En 2011, le prétendu Printemps arabe touche la Syrie. Ses voisins n’en sont pas mécontents. La Turquie rêve de remettre ce pays sous son aile protectrice. Elle en a déjà obtenu une partie de la France mandataire en 1939, le Sandjak d’Alexandrette ou Hatay, pour les Turcs, avec la ville, ô combien symbolique, d’Antioche. Cela lui permettrait aussi de mettre un terme aux projets d’oléoducs passant en territoire syrien plutôt que turc. Le sunnite Erdogan, proche des Frères Musulmans, envisage avec plaisir la chute de l’alaouïte Assad et de son régime baasiste. Israël ne voit pas d’inconvénient à ce que son voisin le plus tenace, allié à l’Iran et au Hesbollah, soit affaibli par des troubles, et que leurs soutiens conjoints aux Palestiniens soient diminués d’autant. L’Arabie Saoudite, le Qatar, sunnites wahhabites, se réjouissent de l’effondrement probable d’un régime laïque appuyé sur une minorité cousine du chiisme. Les Occidentaux poursuivent leur « croisade » démocratique à contre-sens et à contre-temps contre une dictature militaire anciennement pro-soviétique qui leur avait pourtant apporté un soutien pragmatique et efficace à la fois contre Saddam et contre le terrorisme islamiste. Durant l’année 2011, le souffle du Printemps arabe emporte d’abord les régimes de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Egypte, plonge ensuite la Libye dans le chaos après la chute et la mort de Kadhafi, tandis que la Syrie voit les manifestations du début de l’année se muer en affrontements armés, puis en rébellion et enfin en guerre civile. L’opposition semble menée partout par les Frères Musulmans. Les disciples de Hassan Al Banah l’emportent sur ceux de Michel Afflak, l’islamisme que les Occidentaux disent modéré sur le nationalisme arabe et ses dictatures corrompues. Toutefois les spécificités nationales issues de l’histoire font rapidement surface. La transition est plus douce en Tunisie. L’armée garde la main en Egypte. L’anarchie tribale s’impose en Libye et le régime tient plus ou moins le choc à Damas, appuyé sur une armée relativement solide. On retiendra l’exception du Bahrein, cette monarchie sunnite posée sur une large majorité chiite qui entend participer aussi à la libération. Les Saoudiens écraseront sans scrupules ces velléités sans que l’Occident trouve à y redire
En 2015, le paysage s’est modifié fortement. Les Frères Musulmans se contentent à travers Ennhadha de participer à la coalition gouvernementale tunisienne dans un pays en proie aux attentats et aux difficultés économiques liées au marasme du tourisme. Ils sont restés un an au pouvoir au Caire avec le Président Morsi et son Parti de la Liberté et de la Justice, entre 2012 et 2013. Le Maréchal Abdel Fattah Al-Sissi les en a chassés et guide désormais un pays, lui aussi en proie à la violence, notamment envers la forte minorité chrétienne copte. En Libye, le pays est coupé au moins en deux, entre Tripoli et Misrata, à l’Ouest où les Frères Musulmans dominent, et la Cyrénaïque à l’Est, où c’est un ancien officier de Kadhafi qui avait rompu avec lui, le général Khalifa Haftar qui forme une armée et tient la région. Le Yémen qui avait vu également tomber son dictateur militaire est aussi divisé entre les sunnites et les rebelles chiites, majoritaires au Nord. Dans les deux pays des poches islamistes d’Al Qaïda et du nouveau venu, l’Etat islamique, s’implantent. Ce mouvement terroriste, né d’une scission d’Al Qaïda, présente deux particularités. En premier lieu, il pousse son salafisme jusqu’à reproduire les exemples les plus cruels des origines de l’islam ou les peines les plus sévères inscrites dans le coran. Exécutions de masse, décapitations publiques, lapidations, esclavage des prisonniers, mariages forcés. On s’interroge pour savoir si le fait de brûler vif un pilote jordanien fait partie de la panoplie salafiste. En second lieu, il conquiert un territoire où il prétend restaurer le Califat et Abou Bakr Al Baghdadi le proclamera en effet à Mossoul le 29 Juin 2014. La carte de la Syrie prend l’aspect d’une peau de Léopard où se juxtaposent les zones tenues ou reprises par les loyalistes et celles conquises par une large palette de groupes rebelles. Les uns se disent modérés et se réclamant d’une coordination basée en Turquie soutenue par l’Occident, la Coalition Nationale des Forces de l’Opposition et de la Révolution ou Coalition Nationale Syrienne, dont le bras armé est l’Armée Syrienne Libre. Les autres sont des salafistes et des terroristes. L’un de ces derniers, « l’Etat islamique » s’empare dès 2014 d’une vaste portion de territoire à Raqqah et Deir ez-zor, là où sont les puits de pétrole de part et d’autre de l’Euphrate. Il occupe en un éclair l’ouest de l’Irak et la seconde ville du pays Mossoul (Juin 2014). On s’attend à l’effondrement du régime de Damas menacé de toutes parts par des rebelles soutenus sans vergogne par les voisins turc et jordanien, voire israëlien, avec l’aide en armes et en formation des pays du Golfe et des puissances occidentales. C’est l’époque où Fabius souhaite la mort de Bachar Al Assad et ose déclarer « qu’Al Nosra fait du bon boulot ». Al Nosra c’est le nom d’Al Qaïda en Syrie ! Et cet homme préside le Conseil Constitutionnel aujourd’hui ! En 2015, des attentats commandités par les islamistes se produisent notamment en France avec la tuerie de Charlie Hebdo et la prise d’otages de l’hyper casher de la Porte de Vincennes en Janvier, puis la nuit sanglante du 13 Novembre : 17 morts puis 130 ! La seconde opération a été organisée à partir du « califat », avec des soutiens bien implantés en Europe. La coalition occidentale qui regroupe 22 Etats bombarde le secteur tenu par l’Etat islamique, sans résultat probant. La seule résistance sérieuse en dehors de l’Armée Syrienne et de ses alliés vient des Kurdes. L’ambiguïté, voire l’hypocrisie de l’alliance des occidentaux, de la Turquie et des Pays du Golfe, les intérêts divergents des uns et des autres, rendent les actions stériles.
En Septembre, Vladimir Poutine fait intervenir les forces aériennes russes au secours de son allié syrien. En deux ans, le rapport de forces va basculer totalement. ( à suivre)
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