En 1997, paraissaient « Le Monde est ma tribu » de Guy Sorman et « La Mondialisation heureuse » d’Alain Minc. Le mondialisme était en marche sur la route en sens unique et à deux voies du marché et du droit. Les débris du monde soviétique gisaient sur le bord de cette route, entre désordre et corruption, mais avec l’envie d’y entrer pour participer à la grande fête capitaliste qu’avaient déjà gagnée quelques apparatchiks reconvertis en milliardaires. Bill Clinton, l’heureux héritier de 12 ans de redressement américain depuis l’élection de Reagan, domine le monde à la tête de l’unique super-puissance. Il le fait avec de beaux discours sur la « nouvelle gouvernance pour un nouveau siècle », avec quelques idées et beaucoup de désinvolture. L’ennemi est le nationalisme, aussi bien celui des Serbes que celui des baassistes irakiens. Contre lui, l’OTAN étend son périmètre, l’Europe dans l’enthousiasme né de la chute du mur s’élargit à l’est et se prépare à l’approfondissement de la monnaie unique avec le Pacte de Stabilité et de Croissance imposé par l’Allemagne à ses partenaires. Les Américains connaissent une ère de prospérité marquée par un chômage à 4%. Malgré la crise du sud-est asiatique et le désordre dans plusieurs pays africains, le monde se prépare à quelques années de croissance. L’OMC libère les flux financiers. 160 pays signent le protocole de Kyoto sur la limitation des émissions de gaz à effet de serre. La planète va connaître jusqu’au 11/09/2001 une période d’euphorie marquée par le passage au nouveau millénaire. Le Président Chirac, inquiet à contre-temps, décide avec son intelligent Premier Ministre Alain Juppé de dissoudre l’Assemblée. Les socialistes seront au pouvoir pendant cette période et en profiteront pour installer les 35 heures !
Tandis que sur la scène mondialisée le spectacle du ballet des rencontres entre « maîtres du monde » concentre les regards, dans les coulisses d’autres acteurs se préparent. Pour l’instant, sous le règne du droit et du marché, les technocrates et les acteurs du monde économique, les « sachants », ceux qui connaissent les traités et les règles, gèrent un monde unipolaire soumis à la pensée unique. Mais, trois menaces montent sourdement contre l’édifice. La première est le réveil de la communauté musulmane sunnite. Elle a été utilisée par les Etats-Unis pour ébranler la puissance soviétique en Afghanistan. Le djihadisme financé par la richesse du Golfe, où plusieurs Etats encouragent le salafisme, s’est imposé à Kaboul après le départ des Russes. Les « Afghans » font régner la terreur en Algérie. Les Américains abandonnent la Somalie à son anarchie. Depuis, avec le concours des occidentaux et leur obsession d’imposer partout leur conception de la démocratie et du droit, notamment aux pays soumis à des dictatures militaires et nationalistes, le fondamentalisme sunnite et sa violence se sont répandus, en Afrique en Libye et au Nigéria, enserrant les fragiles Etats du Sahel, au Moyen-Orient, où l’Etat islamique détient toujours une grande partie de la Syrie et de l’Irak, en Asie enfin.
La seconde menace est le retour des nations. Les plus puissants Etats-Nations, la Russie ou la Chine, font valoir leur force et leur identité face à l’emprise américaine. L’une des armes pour affaiblir l’Etat national était de l’émietter. L’explosion de l’URSS, le dépeçage de la Yougoslavie, et plus paisiblement les autonomies amorcées par Blair en Ecosse et au Pays de Galles allaient dans ce sens. Russie et Chine s’opposent à ce processus. Moscou cherche même à l’inverser en reconstituant sa sphère d’influence. L’Iran chiite est-il le rival religieux du sunnisme ou l’expression du nationalisme perse ? Le jeu ambigu de la Turquie n’est-il pas, par le biais de la religion, de restaurer la puissance ottomane ? Pendant des millénaires, les Juifs ont été les victimes du nationalisme. Il y a à l’évidence, de nos jours, un nationalisme israélien. L’Egypte, ce pays millénaire qui a, dans son histoire, connu de grands moments d’affirmation nationale avec Mehemet Ali ou Nasser, n’est-elle pas en train d’y revenir avec le maréchal Sissi ? Le nationalisme n’est-il pas le meilleur rempart contre l’islamisme ?
La troisième menace est constituée par le refus des peuples. L’idéologie dominante à force de vouloir fonder la démocratie sur la hiérarchie du droit couronnée par les Droits de l’Homme et organisée par les traités avait fini par oublier que la démocratie est avant tout le pouvoir du peuple, c’est-à-dire de la Nation. En 2005, les Français puis les Hollandais avaient refusé la Constitution Européenne. L’écueil avait été contourné tandis que les partis souverainistes progressaient partout en Europe. Il est hautement symbolique que le pays qui passe pour avoir inventé la démocratie soit aussi celui qui en brandit l’étendard de la révolte aujourd’hui. La Grèce a voté et elle a choisi un gouvernement qui veut rester dans l’Union Européenne sans en respecter les traités. Ce choix est-il absurde ou montre-t-il seulement l’hypocrisie du système ? Ou la Grèce est une démocratie et son peuple est souverain, ou il ne l’est pas. Dans le premier cas, le vote populaire est décisif et l’Europe doit en tirer les conséquences en demandant à la Grèce de partir. Ou le vote des Grecs est idiot, et la « sagesse » des traités et de la Troïka doit s’imposer aux rêveurs imprudents. Les traités et le droit seront respectés, mais la démocratie ne sera plus qu’un leurre. On dit que pour aider la Grèce, la Russie de Vladimir Poutine serait prête à créer un axe orthodoxe…
L’illusion politique du mondialisme se dissipe alors que la mondialisation des échanges se poursuit. De crise en crise, avec son lot de trafics en tous genres, la mondialisation économique n’est pas heureuse, mais elle semble inévitable. Toutefois, les tribus du monde ne se sont pas mélangées. Les communautés religieuses, culturelles, nationales affirment leurs différences et notamment leurs conceptions différentes du droit. Pour sauver la démocratie et le droit et faire en sorte que les marchés ne soient pas abandonnés à des bandits, l’Etat-Nation est indispensable. C’est seulement à travers lui que les peuples peuvent exprimer leur volonté générale, et que l’Etat peut, au nom de la Nation, faire appliquer le droit.
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