du marché capitaliste. En 1992, Francis Fukuyama publiait « La Fin de l’Histoire et le Dernier Homme » qui voulait annoncer la victoire de la démocratie libérale et l’uniformisation du monde sous ce modèle de société. « La démocratie libérale reste la seule aspiration qui relie différentes régions et cultures tout autour de la terre. En outre, les principes économiques du libéralisme – le marché libre – se sont répandus et ont réussi à produire des niveaux sans précédent de prospérité matérielle… » y écrivait-il. Il constatait que « la croissance de la démocratie libérale et du libéralisme économique qui l’accompagne a été le phénomène macropolitique le plus remarquable de ces cent dernières années. » Il voulait voir dans cette évolution une « révélation de la nature humaine » et non le fruit du hasard ou de la domination d’une civilisation sur les autres.
La circulation mondialisée des idées par le développement des moyens audio-visuels et plus encore par le déploiement de la « toile » est le support de cette évolution. Depuis Mac Luhan, on sait que les hommes pensent comme ils communiquent. Mais un pays joue manifestement un rôle déterminant dans ce processus : les Etats-Unis d’Amérique. Aussi n’est-il pas étonnant qu’ils aient voulu l’accélérer politiquement par le biais d’ingérences directes ou indirectes dans d’autres d’autres pays, et qu’ils soient constamment désireux d’ouvrir, au moyen de traités, de nouveaux marchés au libre-échange. L’intervention brutale en Irak de 2003 comme le Traité transatlantique (Tafta : Transatlantic Free Trade Area) sont les deux versions extrêmes de cette stratégie, le versant dur à la Bush, et le doux à l’Obama. Entre les deux, de multiples conflits locaux sont également liés aux ambitions américaines, la Syrie ou l’Ukraine, par exemple. Un constat s’impose : dans les deux cas, c’est l’échec. D’une part, la logique de la mondialisation politique et économique peut masquer les intérêts de la nation dominante. D’autre part, les identités résistent. L’intervention occidentale dans le monde musulman a réveillé un islam salafiste que le bon sens pouvait croire définitivement obsolète dans le monde moderne. Chacun défendant ce qu’il a d’essentiel, la France défend ses appellations contrôlées, ses vins et ses fromages.
Mais alors que l’Histoire joue les prolongations et que la mondialisation patine, c’est le modèle démocratique lui-même qui semble maintenant envahi par le doute. La victoire de Trump dans les primaires républicaines aux Etats-Unis en est un signe : d’une part, les électeurs ont choisi délibérément un homme qui n’appartient pas à la caste politicienne en exprimant ainsi un rejet de l’oligarchie des professionnels de la politique qui est la réalité des démocraties libérales ; d’autre part, ils ont plébiscité un langage dru qui relève les barrières pour préférer les intérêts du peuple et de la nation à la circulation libre des personnes et des marchandises. Un phénomène analogue se produit en Europe, aggravé par le fait que l’Union Européenne est dirigée, en partie du moins, par des technocrates, souvent des politiciens recyclés, qui semblent se soucier assez peu de l’avis des populations. L’échec de la monnaie unique qui a accentué les inégalités au lieu de les résorber, la gestion aberrante de la « crise migratoire » ont suscité, ici la révolte des peuples, là la résistance des gouvernements. Les Grecs n’en peuvent plus des mesures d’austérité, les Autrichiens ne supportent plus l’invasion des migrants, les Etats du groupe de Visegrad ( Hongrie-Pologne-Slovaquie- Rep. tchèque) disent non. Les élections sont de plus en plus difficiles pour les sortants. Mme Merkel est à son tour menacée. En France, le recours au 49/3 pour la deuxième fois en un an témoigne du malaise.
L’échec désastreux du Printemps arabe a produit le retour à la situation initiale ou le chaos. Dans le reste du monde, le ralentissement économique des pays émergents, la baisse de la demande et celle des prix des matières premières et de l’énergie suscitent également des mouvements de déstabilisation ou au contraire de renforcement du pouvoir qui éloignent de l’équilibre. L’Amérique du Sud avait vu la gauche triompher. Elle est en plein reflux sous le coup d’une contestation de l’inefficacité et de la corruption des oligarchies. Même si les processus sont différents, le changement des équipes est en cours en Argentine, au Brésil, ou au Venezuela, et l’instabilité risque de durer. Dans d’autres régions du monde, on peut constater que lorsque les pouvoirs se maintiennent voire se renforcent, c’est toujours sur le fond d’une affirmation d’indépendance et d’identité. La Russie, la Chine ou la Turquie en sont de bons exemples. Récemment, le mégalomane Erdogan s’est permis de dire que « l’Union Européenne mettait la démocratie de côté ». » Il était bien mal placé pour donner des leçons, mais il n’avait pas tort.
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