Ni l’Allemagne, ni l’Autriche, ni les Pays-Bas n’ont accepté que des réunions publiques de soutien à l’apprenti-dictateur Erdogan se déroulent sur leur sol. En réponse, les gouvernements de Berlin et de La Haye ont été insultés et menacés de représailles par le maître d’Ankara qui est allé jusqu’à évoquer à leur propos le nazisme et le fascisme. L’outrecuidance du président turc à l’encontre de l’Europe n’est pas neuve. Elle fait partie du personnage et vient de franchir un pas de plus. Elle est inacceptable. Or, tandis que la ministre turque de la famille était expulsée des Pays-Bas et le ministre des affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, refoulé, la France accueillait ce dernier et autorisait une réunion publique à Metz durant laquelle il a appelé à voter en faveur de l’augmentation des pouvoirs présidentiels lors du référendum du 16 Avril. Cette décision est à l’évidence une honte. Elle porte atteinte à la dignité de notre pays. Elle confirme en quelles mains il est tombé depuis qu’il y a cinq ans une foule brandissant des drapeaux étrangers fêtait l’élection de François Hollande sur la place de la « République ».
La Turquie est un pays inquiétant. Son passé ne plaide pas en sa faveur. Lorsqu’elle était l’Empire Ottoman, elle a menacé l’Europe occidentale pendant des siècles, assiégé Vienne à deux reprises, et occupé lourdement le sud-est du continent. Lors de sa défaite durant la première guerre mondiale, elle a pratiqué un génocide monstrueux qu’elle refuse toujours de reconnaître. Les Chrétiens représentaient un tiers de la population sur son territoire actuel. Les Arméniens ont été massacrés dans des conditions horribles, les Assyro-Chaldéens ont subi le même sort, les Grecs ont été persécutés. La majorité des survivants n’a trouvé son salut que dans l’exode. La Turquie actuelle ne comprend que 2% de chrétiens. Ce pays est le fruit d’une invasion et d’une colonisation où les envahisseurs ont « remplacé » les habitants. Le rivage turc était grec depuis l’antiquité. Istanbul s’est appelée Constantinople ou Byzance et était la capitale de l’Empire romain d’Orient. Aujourd’hui, une dernière minorité est réprimée. Il s’agit des Kurdes, musulmans, mais d’une ethnie différente, qui attendent depuis 1918 que la promesse d’un Etat réunissant les régions où ils sont majoritaires en Turquie, en Irak, en Syrie et en Iran soit tenue. C’est pour s’opposer à la montée en puissance des Kurdes que la Turquie intervient sur le territoire syrien. Elle le fait apparemment aux côtés de l’Armée Syrienne Libre et contre l’Etat Islamique. La première n’est qu’un paravent. Le second, un prétexte. L’ASL est une force virtuelle bien incapable d’agir seule. Quant à l’Etat islamique, la Turquie l’a soutenu contre Bachar Al-Assad jusqu’à une date récente. La chute du gouvernement légal syrien était l’objectif prioritaire d’Ankara, en grande partie responsable de la guerre civile chez son voisin. Ce but manqué, il s’agit pour Erdogan d’empêcher que les deux régions kurdes frontalières qui ont gagné leur autonomie se réunissent. L’opération « Bouclier de l’Euphrate » a pour finalité d’enfoncer un coin entre les deux zones tenues par des Kurdes du PYD, le cousin syrien du PKK, ennemi juré d’Erdogan. La situation actuelle est d’une rare confusion qui a le mérite paradoxal de révéler la duplicité turque. A l’Est, autour de Manbij, se tiennent les « Forces Démocratiques Syriennes » et les Kurdes de l’YPG, soutenus par les Américains. Au nord, jusqu’à Al Bab, se trouvent les Turcs et leurs alliés de l’ASL, qui ont bénéficié du soutien aérien russe en remplacement de celui des Etats-Unis. Des escarmouches se produisent entre ces deux forces. L’Armée syrienne, elle aussi soutenue par la Russie, qui parvient à user de ses bons rapports avec les Kurdes et de sa réconciliation avec la Turquie, a occupé une bande de territoire au sud, bloquant ainsi la progression turque et permettant aux Kurdes et à leurs alliés de se concentrer sur la prise de Raqqa, encore aux mains de l’Etat islamique. Il est clair que si la Turquie, gardienne des détroits, était un allié précieux de l’Occident contre l’URSS, sa présence dans l’OTAN n’a plus de sens, si toutefois l’organisation en possède encore un. Ankara poursuit une politique étroitement nationaliste dont les objectifs et les alliances sont sans lien avec son appartenance à l’OTAN. Son occupation illégale du nord de Chypre, membre de l’Union Européenne, est un motif plus ancien mais toujours actuel de suspicion.
A l’intérieur, le président Erdogan, dont les tendances autoritaires étaient perceptibles à l’origine, a accentué sa dérive depuis la tentative de coup d’Etat du 15 Juillet 2016. L’opposition est muselée, la liberté de la presse compromise. Plus de cent-mille fonctionnaires, militaires, policiers, magistrats, membres des services d’éducation ou de santé ont été révoqués. Des milliers d’associations et de médias ont été supprimés. Et le Président veut encore plus de pouvoirs. Tel est l’objet du prochain référendum qui vise à accroître la mainmise d’un homme et d’un parti, l’AKP dont l’orientation totalitaire, nationaliste et islamiste, ne fait plus de doute. Que sa propagande soit doublement malvenue en Europe est une certitude. Elle est à la fois contraire à nos valeurs communes et provocatrice. Des étrangers n’ont pas à se comporter comme en terrain conquis en déployant leurs drapeaux et en s’appuyant sur les droits des citoyens qu’ils ne sont pas pour faire chez nous la propagande en faveur de la restriction des libertés chez eux. Sans doute y a-t-il des double-nationaux parmi eux qui se diront citoyens. Cela montre assez le problème que pose la double-nationalité dès lors qu’elle correspond à une masse dont l’intégration est douteuse. A Metz, le gouvernement a dû une fois de plus mobiliser des policiers pour protéger la manifestation que des opposants, Kurdes notamment, entendaient contester. Une telle soumission à la volonté du nouveau sultan ottoman est inqualifiable. Le manque de solidarité à l’égard des pays européens insultés est une lourde faute, l’une des dernières sans doute d’un mandat qui aura manqué de cohérence et de grandeur, à moins que sa cohérence n’ait résidé dans une soumission servile aux désirs de ses « amis » musulmans. L’acharnement impuissant contre Damas, l’aide apportée aux rebelles syriens, comme l’accueil de Mevlut Cavusoglu à Metz semblent le suggérer.
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