Il y a encore quelques mois encore le scénario était clair : Frigide Barjot, c’était la ligne irénique de la Manif pour tous, désavouée par un mouvement qui ne voulait lâcher ni sur le fond, ni sur la forme ; inversement, la nouvelle direction de la Manif pour tous adoptait une ligne sans équivoque, notamment sur le refus de l’union civile. Tout semblait parfait. La partition semblait impeccable. Le hic, c’est que l’éviction de Christian Vanneste des universités d’été de la Manif pour Tous semble donner une autre musique. Plutôt que de m’arrêter à cette anecdote, je préfère réfléchir sur ce qui pousse à une situation qui a surpris plus d’un observateur.
Tout d’abord, un mouvement, comme la Manif pour Tous ne peut s’affranchir d’un respect du discours médiatique, fût-il contesté et contestable. Cette contestation d’un certain modèle familial doit se faire en respectant certaines lignes. La Manif pour Tous est regardée médiatiquement, donc, d’une certaine manière surveillée (quand on se montre, on s’expose, et réciproquement). Si elle n’a pas l’irénisme de son ancienne égérie, elle n’a pas totalement rompu avec la prudence du « milieu ». Ces lignes, on les connaît : refus de l’homophobie – alors même que le concept et ambigu, admission d’une certaine pluralité des choix de vie, etc. On a reproché à Frigide Barjot de toujours vouloir les respecter. Y compris dans les moments les plus critique où la Manif pour Tous avait l’occasion de réaliser un « coup ». Il n’empêche que ces lignes continuent à exister et que rien n’indique que la direction actuelle de la Manif pour Tous s’en soit affranchie. Le voudrait-elle qu’elle ne le pourrait pas le faire entièrement.
Ainsi, à la différence de la Manif pour Tous, Civitas s’est clairement affranchi de ces pudeurs, quitte à assumer une relégation médiatique et sociologique. Son ampleur est plus limitée, alors que la Manif pour Tous reste un mouvement généraliste. La différence est que, Civitas est apparu dans un cadre (j’entends par là tout ce qui se situe dans la mouvance de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X) qui, intellectuellement et médiatiquement, était déjà en rupture avec le système. Il est beaucoup plus difficile de s’en distancer quand on est né dedans ou quand on l’avoisine. On pouvait clairement le dire pour Frigide Barjot qui, par son itinéraire, baignait dedans. Mais une fois partie, on remarque que cela ne change rien à l’affaire : les dirigeants de la nouvelle équipe ne sont pas affranchis du système. La Manif pour Tous s’est donc recentrée au cours de ces derniers mois, mais pas au point de soutenir un discours aussi ferme que celui de Civitas.
“On sait que lorsqu’on révèle, on fâche… On est trop poli. Les catholiques n’y échappent pas. Pourtant, se démarquer d’un consensus qui devient de plus en plus artificiel est une démarche salutaire et nécessaire. Ces bons esprits se souviennent-ils de cette remarque de Bernanos qui disait que le signe du démon était non la désobéissance, mais la soumission ?”
Les lignes rouges à ne pas franchir – l’expression est d’actualité… – sont toujours là. On peut dire que depuis ses propos polémiques et sa non reconduction aux élections législatives, Christian Vanneste sent le souffre. Y compris dans les cercles qu’il fréquente. Dans une société aussi permissive que la nôtre, il reste encore des totems et des tabous. Christian Vanneste est manifestement un de ces tabous. Pour tous les mouvements qu’il a pu approcher, il reste une figure embarrassante. Cela en dit long sur la question du paraître qui demeure la première question que tout groupe bien en vue et ayant pignon sur rue se pose. On comprend aussi pour quelles raisons Jean-François Copé préfère se rallier aux injonctions d’Harlem Désir ou de François Hollande sur l’excommunication du FN. Alors même que les électeurs et les sondés approuvent l’attitude de François Fillon, les contempteurs de ce dernier préfèrent se ranger au discours médiatique ambiant qui pourtant se fissure. Il serait intéressant de savoir qui craquera en premier, car, au rythme où vont les choses, des chapes de plomb sont en train de tomber.
Un autre élément peut expliquer cette délicate position : la logique du recentrage, qui reste inhérente à tous les mouvements qui rencontrent un certain succès. Quand on recueille une adhésion plus large dans une société comme la nôtre, c’est forcément au prix d’une certaine respectabilité. C’est, par exemple, ce qui peut arriver au FN, à moins que ce ne soit déjà le cas. Il faut alors devenir plus présentable et écarter tout ce qui rend suspect. Les figures de la veille finissent par être écartées au profit de personnes plus consensuelles. Ce mouvement est-il inéluctable ? Je ne sais. Mais en revanche, il convient que toute action soit entreprise avec des cadres formés, informés et lucides.
Plus généralement, on a beau dénoncer les nouvelles barbaries, la perte du savoir-vivre : cette observation est juste, mais elle ne résume pas totalement l’étrange société policée qui nous caractérise. On me pardonnera de citer Alain de Benoist, mais il n’est pas exagéré de dire que l’on ne fait pas la révolution avec des gens bien élevés… Nos combattants ont encore des réflexes de petits bourgeois, alors même que le succès des veilleurs et les accueils ministériels démontre que l’on gagne à être un peu plus provoquant. On n’aime pas critiquer et se démarquer pour ne pas choquer. On se rabat sur des démarches plus prudentes, mais bien moins courageuses. Il y a encore beaucoup de respect humain. On sait que lorsqu’on révèle, on fâche… On est trop poli. Les catholiques n’y échappent pas. Pourtant, se démarquer d’un consensus qui devient de plus en plus artificiel est une démarche salutaire et nécessaire. Ces bons esprits se souviennent-ils de cette remarque de Bernanos qui disait que le signe du démon était non la désobéissance, mais la soumission ?
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