Les deux attentats de Copenhague suscitent trois sentiments. Le premier, sans doute le plus partagé, c’est l’angoisse ressentie désormais par beaucoup d’Européens et de Français, en particulier. Les auteurs ne sont pas des terroristes internationaux membres d’un réseau qui pourra être anéanti en un coup de filet. Ce n’est pas un arbre, mais un rhizome, un lierre qui se développe par le rebond des images. L’immense immigration musulmane en est le terreau. L’échec au moins partiel de son intégration produit chez certains de ses membres appartenant aux générations nées et élevées en Europe une régression identitaire fantasmée vers une forme de religion qui n’était pas celle de leurs ascendants. Autrement dit, le danger peut naître partout et la menace peser sur tout un chacun. C’est le processus même du terrorisme dont l’arme est la peur. Celle-ci va d’abord atteindre les cibles désignées. Les attentats de Madrid en 2004 avaient inversé le résultat prévisible des élections, donnant la victoire aux socialistes partisans du retrait des soldats espagnols d’Irak. Aujourd’hui, les victimes sont pour la seconde fois, des « auteurs » de blasphème et des Juifs. On peut imaginer chez les dessinateurs et les écrivains une tendance naturelle à l’autocensure à la suite de ces agressions. Certains sont déjà fichés et condamnés à mort. Dans ce monde inversé où les criminels prononcent et exécutent les peines capitales, soit il est trop tard et l’on est condamné à vivre sous une protection policière permanente, qui commence d’ailleurs à poser de sérieux problèmes d’effectifs aux Etats. Soit il est encore temps de se contenter de caricaturer le Pape, et la vie restera belle dans une société proclamant une liberté d’expression que les fanatiques seront parvenus à limiter dans les faits. Pour les Juifs qui vivent en Europe et ne craignent pas d’affirmer leur croyance par les lieux qu’ils fréquentent ou les vêtements qu’ils portent, le risque est constant. Que 70 ans après la fin du nazisme, et alors qu’Israël a été la réponse politique et historique à la Shoah, on puisse tuer des Juifs parce q’ils sont Juifs, et peut-être à cause d’Israël, donne le vertige. « L’Histoire est un cauchemar dont j’essaie de me réveiller » fait dire James Joyce à un de ses personnages.
Pourtant, le désir d’être à tout prix optimiste peut trouver des éléments rassurants dans la duplication des événements de Paris par ceux de Copenhague. Un individu isolé sorti depuis peu de prison après un parcours de petite délinquance à copié les attentats commis à Paris : mitraillade d’un forum consacré à la liberté d’expression, puis attaque d’un symbole juif. Contrairement aux « français », il ne semble pas avoir eu de contact ni de formation au Moyen-Orient. Le bilan est heureusement moins lourd. Si l’on remonte aux attentats de Madrid en 2004 ou de Londres en 2005, le premier qui avait fait exploser une dizaine de bombes et tué 200 personnes, le second 56 personnes, avaient mobilisé des équipes de terroristes pour des actions coordonnées et destinées à tuer le plus possible de gens, de façon aveugle. Chez les auteurs comme chez leurs victimes, le périmètre s’est restreint. Le profil des criminels les rend cependant peu détectables, à moins de consacrer des moyens disproportionnés à la surveillance de personnalités dont la médiocrité semble être la marque principale.
Pourtant, il y a dans la séquence actuelle un ensemble de faits troublants. L’utilisation superlative des événements par le pouvoir aux fins de regagner en popularité en appelant à la cohésion nationale derrière lui, alors qu’il n’a su ni prévoir, ni limiter les attentats, doit soulever des réserves. Copenhague a été saisi comme une piqûre de rappel de « Charlie » afin de prolonger « l’esprit du 11/1″. Il ne paraissait pas indispensable que le Ministre de l’Intérieur se précipitât au Danemark afin de souligner combien cette répétition frappait symboliquement la France. Dans le même temps, comme l’a montré la récente fusillade de Marseille au moment même d’une visite du gouvernement, le plus effrayant est de savoir que dans nos démocraties laxistes, les armes circulent en quantités et que les « malfaisants », délinquants de droit commun ou terroristes, en sont beaucoup mieux fournis que les honnêtes gens. La dénonciation de la faiblesse de nos démocraties soulève une autre crainte, celle de voir les exigences de la sécurité l’emporter sur la protection des libertés. Depuis le vote de la dernière loi de programmation militaire, la surveillance administrative des connexions internet a été facilitée. On peut en comprendre la raison en constatant le rôle du « web » dans la propagande djihadiste, mais aussi constater que ce recul des libertés est dans le fond une première victoire de la culture de nos adversaires sur la nôtre. Enfin et surtout, le retentissement exceptionnel des derniers attentats ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Ces actions isolées sont les échos d’un séisme beaucoup plus considérable, l’extension géographique du djihadisme salafiste et de ses massacres quotidiens à l’encontre notamment des Chrétiens. L’impuissance des Etats les plus riches et les plus puissants du monde coalisés contre lui est un encouragement au terrorisme en Europe en même temps qu’elle lui laisse un espace d’accueil et d’entraînement. L’Etat islamique vient de conquérir une ville en Irak. Il ne recule plus en Syrie, étend ses métastases jusqu’en Libye, où 21 Coptes égyptiens ont été décapités par ceux que « nous » avons soutenus contre Kadhafi. Le Yémen rejoint la Somalie dans l’anarchie propice à l’installation de foyers terroristes. Le nord du Nigéria et ses voisins francophones, comme le paisible Cameroun, sont exposés aux exactions de Boko Haram. La stratégie à usage interne des drones par le Président Obama ne peut évidemment anéantir un phénomène d’une pareille envergure. C’est pourtant là qu’est la racine du mal qu’il faut éradiquer.
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