On devrait écrire le mot au pluriel. Certes le grand écart fait partie des spécialités françaises depuis le French Cancan, mais il s’affiche maintenant comme un trait commun de la situation de notre pays. Il y a bien sûr celui qui sépare les 18% du Président des 58% du Premier ministre. 40 points dans ce sens là, c’est vraiment la preuve que notre Constitution ne fonctionne plus ou que le locataire de l’Elysée est totalement inapte. Mais c’est un deuxième écart qui justifie le premier : celui qui sépare le discours du Président pour se faire élire de celui qui semble inspirer l’action actuelle du gouvernement. La France devait être le contre-exemple, celui du refus de l’austérité et de la relance par le pouvoir d’achat et l’action publique. Les emplois publics ou aidés n’ont pas freiné le chômage. La prétendue justice sociale par la fiscalité et la redistribution a découragé le travail et l’investissement et a ralenti les rentrées fiscales selon le principe de ce bon Monsieur Laffer dont on connaissait pourtant la leçon depuis 1981. Le résultat a donc été l’inverse de celui escompté : l’augmentation de la précarité. Tant qu’Ayrault était à Matignon, l’inversion du discours était un exercice difficile. L’arrivée de Valls la libère : les bonnes idées deviennent plus crédibles et l’opposition la plus virulente se transporte à l’extrême-gauche. L’attitude de l’UMP est plus confuse. Les mesures annoncées sont celles qu’elle avait évoquées sans les mener à bien pendant les dix ans où elle était au pouvoir : choc de simplification, compétitivité, allègement du mille-feuille territorial.
Mais l’UMP bénéficie elle-aussi d’un double grand écart. Il y a d’abord celui qui sépare le bilan de son action, quasi-nul, de ses résultats électoraux. Notre classe politique est devenue tellement faible qu’aujourd’hui les victoires ne sont plus que les défaites de l’adversaire sur fond d’abstention grandissante. Le battu d’hier devient donc le vainqueur du jour, même s’il reste sur la touche. Par ailleurs, qui ne pressent le décalage entre le discours volontariste de Monsieur Valls et la réalité qui en sortira ? L’ancien ministre de l’Intérieur est un récidiviste. Le verbe est fort, mais l’action était faiblarde. Le ton péremptoire n’avait pas enrayé la délinquance. Les propos aventureux sur les Roms repris maintenant par Le Foll n’avaient pas freiné leur présence envahissante. Au contraire, la pompe aspirante des régularisations et des naturalisations avait accéléré le grand remplacement évoqué par Renaud Camus. On peut compter sur la gauche pour ne pas tenir très longtemps sur la ligne d’un discours qui n’est pas le sien. Déjà, apparaissent les premières fêlures : les « stars » de la « com » retournent à leurs faiblesses, avec une Ségolène Royal proposant une taxe réservée aux camions étrangers, évidemment impossible, ou un Arnaud Montebourg parlant d’une victoire du redressement productif lorsqu’une entreprise algérienne vient faire son marché en France pour racheter à bon compte une activité en difficulté. Ni la démagogie, ni la forfanterie narcissique ne peuvent longtemps faire illusion malgré la complaisance des médias. Au PS, la continuité est assurée : des spécialistes en emplois fictifs s’y succèdent.
Mais l’écart le plus redoutable est celui qui se creuse entre la France et l’Allemagne. J’ai cru en l’euro et en l’Europe comme leviers nécessaires de la vertu économique de notre pays. Ce que nous n’avions pas la volonté de faire, ni souvent la possibilité en raison d’un climat social paléolithique, entretenu par la gauche d’une manière irresponsable, nous allions être obligés de le faire. Hélas, l’euro n’a pas été un levier, mais un parapluie sous lequel nous avons continué d’entretenir nos mauvaises habitudes : déficits, dette, dépense publique, coût du travail et ces chers amortisseurs sociaux qui ont caché les symptômes et retardent les remèdes. Apparemment, l’Europe se porte bien. Son commerce est excédentaire ( 13,6 milliards en février pour la zone euro). Sa monnaie est forte, tellement d’ailleurs que Mario Draghi, au-delà de la mission que respectait peut-être trop Jean-Claude Trichet, fait marcher la planche à billets. Le mal semble cependant irrémédiable : l’excédent commercial est avant tout allemand (199 milliards en 2013). En raison pour certains de la modération salariale allemande, mais surtout grâce à la qualité de l’outil industriel, l’Allemagne exporte, quelque soit, semble-t-il, le cours de la monnaie européenne, inférieure à ce que serait le Mark, de toute façon. Cette situation renforce l’euro au détriment des produits français. L’injection de liquidités favorisera les exportations en faisant baisser l’euro, qui remontera aussitôt. Dans ce jeu de yoyo, le vainqueur est toujours le même et le vaincu aussi. Enfin, c’est entre l’Europe et le Monde que le fossé s’agrandit, entre un continent qui vieillit, ouvre ses portes pour compenser son marasme démographique, un continent qui refuse les risques des OGM, du gaz de schiste, et parfois du nucléaire, un continent dont la croissance est anémiée, et un monde où les Etats-Unis sont de retour avec leur vitalité, leur goût du risque et cette volonté dominatrice dont l’Europe semble accepter le protectorat sans broncher.
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