En France, la lutte contre le travail bat son plein

On l’a vu avec Myriam El Khomri, la stagiaire qui a hérité du Ministère de l’Emploi : il ne faut pas beaucoup de bricolages, mêmes minimes, sur le code du travail pour transformer un sujet déjà épineux en bombe à sous-munitions. Il faut se rendre à l’évidence : en France, toute modification du code du travail est complètement illusoire.

Je l’ai déjà écrit plusieurs fois : il y a en France bien trop de forces devenues effectivement « conservatrices » (dans le sens où elles ne veulent qu’une chose, conserver le statu quo) pour qu’une réforme même timide du travail puisse avoir lieu.

Bien sûr, la récente tentative du gouvernement prête à sourire tant elle cumule à la fois le côté amateur si spécifique aux clowns qui héritent du pouvoir sur un malentendu et du côté absolument imbuvable de nos législateurs, incapables de pondre autre chose que des lois alambiquées, longues comme un jour sans pain et dans le sabir habituel des orchidoclastes. Mais à la décharge de ces tristes sires, les précédents gouvernements n’ont pas mieux réussi dans cette entreprise finalement vouée à l’échec.

Sur les quarante dernières années, les Français ont en effet choisi d’accumuler les lois et les règlementations pour garantir non que créer des emplois serait simple, mais plutôt qu’une fois un emploi obtenu, le salarié serait pour ainsi dire indéboulonnable. Tout a été fait pour que d’un côté, mettre fin à un contrat de travail relève du parcours du combattant pendant que, de l’autre, rien n’a été entrepris pour rendre simple et rapide la création d’un nouveau poste ou d’un nouvel emploi.

Malheureusement, cette habitude désastreuse, installée au fil des décennies, entraîne des effets de bords extrêmement néfastes.

D’une part, cela verrouille la position du salarié au sein de l’entreprise ce qui rend toute nouvelle embauche extrêmement risquée pour elle : une erreur de casting coûte extrêmement cher, et pas seulement au niveau du salaire. En réalité, ce dernier, y compris en tenant compte des charges sociales et patronales, n’est qu’un élément dans la prise de décision de l’entreprise qui doit aussi factoriser les coûts d’une rupture de contrat après les périodes d’essai, et celui des éventuels « accidents » juridiques aux prudhommes qui interviennent assez régulièrement et dont l’issue est très majoritairement défavorable aux entrepreneurs.

D’autre part, ces réglementations entretiennent un état d’esprit par nature immobiliste : on s’habitue à des facilités, à un nombre élevé de congés (la France reste un pays où le nombre de jours de congés payés, ainsi que le nombre de jours fériés au cours de l’année sont parmi les plus élevés dans le monde). C’est véniel, mais cela entraîne aussi l’habitude d’un chômage de plus en plus important. Par différentiel, ceux qui ont un emploi deviennent les défenseurs d’un bastion de plus en plus assiégé par ceux qui n’en ont pas, et plus augmentent les avantages des uns, plus les coûts d’embauche grimpent, plus s’installe le chômage des autres, la facture globale restant à la charge de la société toute entière.

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Par voie de conséquence, contre l’augmentation du chômage consécutive à cette augmentation du coût d’embauche, on a mis en place des douzaines de mesures pour accompagner ce chômage, le rendant sinon socialement accepté, au moins financièrement moins douloureux. Pour le financer, on a logiquement et solidairement ponctionné ceux qui travaillent, accroissant encore les coûts d’embauche. Parallèlement, on a multiplié les mesures périphériques pour ceux qui ne trouvaient pas d’emploi du fait de ces risques élevés d’embauche. Dans une magnifique boucle rétro-active vicieuse, plus le chômage augmente et plus les citoyens se sont tournés vers l’État et les politiciens pour se protéger, ce qui n’a fait qu’accroître le problème…

Jusqu’au point où il devient effectivement plus rentable de rester au crochet de l’État que d’essayer de devenir indépendant, comme le relate Aurélie, travailleuse pauvre qui en vient à tenter une grève de la faim pour faire connaître son cas ubuesque.

Mariée et mère de deux enfants, elle a décidé de prendre une activité salariée pour ne pas être dépendante des aides de l’État. Bien mal lui en a pris puisque la plupart de ses aides auxquelles elle avait droit auparavant ont disparu. Son couple gagnant un peu plus de 2 000 euros par mois et devant employer une assistante maternelle pour ses enfants, une fois son salaire, les factures courantes et le loyer déduit, il ne leur reste plus qu’une poignée d’euros pour survivre.

Le pompon étant bien sûr que les services sociaux, alertés de la situation invraisemblable, se sont contentés d’une remarque lapidaire, « vous êtes bêtes d’aller travailler », qui résume un peu trop bien la mentalité d’un pays qui ne comprend plus où est son intérêt puisqu’il a mis en place une véritable lutte contre le travail et toute forme de création de richesse.

Du reste, le cas d’Aurélie n’est même pas exceptionnel. D’après l’INSEE, il est même… banal : selon une étude de l’Institut parue lundi dernier, un actif sur deux voit sa hausse de revenu d’activité annulée de moitié par les impôts ou par la baisse de prestations sociales.

antigone-code-du-travailOr, si la situation n’est pas bonne actuellement, elle ne peut qu’empirer dans les prochaines années alors que nous nous apprêtons à vivre une nouvelle révolution industrielle à côté de laquelle celle provoquée par l’arrivée d’internet ressemblera à une petite balade de santé pépère : la robotisation massive, couplée à l’usage de l’intelligence artificielle, est en passe de modifier de façon si profonde le futur marché du travail que toute société qui n’aura pas la souplesse légale, économique et intellectuelle de s’y adapter s’en retrouvera complètement larguée.

Comme le fait fort justement remarquer Vincent Bénard, peu importe ce que les gouvernements socio-démocrates et démagogiques pourront tenter de mettre en place pour instaurer des barrières au remplacement des emplois existants, ces remplacements auront lieu de façon inexorable. Aucune barrière réglementaire ne protègera les « vieux » emplois contre l’arrivée de l’intelligence artificielle, pas plus que la ligne Maginot n’a protégé la France de forces armées très mobiles.

En lieu et place de cette lutte pied à pied déjà vouée à l’échec, les gouvernements doivent donc abaisser les barrières à la création de nouveaux emplois. Or, bien avant le « coût du travail » tel qu’il est conçu en France (au travers des charges), c’est bien les myriades de protections aux emplois déjà établis, couplées à un coût du capital devenu prohibitif dans ce pays, qui constituent les vraies barrières à abaisser.

Malheureusement, comme le constatent Aurélie et tant d’autres dans leur travail quotidien, aucun des discours actuellement tenus par nos politiciens, notre presse, nos économistes, et pire, le patronat lui-même ne tend à simplifier et alléger les contraintes liées au travail. Au contraire, même…

Dès lors, ce pays est foutu.

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