Tribune libre de Cyril Brun*
Vendredi soir dans une sorte de frénésie mi-bon enfant mi-exaspérée la France discrète s’est enflammée. Reste-t-il du reste une France discrète ? De toutes parts l’exaspération monte et s’exprime dans un « trop, c’est trop » que le gouvernement, la majorité et la presque totalité des médias s’ingénient à ne pas voir. Alors qu’un groupe de manifestants marche sur l’Élysée, du jamais vu depuis 1934, que 8 camions de gendarmes foncent, toutes sirènes hurlantes, pour renforcer la sécurité du palais présidentiel qui a rappelé en pleine nuit ses cadres, pas une ligne le lendemain matin dans la presse. Alors que les forces de l’ordre sont débordées et manquent de peu de laisser aux manifestants la préfecture de la capitale des Gaules, les pros de l’information n’étaient pas là. Heureusement que ces événements d’une portée symptomatique ont été relayés (en direct) par plusieurs médias amateurs ou de moindre audience, sans quoi le gouvernement aurait gagné le pari de l’omerta. La soirée était rien moins qu’ubuesque. Le mouvement de contestation a bel et bien changé d’allure, mais aussi de fond. Clairement les slogans qui déjà s’étaient élargis lors de la manifestation du 24 mars ont encore franchi un cap. Il s’agit de faire tomber le gouvernement et même le chef de l’État, gratifié le même soir par un sondage Ifop Huffington post, de 20% d’opinions favorables quand son premier ministre peine à atteindre les 16%.
Désormais tout ressort ! Le mariage dit pour tous, la crise, le chômage, l’Europe, la fiscalité, mais aussi la Constitution, le droit, le régime politique, plus rien ne va, plus rien ne semble tout à coup satisfaire les Français. On en vient même à imaginer de manifester le 5 mai comme Jean-Luc Mélenchon. Indépendants et commerçants réunis dans une association apolitique « Sauvons nos entreprises » appellent à battre le pavé de plusieurs villes de France le 30 avril. Chaque soir depuis vendredi 12 avril, des manifestants en grand nombre déambulent dans les rues des grandes villes et affrontent quotidiennement les gazages. Dimanche soir, pour assister à un concert salle Pleyel le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, renommé Manuel Gaz, déploie une trentaine de camions de CRS. Guerre d’usure ? Guerre de tranchées ? L’exaspération ne fait que monter et les incantations pacifistes des organisateurs de la Manif pour Tous ne trompent personne. Pas plus que les sarcasmes de la bobosphère. Caroline Fourest s’indigne, tout en se frottant les mains d’une telle notoriété subite. Le député Binet se pose en martyr tout en se réjouissant de ne pas avoir à prendre part à un débat pour lequel il n’a aucun argument. Quant au sénateur Michel, il fulmine sans se rendre compte qu’il subit le revers de sa propre attitude autiste et méprisante. Aux ordres, mais surtout complice par conviction, l’essentiel de la presse et les starlettes du moment tentent d’étouffer les mugissements féroces qui montent de nos campagnes, espérant par là éviter la propagation de la jacquerie. C’est tout le contraire qui se produit. Le pouvoir politique est isolé, les média préfèrent la politique de l’autruche et l’information circule malgré eux. Les forces de l’ordre ne sont pas sûres et semblent déstabilisées face à la détermination malgré tout sereine du peuple dont il partage les mêmes inquiétudes.
“Le pouvoir politique est isolé, les média préfèrent la politique de l’autruche et l’information circule malgré eux.”
Mais tout cela pourquoi ? Pourquoi l’impopulaire François Hollande persiste-t-il, lui qui a tant et tant de fois reculé depuis onze mois ? C’est incompréhensible sans prendre en compte l’hypothétique pression (voir chantage) de certains groupuscules qui le tiennent et qui ont décidé de faire basculer le pays dans un nouveau monde. Pourquoi le peuple de France, méprisé par cette bobosphère aveugle qui ne croit pas un instant à sa colère, ne lâche-t-il rien ? Précisément parce qu’il sait que le pays va en effet basculer, mais qu’il peut aussi basculer dans le bon sens. À quoi aspire-t-il sinon à plus de vérité, de justice et de liberté ? Tout ce dont il est de plus en plus privé tant par la gauche que par la droite. Car ne nous y trompons pas, ce mouvement populaire n’est ni de gauche, ni de droite. La gauche voudrait le discréditer tandis que la droite ne le comprend pas. Ce mouvement appelle très clairement à une troisième voie et en cela il est révolutionnaire. Ce que le peuple demande à travers la mosaïque de ses doléances, c’est un « choc» sans précédent qui secoue toute la classe politique. Un choc politique qui renverse les puissants de leur trône, qui déloge les tyrans de leur tour de Babel, qui ouvre les yeux de nos démagogues plus intéressés par les voix de leurs électeurs que par leurs besoins réels.
Ne nous y trompons pas, ce mouvement populaire ne dit pas seulement halte à la loi Taubira, il dit halte au massacre. Il appelle à un renouvellement complet de la classe politique au profit d’une nouvelle génération pétrie du désir de servir l’épanouissement intégral et réel de l’Homme par un engagement et une politique respectueuse de sa dignité et fondée sur cette dignité réelle et non sur un ersatz d’être humain façonné sur mesure et si facile à manipuler. Une telle politique a atteint depuis l’arrivée de François Hollande à l’Élysée les limites extrêmes de son imposture. Maintenant ça suffit, il faut que ça change et c’est bien ce que hurle tout un peuple que l’on tente dans un ultime soubresaut névrotique d’étouffer en le gazant.
Eh quoi ? De ces 1,4 millions de manifestants, il ne sortirait pas une dizaine de milliers d’hommes nouveaux, de femmes nouvelles ? Si tel est le cas, alors oui, le pouvoir en place à raison de jouer la guerre d’usure et l’opposition fait bien d’attendre dans les tranchées, car au fond, ils partagent la même espérance, surtout que rien ne change… sauf le capitaine.
*Cyril Brun est le délégué général de l’Institut éthique et politique Montalembert à Paris.
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