Philippe Darantière signe Le techno-nihilisme aux presses de la Délivrance. Entretien :
Le titre de votre livre, « Le Techno-Nihilisme », est mystérieux et le mot inconnu. D’où vient-il et que désigne-t-il ?
Ce mot désigne l’idéologie au pouvoir aujourd’hui. Le Pape Benoît XVI avait dénoncé en 2005 la « dictature du relativisme ». J’ai cherché à comprendre le programme idéologique de cette dictature. Je suis arrivé à la conclusion qu’il s’agit d’un totalitarisme d’un genre entièrement nouveau. Il est nihiliste parce qu’il proclame que la vie n’a ni sens ni cause, mais que seule la satisfaction des désirs est la réalité. Il est technocratique, puisqu’il assigne à la technique la mission de faire advenir cette réalité, quelle qu’en soit le prix. Le techno-nihilisme a définitivement chassé les questions de morale et de spiritualité du champ social où il exerce sa domination.
Selon vous, le techno-nihilisme n’est pas une idéologie politique. Comment comprendre cela ?
J’observe que le politique, en premier, a prétendu s’affranchir de la morale et chasser la religion de la sphère publique. De Machiavel à Marx et Adam Smith, l’histoire des idées politiques poursuit cet objectif. Il se trouve que le politique lui-même a finalement été chassé à la périphérie du pouvoir. Il a été remplacé par une force stratégique qui s’exprime principalement dans les relations marchandes. Cette domination des forces du marché est observée partout. Elle frappe toute chose de son impératif : aucun désir humain ne doit être insolvable, dès lors que la technique peut le rendre possible. La marchandisation de toute relation est la seule qui subsiste. En ce sens, le techno-nihilisme est une idéologie globale, et non pas seulement politique.
“L’échec, jusqu’à maintenant, de la Manif pour tous et de ses épigones de Sens Commun, montre qu’il est vain de vouloir combattre le techno-nihilisme par les moyens classiques de l’action politique. D’autres voies, comme la désobéissance civile, sont à explorer.”
Pouvez-vous donner des exemples de l’emprise de cette idéologie au quotidien ?
L’histoire du mariage gay est une bonne illustration. Comment expliquer qu’une mobilisation de la société civile qui fait descendre trois fois de suite un million de personnes dans la rue a échoué à stopper une loi sur le mariage unisexe qui concerne à peine 3% de la population ? C’est en amont que tout s’est joué. Ce projet de « changement de civilisation » comme l’a dit Christiane Taubira, est une première victoire du techno-nihilisme. Gender, euthanasie, transhumanisme sont des étapes de ce combat idéologique. L’idéologie techno-nihiliste ne prétend pas à la domination d’une classe ou d’une race, comme le communisme ou le nazisme. Elle se présente comme la toute-puissance d’un système technico-économique dont le programme est « Tout est possible ». C’est ce qui explique l’intervention idéologique dans tous les domaines de la vie privée.
Comment le pouvoir de cette idéologie a-t-il pu s’établir sans rencontrer d’obstacle ?
Tout d’abord, la différence entre possible et impossible, entre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas, a été évacuée. Seul subsiste ce qui est réalisable. Le techno-nihilisme a réduit l’homme à la seule fonction du désir, au service duquel tout l’appareil économique et social se trouve mobilisé. La fabrique du désir est une industrie qui fonctionne de manière autonome, en ayant dépassé toutes les barrières morales.
Ensuite, le techno-nihilisme repose sur la mise en œuvre systématique des lois de la cybernétique sociale. Il s’agit, en permanence, d’injecter des informations dans l’environnement médiatique, politique, culturel ou managérial, pour provoquer des réactions, qui elles-mêmes contribuent à modifier le contexte de réception des informations produites. Prenons l’exemple de la crise des migrants. La photo d’un enfant syrien mort noyé est propulsée dans l’environnement médiatique, et provoque des réactions politiques qui conduisent elles-mêmes à un retournement de l’opinion publique, de façon à désarmer toute opposition au mouvement d’immigration-invasion auquel nous assistons impuissants. La maîtrise de ces interactions procure un véritable pouvoir de domination aux forces qui les contrôlent. Or ces forces appartiennent à l’économie transnationale, dont les acteurs politiques ne sont plus que les agents.
Existe-t-il une possibilité d’échapper à cette domination ?
Le Pape Benoît XVI a prophétisé, dans son encyclique Caritas in Veritate, que la société civile serait amenée à jouer le rôle d’un « tiers pouvoir » à côté du pouvoir politique des Etats et de celui, financier, des marchés. Encore faut-il que cette société civile sache où et comment agir. L’échec, jusqu’à maintenant, de la Manif pour tous et de ses épigones de Sens Commun, montre qu’il est vain de vouloir combattre le techno-nihilisme par les moyens classiques de l’action politique. D’autres voies, comme la désobéissance civile, sont à explorer. Il faut inlassablement défendre la vérité sur l’homme, et je crois que, pour cela, la génération qui monte est appelée à faire l’expérience de la dissidence.
29 Comments
Comments are closed.