Le Covid-19 a donc jusqu’à présent tué plus de 17 000 personnes en France. Notre pays se situe parmi ceux qui auront le plus mal résisté à la pandémie. Cette sinistre surprise devrait être pour les Français l’occasion d’une prise de conscience. Le système de santé que le monde nous enviait, l’Etat stratège, impérieux et omnipotent, censé nous protéger, n’ont pas été à la hauteur. La qualité de l’armée de ceux qui ont affronté le virus sur le terrain, leur savoir-faire et leur dévouement, ne sont pas en cause. Beaucoup sont allés au combat sans armes parce que l’Etat avait été imprévoyant. Et c’est bien ce rapport de la France charnelle avec son Etat qui doit être « réinventé », comme dirait notre bavard président.
Le rapport entre le peuple et l’Etat en France n’est pas démocratique. La crise sanitaire actuelle le révèle cruellement. Une démocratie digne de ce nom repose sur le pluralisme, et sur la transparence de l’information. Or, le prétexte de l’urgence devant le péril a justifié au nom de l’union nationale, un accroissement inouï de la verticalité du pouvoir. La vie du pays semble rythmée par les allocutions présidentielles et les conférences de presse quotidiennes du Directeur Général de la Santé. Avec ce dernier, on comprend ce que Nietzsche voulait dire en parlant de « l’Etat, le plus froid des monstres froids » qui « ment froidement ». C’est chaque soir un long écoulement de chiffres. C’est ainsi qu’on apprend que le nombre élevé des décès ajoutés hier à la liste des victimes, 1438, s’expliquait par « une remontée des données », les 924 morts des Ehpad connues avec retard. Ainsi, les personnes âgées, décédées sans un adieu à leur famille, ne sont que des « données ». Pour l’Etat, les personnes ne sont que des statistiques, dont Churchill disait qu’il n’y croyait que lorsqu’il les avait lui-même falsifiées. Il faudrait s’interroger sur l’absence de « données » pour les décès à domicile. Le surprenant chassé-croisé entre la restriction de l’utilisation de la chloroquine et l’autorisation de la vente d’un puissant sédatif favorisant la « mort douce » chez soi, le « rivotril », soulève le doute quand on sait que plusieurs régions ont vu leurs capacités hospitalières saturées. Néanmoins, jour après jour, il s’agit pour la technostructure médicale de justifier les mesures prises par l’Etat, le confinement notamment, et les résultats positifs qu’elles engendrent. Pour l’instant, ceux-ci sont modestes : une décrue des réanimations d’abord, des hospitalisations ensuite. Il aurait été inquiétant qu’en restreignant les contacts entre les gens, l’épidémie ait poursuivi sa propagation à grande vitesse. En revanche, l’insuffisance des tests ne permet pas de mesurer le risque qui surgira à la fin du confinement.
Le versant humain de l’Etat est, lui, incarné par le président. Celui-ci a déployé une humilité et une empathie dont la foule de ses flagorneurs médiatiques s’est félicitée. Mais au-delà de cette orchestration des médias dont bénéficie étrangement le régime actuel, sans doute pour la première fois dans la Ve République, personne ne semble s’inquiéter de la dérive autocratique de celui-ci. Depuis 2017, les crises n’ont pas manqué. A chaque fois, le pouvoir a remonté la pente parce que le président monopolisait la parole. On subit donc une alternance entre les faits, plus calamiteux les uns que les autres, affaire Benalla, protestation des gilets jaunes, grèves paralysantes contre la réforme des retraites, et les logorrhées macroniennes noyant les difficultés. Plus celles-ci sont rudes, plus l’occasion semble s’offrir d’un exploit oratoire. Le virus doit être pour Macron une sorte d’Austerlitz du verbe. La France n’était pas prête, le gouvernement a pris un retard qui a coûté des vies, le président a montré le mauvais exemple et pris des décisions absurdes comme les municipales la veille de la fermeture des écoles, mais tout cela est effacé parce que le grand déclamateur a dit que ça allait mieux et que les résultats étaient là. L’ennui, c’est qu’il a aussi fixé une date et annoncé la réouverture des crèches et des écoles, en même temps que la possibilité de tester les personnes à risques, le dépistage généralisé n’ayant pas de sens. Cette absurdité en aval fait écho à la précédente : les jeunes porteurs présentent moins de risques pour eux-mêmes que pour les adultes qu’ils vont côtoyer. Tester toute la population serait inutile, car une personne négative pourrait être contaminée l’instant d’après ? Certes, mais la « positive », elle, pourrait être isolée et traitée, ce qui comme l’usage généralisé du masque, serait plus intelligent qu’un confinement prolongé dont la logique ne répond qu’à la pénurie, de tests, de masques, de lits, de respirateurs, et même de chloroquine comme le souligne le Professeur Perronne.
Face au technocrate plus politique que médical, le DGS Salomon, il y a le vrai médecin, qui continue à voir des malades, le professeur Raoult. Quant à l’autocrate, « grand causeux, et petit faiseux » comment le définir ? Napoléon flattant ses troupes ? Moïse guidant son peuple vers la terre promise du 11 Mai ? Non, Néron disant : « Quel grand artiste meurt en moi ! » On croyait avoir un énarque-banquier, « Mozart de la finance », et la France est à 100% du PIB de dette et passera à 118%… cette année. On croyait avoir le guide d’un peuple en marche et il l’a mis aux arrêts. En fait, on a un comédien, dont le narcissisme prend un évident plaisir à tenir les Français par le verbe. Leur réveil risque d’être terrible lorsque la réalité percera l’écran de la parole !