Entre deux serrages de pognes et la découpe photogénique de quelques plants de canne à sucre, notre jeune, grand, beau et dynamique Président au sourire Pepsodent™ turbine quand même pour réformer ce pays à grands coups de discours musclés et de réformettes microdosées dont la dernière en date déclenche déjà des petits gloussements de satisfaction d’une presse béate d’admiration pour lui : apparemment, la promesse emblématique d’Emmanuel Macron de supprimer la taxe d’habitation est sur les rails !
Alors bon, soit, ce n’est pas exactement comme prévu au départ, à savoir la suppression pure et simple de cette taxe dans un horizon très restreint (on chuchotait 2019 voire 2018 !). Rassurez-vous, tout ira bien plus lentement (qui va piano va sano, surtout en République française) puisqu’apparemment, cette suppression sera progressive et prendra trois ans. D’ici là et d’après Gérald Darmanin, le ministre en charge de ce projet ainsi que de l’Inaction et des Trous publics, 80% des ménages n’auront plus à s’acquitter de cette taxe.
La presse s’est jetée comme une affamée sur les différents seuils d’exonération qui permettront de s’affranchir de cet impôt : en substance, pour un revenu réel de référence de 30.000 euros, une personne seule sera exonérée. On pourra monter jusqu’à 48.000 euros de revenu réel pour un couple, 54.000 euros pour un couple avec un enfant et il faudra rajouter 6.000 euros au revenu fiscal de référence pour chaque enfant supplémentaire.
Moyennant quoi, 80% de ceux qui paient actuellement cette taxe rejoindront les 12 millions de personnes qui en sont déjà exonérées. C’est magique : avec cette loi fiscale, l’Etat français se sépare subitement d’un nouveau tronçon de contribuables qui auront le bonheur sucré de ne plus participer à l’impôt local.
Enfin, « subitement », c’est façon de parler puisque, je le rappelle, il faudra donc trois ans pour aboutir à ce résultat. Espérons que le gouvernement tienne bon d’ici là.
Car tout peut arriver. Y compris un abandon en rase campagne ou des gros coups de rabots politiquement corrects. Ce ne serait guère surprenant lorsqu’on voit les subtils rétropédalages de l’actuelle équipe lorsqu’il s’agit d’abandonner les contrats aidés dont sont malheureusement trop férues les communes et les collectivités territoriales. Leur grogne, que la presse relayait complaisamment, a fini par payer puisque le gouvernement a finalement repris une louchée de ces contrats qu’il avait pourtant décidé, scrogneugneu et mordicus, qu’il les arrêtait une fois pour toutes (ou presque).
Mais ne boudons pas notre plaisir : dans trois ans, c’est dit, la taxe d’habitation a disparu, et cochon qui s’en dédit.
Malheureusement, quelques jolies bosses et quelques beaux trous semblent s’accumuler sur le chemin printanier (pensez printemps, les amis !) tracé par notre jeune, grand, beau et dynamique Président au sourire Pepsodent™ : faire sauter la taxe d’habitation, c’est très bien, mais personne ne sait exactement comment les communes vont financer le différentiel.
Eh oui. N’oublions pas le fameux Mankagagner !
Parce que, voyez-vous ma brave dame, il faut compenser cette belle taxe qu’on vient de sucrer ! D’un côté, vous avez des dépenses, souvent aussi « utiles » qu’ « indispensables », et de l’autre, vous aviez cette jolie taxe pour les financer. Maintenant, comme il est absolument impossible d’envisager même de loin la moindre diminution des dépenses, on risque bien de se retrouver avec un trou causé par cette évaporation rapide des entrées.
Oh, certes, je n’écarterais pas complètement la possibilité que l’une ou l’autre commune se décide à faire des efforts drastiques pour réduire ses dépenses ; un coup de lucidité folie du maire est toujours envisageable. Cependant, compte tenu des annonces entourant cette évaporation fiscale médiatique, je doute que ces collectivités fassent spontanément des efforts. En effet, d’après Macron et sa fine brochette de clowns ministres, la diminution des rentrées fiscales sera compensée « à l’euro près » par l’Etat.
Qui peut tout, apparemment. Y compris trouver 22 milliards d’euros sur son budget sans déclencher de petits mouvements nerveux dans la population qui pourrait estimer qu’on vient encore une fois de l’enfumer.
Pour éviter cela et comme pour le plumage des oies, il faudra procéder doucement. Par exemple en augmentant discrètement la collecte de la CSG (assiette, quotité, on a le choix). Eh oui : on a tabassé une tranche de population qui finissait par se plaindre, on va à présent en tabasser une autre et pas de bol pour ceux qui sont dans les deux populations à la fois ; leur sort ne va pas s’améliorer, mais que voulez-vous, en France, on ne peut pas toujours bien tomber.
L’avantage de la manœuvre est peut-être que ça modifie la perception de la douleur, j’imagine…
Oh et puis attendez un peu ! Il y a une autre façon, évidente, de trouver ces 22 milliards qui pourraient faire défaut ! Que pensez-vous par exemple de contracter de la bonne grosse dette bien dodue ?
Evidemment, cela reviendrait à transformer une taxe immédiate en impôt futur dans une espèce de jeu de vases communicants (et communiquer, ça, nos gourdes ministérielles savent le faire), mais est-ce vraiment un gain pour le contribuable lambda ?
Une fois qu’on a compris que cette disparition de la taxe d’habitation n’est qu’un report des impôts d’une population à une autre ou, pire, d’une génération à une autre, en quoi tout ceci est-il une réforme fondamentale, un changement structurel dans la façon d’envisager la ponction fiscale dans le pays ?
En rien.
C’est, en définitive, la même démarche que pour le code du travail : on part d’un principe intéressant et qui pourrait contenir une vraie révolution (fiscale ici, contractuelle dans le cas de la Loi Travail), et, d’enfumages en compromissions, on aboutit à quelques petits bricolages sans absolument rien de fondamental. On fait des ajustements, on repeint les murs de la triste Maison France, on arrange les moulures et on remet un peu de dorure, mais on ne touche pas au gros-oeuvre, surtout pas ! On ne répare surtout pas les grosses fissures, on n’abat pas les murs vermoulus qui menacent de s’effondrer sur le peuple qui dort de moins en moins sereinement à ses pieds.
On refuse d’envisager de vraies économies, de vraies coupes claires et massives dans les dépenses, de vraies changements fondamentaux dans la façon dont tous les étages de l’Etat, depuis le sommet jusqu’à la commune, envisagent leur rapport avec l’argent du contribuable.
Pourtant, économiser 110 milliards par an, c’est possible, mais ça demande un courage autrement plus impressionnant qu’aller découper deux plans de canne sur une île tropicale. Pourtant, économiser 600 millions d’euros et faire 65 millions d’heureux, c’est possible et même souhaitable !
Mais apparemment, le moment n’est pas venu.
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