Le Printemps arabe a été une supercherie orchestrée par des puissances convergentes qui ont utilisé les vecteurs médiatiques considérables dont elles disposent pour désinformer massivement les populations occidentales. L’idée principale reposait sur la transposition dans le monde arabe des révolutions européennes qui avaient brisé l’empire soviétique, cette fois pour remplacer les dictatures « laïques », souvent liées à l’armée, qui régnaient dans cette région du monde, héritières d’un nationalisme arabe réduit à chacun des Etats. Au premier rang de ce mouvement figuraient les Frères musulmans, au pouvoir en Turquie avec l’AKP d’Erdogan, et qui étaient parfois présentés comme l’équivalent musulman des démocrates chrétiens, comme si politiquement les deux religions, celle du Christ dont le royaume n’est pas de ce monde, et celle de Mahomet, chef de guerre et fondateur d’un empire terrestre, étaient comparables. La Turquie et le Qatar ont donc soutenu les révoltes dénuées de spontanéité qui se sont répandues de la Tunisie à la Syrie. Les ONG mondialistes qui ont financé les « révolutions de couleur » ont également encouragé le Printemps arabe : celui-ci devait emporter des régimes conservateurs, faire tomber des frontières. L’alliance paradoxale entre l’islam rigoriste modernisé des Frères et l’individualisme sans frontières et déconstructeur est paradoxale. Elle réunit des ennemis sur les fondamentaux, mais qui ont le même adversaire. Celui-ci, le conservatisme national est incarné par un pays qui, par une ironie de l’histoire, est passé de l’internationale socialiste au conservatisme, à la défense des valeurs religieuses, chrétiennes notamment, familiales et patriotiques, la Russie. Il est la cible à la fois des islamistes, des terroristes en particulier qui ont un moment soustrait la Tchétchénie à son autorité, et des mondialistes aux priorités desquels il fait obstacle. Un indicateur marginal dans les faits mais essentiel symboliquement est constitué par le rapport aux revendications LGBT, primordiales pour le progressisme mondialiste et rejetées par les conservateurs, aussi bien dans le monde chrétien que chez les musulmans, d’ailleurs. Pour compliquer encore cette alliance, on doit y ajouter les néo-conservateurs américains qui semblent subir un blocage mental à propos de la Russie qu’ils considèrent toujours comme l’ennemi principal, comme si la guerre froide n’était pas terminée. Leur but est de faire triompher partout la démocratie à l’américaine. On voit à quel chaos cette entreprise a mené en Irak. On sait à quel point la démocratie peut revêtir des formes différentes y compris en Europe.
Le Président français est idéologiquement proche de cette convergence. C’est une sorte de « démocrate » américain, beaucoup moins libéral que les « libéraux » d’outre-atlantique, mais partageant leur progressisme sociétal et leur ouverture aux différences, y compris celle qui revendique pourtant la fin de toute différence dans l’Ouma universelle. C’est avec de telles idées que l’idole médiatique Obama avait conduit, après avoir encensé l’islam au Caire en 2009, à la catastrophe du Printemps arabe et à l’Etat islamique. La chute de l’empire soviétique avait ouvert la voie à cette grande recomposition du monde mêlant les ambitions des partisans de la domination américaine sur le monde, ceux du réveil islamique, et ceux du progressisme sans frontière. L’alliance tactique entre l’islamisme et les Etats-Unis, qui avait si bien réussi en Afghanistan contre les Russes, avait poursuivi sa course comme un canard sans tête jusqu’en Europe, dans l’ex-Yougoslavie. L’effondrement des tours du World Trade Center n’avaient pas modifié la convergence en profondeur puisque les Etats-Unis avaient utilisé ce prétexte pour s’en prendre à l’Irak, qui n’y était pour rien, mais sera le premier domino du nationalisme arabe à tomber, avant même le printemps arabe, par une invasion, et non sous l’apparence d’une révolte. Ce pays fut la boîte de Pandore qui aurait pu révéler la complexité des forces en présence et dissiper l’illusion du Printemps arabe avant même sa naissance. Il n’en a rien été. Pourtant, la marche vers la démocratie de l’Irak passait par l’arrivée au pouvoir de la majorité chiite et par la reconnaissance de l’autonomie kurde. Paradoxalement, en mettant le chiisme à la tête de l’Etat, les Etats-Unis favorisaient l’influence de leur adversaire iranien à Bagdad, et suscitaient la crainte de leur grand allié sunnite, l’Arabie saoudite, toujours soumise au salafisme wahhabite.
Le Printemps arabe apparu comme un grand mouvement idéologique correspondit en fait au retour des réalités nationales qui sont le véritable terrain de la géopolitique. Or, le trait dominant des Etats régionaux est que leur fragilité interne semble alimenter leur dynamique externe. L’Iran, de plus en plus isolé, frappé par ces sanctions qui ruinent son économie, tarissent sa production pétrolière et favorisent l’inflation, s’est lancé dans une expansion chiite qu’il mène du Yémen au Liban en passant par la Syrie où il appuie le cousin alaouïte Assad. Ennemi n°1 des USA, il combat avec les Russes en Syrie et contre les Saoudiens au Yémen, mais entretient pourtant de bonnes relations avec la Turquie et le Qatar. Sa population, l’une des plus nombreuses et des mieux éduquées de la région supportera-t-elle longtemps le poids de cette ambition au détriment du développement intérieur ? Son ennemi le plus direct est l’Arabie saoudite, elle-même bien fragile malgré sa richesse, en raison de son sous-développement et des risques qu’un développement trop rapide ferait courir à une société composite et archaïque. Se vouloir à la fois le centre de diffusion de l’islam le plus rigoriste et le grand allié des Américains oblige à des contorsions : par exemple, ne plus guère soutenir les Palestiniens contre Israël en abandonnant ce rôle aux deux ennemis, les Frères musulmans et l’Iran. C’est de cette contradiction qu’est né Al-Qaïda avec le saoudien Ben Laden. La Turquie, en proie à des difficultés économiques et à la peur pathologique des minorités ethniques, qui en a fait le premier Etat génocidaire du XXe siècle, a un gouvernement que des élections municipales ont récemment affaibli. Ce revers le conduit a flatter le nationalisme turc cette fois associé au prosélytisme sunnite, contrairement au kémalisme laïc, et à mener une action impérialiste. Son allié est le Qatar, mis en quarantaine par les Saoudiens et les Emiratis, nain politique mais géant économique qui complète d’autant plus la Turquie qu’il abrite le centre des Frères musulmans et leur relais médiatique, Al-Jazeera. Youssouf Al-Qardaoui, leur théologien de référence, basé à Doha, considère Erdogan comme le prochain Calife de l’islam. Voilà qui entretient le rêve d’un nouvel empire ottoman appuyé sur le jihad des Frères. (à suivre)