Jupiter à Athènes, Narcisse à Pointe-à-Pitre. Lorsque M.Macron use de mots insultants c’est de la provocation pédagogique. Lorsque l’opposition fustige la mauvaise gestion de crise à Saint Martin, c’est de la politique politicienne. Jupiter foudroie avec arrogance. Narcisse est immaculé. L’Etat qu’il préside ne commet pas d’erreur et avait anticipé les conséquences de l’ouragan : « L’Etat s’est parfaitement organisé » ose dire le Président. Lorsque l’évidence est criante et la comparaison défavorable, il suffit d’écarter la réalité d’une phrase ! En revanche, ceux à qui il succède étaient des fainéants, des cyniques et des extrêmes ! C’est ainsi que Castaner a tenté de justifier l’emploi de qualificatifs méprisants destinés aux prédécesseurs, incapables de procéder aux réformes salutaires. A qui étaient-ils vraiment adressés ? Aux extrêmes aussi ? Comme ce mot ne peut viser le prédécesseur dont Macron a été le collaborateur zélé, il saute aux yeux que les trois termes qualifiaient les opposants du jour, ceux qui osent critiquer la défaillance de l’Etat à Saint Martin ou encore ceux qui ont défilé dans toute la France pendant que les caméras étaient habilement détournées vers les Antilles. Les deux autres mots, dont le révélateur « fainéant » avaient le même objectif. On peut certes penser que certains privilèges en matière de retraite et globalement face aux obligations du travail, peuvent susciter la colère et la vindicte de ceux qui en sont privés. Beaucoup pensent par exemple que les cheminots d’aujourd’hui ont hérité des avantages concédés en raison de conditions de travail pénibles qui ont disparu et qu’une telle situation est donc injuste. Pourtant, rares seraient ceux qui useraient d’un terme offensant pour exprimer leur dépit. Si le Président a l’intention d’améliorer une situation que les gouvernements de droite ont eu beaucoup de mal à traiter en raison des grèves et des manifestations que les amis de M.Macron soutenaient, on ne va pas le lui reprocher. Simplement, on ne voit pas en quoi l’injure pourrait faciliter les choses. Pour le coup, le Président, tel que le conçoit la Ve République, doit être le Premier de tous les Français. Il doit expliquer et montrer l’intérêt général au lieu de blesser, de stigmatiser, de dresser les Français les uns contre les autres. Par ailleurs, il doit accepter que l’opposition joue son rôle qui est de critiquer l’action gouvernementale lorsqu’elle n’est pas efficace. La polémique s’inscrit dans la vie démocratique et les débats qui en sont la matière quotidienne. La condamner trahit une difficulté à accepter la réalité de la démocratie. Le modèle, hélas trop éphémère, était Pompidou qui affrontait les conférences de presse avec beaucoup d’intelligence et d’humanité, mais avait aussi créé ce contact intime et authentique avec les Français, dans ses causeries « au coin du feu ». Refuser les conférences de presse, et leurs questions, choisir les médias qui bénéficieront de la parole présidentielle sont des comportements qui ne peuvent que susciter une légitime inquiétude. Une question se pose de plus en plus : la personnalité particulière de l’occupant actuel de l’Elysée est-elle compatible avec la fonction présidentielle ?
Le monde de Macron est binaire. Il y a ceux qui réussissent et d’autres qui ne sont rien. Lui-même fait partie des premiers, et ce sentiment de supériorité, invité à la discrétion dans une République qui fait de l’égalité l’un de ses trois piliers, semble correspondre à ce que Freud appelle le « retour du refoulé ». Le Président sait très bien qu’il n’a pas le droit d’écraser de son mépris les alcooliques du nord, les illettrées de Bretagne, les « sans-costume », et pourtant, comme si son inconscient brimé se réveillait, le trait jaillit, la main balaie avec arrogance ce peuple qui déteste les réformes, qu’on lui imposera quand même, parce qu’on sait et qu’il est ignorant. Selon lui, il faudrait qu’il y ait plus de Français valables, qui souhaiteraient donc devenir milliardaires. Lui-même aurait pu l’être, mais son extraordinaire générosité, son altruisme compatissant lui ont fait préférer le service de l’Etat, au niveau qui était, légitimement le sien, le plus haut, plutôt que de continuer à gagner des millions en organisant des mariages d’entreprises et des transactions financières dans une grande banque d’affaires. L’idée ne lui est pas venue qu’il n’est en rien un créateur, un inventeur, un ingénieur, mais seulement un membre du microcosme, comme tous ceux qui dans les affaires et dans la politique détiennent des postes qui demandent de l’habileté et des relations, non un travail dur et ingrat. Sans la moindre expérience de terrain, sans avoir affronté ce que les Romains appelaient la course aux honneurs, ce parcours des élus, qui d’un pouvoir local au pouvoir suprême, leur permet de connaître le pays, ses habitants, et les oblige à se livrer à ce délicat et épuisant exercice de la disponibilité et du service, pour pouvoir ensuite prétendre diriger la Cité dans le sens du bien commun, Macron a accédé immédiatement à la place qui était naturellement la sienne, qui lui revenait de droit. Du moins, le pense-t-il…
Le mépris, c’est chez Monsieur Macron comme le bras tendu du nazi Docteur Folamour dans le film de Stanley Kubrick, une marque de fabrique indélébile de l’oligarchie, de l’énarchie, du microcosme pour lequel la démocratie est une façade, quand le pouvoir est dans les coulisses. Affiché sans nuances dans ses dérapages, il transparaît plus finement dans la mise en scène présidentielle. Celle-ci table sur la réaction de la foule aux modèles que lui ont imposés les médias. La proximité, en chemise et cravate est un copié-collé d’Obama, cette catastrophe américaine brandie comme une idole médiatique chez nous. Le couple étonnant, avec cette épouse improbable, est destiné à susciter la sympathie, sinon la compassion. Les images jetées à la presse spécialisée ne sont pas volées, mais savamment dosées. Comment ne pas succomber à cette histoire d’amour qui défie les normes et le temps. Comment ne pas y être sensible ? C’est d’ailleurs une histoire analogue qui avait suggéré une des plus touchantes réparties de Pompidou, citant Eluard, lors d’une conférence de presse. Mais, ici, on n’est pas mort d’aimer. Il y a eu une Happy end. Le public peut être content, et si l’histoire n’est pas vraie, c’est encore plus fort.