Tribune libre de Pierre Milloz*
L’Express vient, dans son numéro du 14-20 novembre 2012, de publier un dossier dont le modeste intitulé, « Le vrai coût de l’immigration », prétend implicitement tenir pour nulles et non avenues toutes les études antérieures (et il y en a !) qui s’efforçaient d’évaluer ce coût. De celles-ci, ledit dossier se distingue par l’originalité de sa conclusion : le coût d’une immigration qui serait à la charge de la France est une invention d’esprits mal tournés, plus ou moins honnêtes. Ou plutôt : il y a bien un coût de l’immigration, mais c’est sur les immigrés qu’il pèse : les finances publiques françaises en profitent, auxquelles ces malheureux doivent verser net chaque année plusieurs milliards d’euros (exactement 3,886 en 2005).
Ici, le journaliste qui interroge l’auteur du dossier, M. Chojnicki (de l’Université de Lille II), sent bien qu’une explication devient nécessaire ; il demande donc : « Pouvez-vous préciser l’origine de ce solde positif ? » M. Chojnicki développe alors son argument central, auquel il reviendra : les immigrés sont concentrés dans la tranche des personnes en âge d’activité (proportionnellement, ils y seraient plus nombreux que les autochtones) et globalement moins nombreux dans les tranches qui sont grosses consommatrices des dépenses sociales. Le fait qu’ils sont plus jeunes permet de surcompenser les coûts sociaux.
Chojnicki : un raisonnement valable dans les années 1950/1960
On aurait probablement pu appliquer ce raisonnement à l’immigration des années 1950 et 1960 : la France avait affaire à des immigrés que, le plus souvent, elle avait appelés pour satisfaire les besoins du marché du travail et on trouvait donc sur le territoire une population étrangère, relativement peu nombreuse, masculine, jeune, active (le chômage était négligeable). Peut-on honnêtement transposer le raisonnement à la population immigrée des années contemporaines ? Certainement pas.
Depuis 40 ans il n’y a plus aucun rapport entre les besoins de main-d’œuvre et les entrées d’étrangers ; le chômage frappe plus cruellement ces derniers (il est vrai que M. Chojniki a l’habileté (la malhonnêteté ?) de ne pas parler d’immigrés actifs, mais seulement d’immigrés « en âge d’activité »…).
Le regroupement familial de 1976 a, en outre, bouleversé toutes les données avec l’arrivée des personnes âgées, des femmes sans activité professionnelle, des enfants, c’est-à-dire toutes personnes hors activité. En un mot, toutes les conditions sont désormais remplies pour qu’on ait affaire à une population dont le taux d’activité est trop faible pour compenser un surcoût social qui d’ailleurs va croissant avec le temps et le vieillissement des premiers entrants.
Bref, ce prétendu « vrai dossier de l’immigration » est loin d’être convaincant. Or, le lecteur est surpris de voir que L’Express partage probablement cet avis. Car dans la présentation qu’il en donne, ce média abonde dans le sens de M. Chojnicki : « L’immigration rapporte plus à la France qu’elle ne lui coûte. Économiquement et socialement, elle est une “bonne affaire” à court, moyen et long termes » et il développe les mérites de cette bonne affaire.
Des conclusions incohérentes
On s’attendrait donc à la conclusion qu’il n’y a pas lieu de modifier, sauf peut-être à la marge, les conditions qui permettent de réaliser cette « bonne affaire ». Eh bien, pas du tout. De ces conditions, L’Express préconise, au contraire, un bouleversement complet dans un sens… inattendu : « Adoptons, écrit l’éditorialiste, au plus vite des règles d’immigration par quotas, selon les nations d’origine (L’Express préconise là une discrimination selon la nation, ce qui est un délit… ndlr), les professions en manque de main-d’œuvre ici (quelle réaction !) et les profits dont la France peut tirer parti (l’intérêt national comme guide ?) ». Il ajoute aussi qu’il faut en finir avec « le pédagogisme où tout vaut tout et où chacun est l’égal de son voisin » et il recommande qu’on « oublie le funeste droit à la différence ». Autrement dit, il souhaite qu’on fasse le contraire de ce qui s’est fait jusqu’ici, c’est-à-dire qu’on renonce à l’orientation cosmopolite des décisions françaises et, donc, qu’on renonce à cette « bonne affaire ».
Le lecteur est donc en droit de s’interroger : y a-t-il incohérence regrettable ? Ou y a-t-il eu obligation de porter sur le dossier de M. Chojnicki un jugement politiquement correct ?
*Pierre Milloz est chercheur à la Fondation Polémia (site).
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