Angela Merkel, élue et réélue, une fois avec l’alliance des libéraux, deux fois avec celle des sociaux-démocrates, jouit manifestement d’une grande popularité auprès des Allemands. Elle dirige le pays qui est devenu le poids lourd de l’Union Européenne, non seulement en raison de sa puissance économique, mais aussi grâce à son unité et sa continuité politiques. Il faut être aveugle pour ne pas percevoir le renversement du rapport de force entre la France et l’Allemagne. Certes l’industrie française ne peut pas rivaliser avec sa voisine d’Outre-Rhin, mais les fautes économiques lourdes des socialistes français et la lâcheté de la prétendue droite de notre pays pour les remettre en cause ont creusé l’écart jusqu’à atteindre d’autres secteurs, l’agriculture notamment, ce qui est un comble. L’Allemagne a cependant affronté avec la réunification un obstacle redoutable. C’est un gouvernement social-démocrate dirigé par Schröder qui a eu le courage de lancer les réformes qui ont redressé la compétitivité allemande. Angela Merkel s’est contentée d’engranger les bénéfices obtenus par son prédécesseur, de poursuivre modérément l’effort, et peut même aujourd’hui en distribuer les gains, par exemple avec l’instauration d’un salaire minimum.
La Chancelière allemande est une femme digne et simple. Elle suscite la sympathie du public européen. Les commentaires des journalistes sont généralement positifs. La comparaison avec l’image de Maggie, la Dame de Fer, est éloquente. A peine a-t-elle vu son étoile pâlir à cause de la fermeté dont elle a fait preuve dans le bras-de-fer avec la Grèce. Mais, tandis que les manifestants grecs se livraient à des raccourcis historiques infondés et injurieux, Angela laissait monter en première ligne son Ministre des Finances, et recevait le soutien de l’opinion allemande accrochée à l’idée d’une monnaie forte appuyée sur une gestion rigoureuse.
Sa gestion de la crise des migrants vient de dissiper le malentendu. Madame Merkel est une politicienne habile qui sait tirer profit des mouvements d’opinion. Ce n’est pas une femme politique qui a la dimension d’un grand homme d’Etat. Ce dernier doit être capable de défier les courants éphémères pour imposer le choix du Bien Commun au long terme. Les Britanniques avec Churchill avant guerre et Mme Thatcher en 1979 ont connu de tels personnages. Angela Merkel, c’est le contraire. Loin de redresser un pays qui s’est fourvoyé, elle reçoit un héritage politique plutôt positif qu’elle ne dilapide pas. Mais lorsqu’une question difficile se présente, elle adopte très rapidement la solution la plus conforme à l’opinion dominante, aux sentiment ou aux émotions qui la parcourent. Madame Merkel, c’est l’image plus que l’idée, celle de la « mère » employée en ce moment même par les candidats à l’immigration par exemple. C’est aussi le choix du court terme au détriment de l’avenir. Elle avait déjà tranché brutalement en ce sens après Fukushima et alors que ses chrétiens-démocrates perdaient leur bastion du Bade-Wurtemberg sous la pression des verts. Dans un pays peu enclin à subir tremblements de terre et raz-de-marée, elle avait brusquement accéléré la sortie de la filière électro-nucléaire. Certes, l’accent avait été mis sur les énergies renouvelables, mais les conséquences les plus immédiates ont été le recours au charbon, l’accroissement de la production de gaz à effet de serre (+2% en 2012), l’augmentation du prix de l’électricité, la diminution des exportations. A plus long terme, c’est la compétitivité allemande qui sera atteinte.
Cette fois, la faute est plus criante. Sous le coup de l’émotion provoquée par les naufrages en Méditerranée, par l’incendie volontaire d’un foyer d’immigrés, et finalement par une photographie qui a entraîné un tsunami médiatique, la chancelière allemande a lancé un message totalement irresponsable. L’Allemagne allait mettre sur la table 6 milliards d’Euros pour recevoir 800 000 migrants cette année. Elle ouvrait ses portes aux Syriens victimes de la guerre que subit ce pays. L’Europe se devait, d’après elle, d’accueillir les migrants du sud. Dans un premier temps, l’opinion allemande a réagi positivement, ravie de trouver là l’occasion d’effacer les traces de son passé. Mais, rapidement, les conséquences de cette annonce ont dépassé son auteur. Le flux migratoire s’est accéléré. Il a mêlé les immigrants économiques venus de partout aux « réfugiés » syriens. Il a débordé les capacités d’accueil des Allemands. Il a fait fructifier les affaires des passeurs et provoqué d’autres naufrages. L’Allemagne a donc décidé de rétablir son contrôle aux frontières dans un volte-face qui témoignait de la chienlit que sa politique avait suscitée en Europe.
La Syrie est menacée par les islamistes, mais il est hors de question que l’Allemagne participe à des opérations militaires contre eux, c’est-à-dire s’attaque à la cause, reconnue par elle, du déplacement de population. En revanche, pour y faire face, l’Allemagne a totalement ignoré Schengen. L’appel d’air qu’elle a provoqué a notamment eu pour résultat de mettre en difficulté un partenaire européen, la Hongrie, coupable… d’appliquer les accords en contrôlant la frontière des pays membres. Entre la Grèce qui n’applique pas les traités et l’Allemagne qui attire les migrants, la Hongrie a installé, à la frontière serbe, un filtre qui est parfaitement légitime. Or, c’est elle qui est critiquée. Mais, après avoir lancé une politique unilatérale, l’Allemagne se tourne maintenant vers ses partenaires pour leur forcer la main. Il est compréhensible que ses voisins orientaux qui tiennent plus qu’elle à sauvegarder leur identité culturelle et peuvent aussi compter sur les besoins en main d’oeuvre de l’Allemagne, ne soient pas enclins à favoriser l’invasion.
Certes, on pourrait dire que l’Allemagne vise, à long terme, à remédier au fatal vieillissement de sa population, et à assurer le renouvellement de sa main d’oeuvre. Cette réduction de la politique à l’économie est une infirmité de notre temps. La dislocation culturelle de l’Europe, les conflits communautaires, le développement du terrorisme sont des menaces beaucoup plus profondes sur notre avenir. Si on peut admettre l’intérêt d’une immigration contractuelle et mesurée, reconnaître l’impératif d’accueillir les vrais réfugiés, les chrétiens, par exemple, le remplacement de population est évidemment mortel. Angela Merkel n’a pas tenu à faire cette distinction. Elle a montré ses limites.
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