« Je suis un président social-démocrate », déclarait François Hollande lors de sa conférence de presse du 13 janvier dernier. Dans une posture pleine d’assurance, voire de morgue, l’homme a brandi son « pacte de responsabilité » à la tête des journalistes, trop obséquieux pour être incisifs, et des téléspectateurs, trop confinés pour se faire entendre. Il a brandi ce pacte comme le sésame de l’entrée dans une soi-disant ère nouvelle, mais les mots avaient-ils le sens qu’il leur a donné, ou qu’il a feint de leur donner ? Car, souvent, en ces temps de normalisation du rire, les mots sont employés dans un sens différent de celui de l’habitude, de la common decency chère à Orwell. Il y a loin de la coupe aux lèvres, ou, pour citer Camus : « Mal nommer les choses ajoute aux malheurs du monde ».
Tout d’abord, un point d’éthique. À de multiples reprises, le président a été questionné sur sa nouvelle liaison et sur la confusion qui règne quant à la position de l’actuelle « première dame ». Celle-ci, nous apprend-on, serait hospitalisée. On le serait à moins ! En déclarant que toute cette question relève du champ privé, François Hollande joue de la confusion sémantique et brandit des éléments de langage. Il nomme mal les choses. Certes, si la première dame est entrée « en disgrâce », celle-ci relève en premier lieu d’une modification de sentiments, lesquels sont d’ordre strictement privés. En, revanche, l’ampleur de la disgrâce est liée au statut très public des protagonistes. Cela est implicite. L’ampleur de la disgrâce est implicite en ce qu’elle procède de facteurs externes aux sentiments qui la provoquent. Et François Hollande ne peut pas, decently, en vouloir au magazine Closer de révéler ce qui mille autres auraient révélé tôt ou tard, et que tous savaient déjà. L’honneur commanderait de mettre les choses au clair, céans, sans attendre. Tergiverser est infamant. Mais feindre d’ignorer que la disgrâce de la première dame est autant publique que privée, cela augure très mal du sens des responsabilités d’un homme qui prétend par ailleurs remettre le pays sur les rails de la prospérité avec un « pacte de responsabilité ». Comme l’on voit, l’usage des guillemets est permanent dans le discours présidentiel. Et la propriété des guillemets, c’est qu’ils ne se voient pas l’oral (Les guillemets ne doivent servir qu’à citer !).
De ce pacte, qu’en est-il ? Les entreprises bénéficieront de la suppression des charges familiales qui pèsent sur elles. Enfin, s’exclame-t-on dans les rangs du MEDEF. Cela représente un pactole de quelques trente milliards. Mais il y a des contreparties : la conversion des 20 milliards du CICE et des engagements d’embauche. À propos de ces derniers, le président du MEDEF est très clair, il ne saurait y avoir d’engagements contractuels. Les embauches, en effet, ne peuvent être faites qu’au vu d’un plan de production (le business) et non d’allègements de charge. Soit ! Il y a tout de même une avancée de quelques 10 milliards, ce qui n’est pas rien, et le MEDEF a raison de s’en féliciter. Cependant, il faut trouver les économies correspondantes et c’est là où le bât commence à blesser. C’est un endroit du discours où le président devient subitement évasif voire lyrique. Des économies dans les collectivités territoriales ? On laisse entendre que le nombre de régions pourrait diminuer. On laisse entendre beaucoup de choses, mais sans insister, sauf à faire comprendre « vous allez voir ce que vous allez voir ». Un chiffre apparait : cinquante milliards dans les dépenses de l’État. Fichtre ! Qui dit mieux ? La chose est d’autant plus grotesque que la plupart des emplois aidés (censés inverser la courbe du chômage) ont été déployés … dans les structures de l’État. D’autant plus grotesque que les réformes Lebranchu de la territorialité (avril 2013, dossier dont je recommande la rhétorique), loin de simplifier le mille-feuille, en rajoutent une couche. Nous avions la commune, la communauté de communes, le département et la région. Nous aurons la commune, la communauté de communes, le département, la région ET la métropole. « Va comprendre, Charles ! », pour citer un personnage d’Audiard. Bref, avant qu’un début de soupçon d’économie n’apparaisse dans les dépenses de l’État français (hormis les dépenses de stylos des petits bureaux), la banquise aura eu le temps de fondre !
Mais, non sans superbe, le président prétend introduite de la social-démocratie en invitant les partenaires à « négocier » les « ajustements » de son « pacte de stabilité » (Je fais usage de guillemets, à la fois pour citer, mais aussi pour rappeler que le président avait fait un usage métonymique de ses propos). Quelle est la réalité de cette prétendue social-démocratie ? Les partenaires invités à négocier n’auront pas le choix : dix milliards d’économie à trouver, en l’absence de réduction réelle du train de vie de l’État, cela se traduira par des compensations ou en CSG ou en TVA, c’est-à-dire en pouvoir d’achat. Et Pierre Laurent, le chef du PC, est fondé à dénoncer un marché de dupes. Le MEDEF quant à lui joue un jeu dangereux à laisser penser le contraire. En effet, les compensations en économies devront se trouver dans les services de l’Etat. Si donc, en vertu d’une prétendue social-démocratie au nom de laquelle l’État s’abstiendrait d’intervenir, le principal pourvoyeur d’économies est absent… ! On voit bien que les dés sont pipés : en réalité, le pouvoir en place n’entend en rien diminuer les périmètres de l’État-providence qui constituent aussi sa base électorale. La vraie social-démocratie eut consisté, au lieu d’hypothétiques réformes à venir, à mettre en chantier de réelles réformes dès 2012. Mais l’apparence de réformes à venir produit un contre-feu (un de plus) au résultat prévisible des prochaines élections municipales.
Au final, François Hollande n’a pas dit grand-chose, mais il en a tenu son public en haleine pendant près de trois heures. L’exercice a été conduit non sans habileté. Le président avait la main et il l’a prise. Nul ne peut lui contester l’aggiornamento qu’il fait de certaines « erreurs » socialistes passées et de l’apparente ouverture en direction de la finance et de l’entreprise. Il gagne six mois. Cependant, le crédit gagné à faire bouger certaines lignes fera oublier le dol qui continue de résulter de celles (les plus importantes) qui n’ont pas été bougées. Le déni persiste. Il a simplement changé d’apparence. Il se revendique désormais social-démocrate voire libéral. L’imposture s’est drapée derrière un voile supplémentaire, mais la réalité est têtue. Dans quelques jours, les agences de notation qualifieront à nouveau le pays. La dégradation peut tomber, les instruments d’un nouveau déni sont en place !
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