C’est un air connu de la Ve République, le duo du Garde des Sceaux et du « premier flic » de France. Depuis Robert Badinter et Gaston Deferre jusqu’à Dominique Perben et Nicolas Sarkozy sur les peines planchers, les ténors de l’Etat régalien ont fait entendre leurs voix. Si Badinter a ému les âmes sensibles, par son aria sur la peine de mort, Nicolas Sarkozy a redonné l’avantage à l’intérieur grâce à son morceau de bravoure sur la répression des récidivistes et de la racaille. Il semble aujourd’hui qu’on joue le même opéra, avec un Valls qui reprend exactement le rôle de Sarko, l’ambitieux virtuose de la « com », mais cette fois non pas contre le technocrate ou le juriste, défenseurs des principes, mais contre une idéologue arrogante et vindicative. Hollande qui parlait de « réenchanter » a droit à une représentation de La Flûte Enchantée de grand style avec un Sarastro-Valls qui s’en prend à la Reine de la Nuit, coupable à ses yeux de ne pas mettre suffisamment et assez longtemps les gens à l’ombre. Pas de duo. Chacun chante son grand air de son côté. Valls choisit les colonnes du Monde, et reçoit le soutien de Ciotti, qui le présente comme le lumineux représentant de la République face au règne sombre et maléfique du gauchisme. Certes, ça ne va pas arranger les affaires du ministre avec Ayrault ni avec beaucoup de socialistes, mais, compte tenu des derniers sondages qui le voient battre Sarkozy dans un duel présidentiel, c’est de nature à lui apporter des voix de cette droite populiste, que les bobos méprisent, mais qui risque de « faire » la prochaine élection. Pas très élégant de laisser « fuiter » une lettre au Président dans un grand journal du soir, pas très sincère de se dire furieux de cette « fuite » organisée, mais habile, car après le malencontreux élargissement de Dreux et les explications hautaines, comme d’habitude, mais assez torturées dans le fond, de la ministre, Valls sait que les Français, qui à 70% pensent que la Justice fonctionne mal et manque de moyens seront de son côté.
“La Justice n’est pas un ministère voué à l’accompagnement social des individus.”
Le chœur des magistrats est divisé. Mme Taubira prétend s’appuyer sur leur avis, ce que conteste Valls. Effectivement, si le Syndicat de la magistrature, qui s’est tristement illustré avec le « mur des cons » soutient évidemment l’idéologie de la ministre, le syndicat majoritaire, l’USM se montre plus responsable en évoquant comme Valls, la question des moyens nécessaires à l’accompagnement, déjà insuffisants et inefficaces maintenant et qui le seraient davantage encore, si l’on appliquait la réforme Taubira, c’est-à-dire le moins d’incarcérations possibles au profit d’un développement du suivi judiciaire. L’enfer est pavé de bonnes intentions. Lorsqu’on a tendance à considérer le délinquant, non comme un individu dangereux parce qu’il choisit son intérêt ou la satisfaction de ses désirs au détriment des autres, mais comme la victime d’une société injuste qu’il faut « accompagner » vers son avenir radieux d’homme libre et de citoyen modèle, on oublie aisément que le but de la police et de la justice n’est pas de protéger l’individu contre lui-même à n’importe quel prix, mais avant tout de garantir la première liberté des citoyens honnêtes, leur sécurité. La Justice n’est pas un ministère voué à l’accompagnement social des individus. Sa priorité est d’assurer au contraire cette cohésion sociale qui naît de ce que les membres de la société se sentent protégés et croient que la « blessure infligée à la conscience collective » par le crime, comme le dit Durkheim, ne restera pas impunie. L’inversion des priorités entre l’individu et la société est doublement hypocrite : d’abord, parce qu’elle privilégie les individus coupables au détriment des individus victimes ; ensuite, parce qu’elle cache le but véritable de cette politique, qui consiste à refuser de construire dans notre pays le nombre de cellules nécessaires, comparable à celui des autres pays européens et à donner à la Justice un budget suffisant. La France est 34ème sur 40 en Europe, bien que sous les gouvernements précédents, la Justice ait toujours bénéficié d’un arbitrage budgétaire favorable. Une dépense de moitié inférieure et deux fois moins de juges que nos voisins : telle est la triste réalité !
“La politique ne consiste plus à diriger ou à régler les problèmes, mais à communiquer. Le fait de savoir si c’est une solution de mettre les délinquants « au violon » et s’il y a de la place pour les accueillir est secondaire.”
Alors, bien sûr que Valls a raison ! Mais, son bilan n’est pas glorieux. Certes, l’éloquence du menton fonctionne mais la délinquance augmente et les visites régulières à Marseille ou ailleurs n’ont pas endigué la montée d’une violence qui, au quotidien, affiche un mépris de la vie et de la dignité humaine aux antipodes des discours officiels. Cette situation est évidemment en rapport avec l’absence de maîtrise de l’immigration, également du ressort du ministre de l’Intérieur. Les propos du ministre sont habiles : il fait la distinction entre les gens du voyage, Français, victimes de l’insuffisante application de la loi obligeant les communes de plus de 5 000 habitants à réaliser des aires d’accueil, et ces « Européens de l’Est » dont il annonce les expulsions. De même, on remarquera sa volonté de stigmatiser l’extrême-droite à tort et à travers, son souci de témoigner de sa solidarité envers les musulmans, sa minimisation du fiasco de l’ordre public au Trocadero, sa répression musclée de la « Manif pour Tous » et la manipulation de l’information assortie de menaces dont il a usé à cette occasion. Il n’y a pas une intervention du brillant Manuel qui ne soit l’expression d’un calcul électoral : les « cathos » conservateurs de la « Manif pour Tous » ne voteront jamais pour lui, tandis que les autres… La politique ne consiste plus à diriger ou à régler les problèmes, mais à communiquer. Le fait de savoir si c’est une solution de mettre les délinquants « au violon » et s’il y a de la place pour les accueillir est secondaire. Valls aime le violon et sait en jouer.
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