Les feux de la rampe se sont éteints pour Johnny Hallyday. Sa disparition aura éclipsé un certain nombre d’autres événements et aura revêtu un large éventail de significations dont l’entrecroisement est peut-être le signe de l’état de confusion où est parvenu notre pays. Sans doute, ceux qui ont pleuré sa mort, ont-ils vu à travers leur douleur sincère, une petite éclaircie de certitude dans un ciel bien obscurci. Ils étaient massés le long des Champs-Elysées et de la Concorde à la Madeleine, sur cette croisée de perspectives entre Arc-de-Triomphe et Louvre, Palais-Bourbon et église catholique de l’âge classique bâtie comme un temple grec. Ce lieu est sans doute le plus symbolique de la France tant il croise les régimes et les époques et est connu du monde entier. Une dame se disait fière d’avoir assisté à un moment historique. Justement non ! Johnny n’était pas un héros. Il n’a en rien pesé sur l’Histoire de France. Mais l’hommage populaire d’une dimension exceptionnelle qui lui a été rendu en raison du rayonnement de son image dans la représentation que plusieurs générations se font de leur pays a été un événement en soi, une sorte de photographie de la France d’aujourd’hui, qui tient plus de la sociologie que de l’histoire.
Deux aspects peuvent en être soulignés. D’abord, dans notre société, l’affectivité n’a jamais été aussi envahissante dans les grandes manifestations publiques. L’émotion s’épanche, se répand, oblige chacun à témoigner de sa sensibilité, de son empathie, de sa compassion. Gare à celui qui l’oublie ne serait-ce qu’un instant, de Lelouch, filmant les amis éplorés avec son portable sous le regard peu amène de Line Renaud, à Mélenchon déversant quelques outrances laïcardes, violentes et anachroniques, sur une cérémonie religieuse que le défunt et sa famille souhaitaient. L’émotion est reine dans une société qui s’est féminisée. L’on s’est habitué aux bougies et aux fleurs, mais les unes se consument, les autres se fanent. L’émotion est reine d’un jour. Elle appartient à cette part des sentiments qui est passive, qui subit plus qu’elle ne mobilise l’énergie. On l’a bien vu après la tuerie de Charlie Hebdo d’où il n’est rien sorti qu’une vente exceptionnelle, et une absence totale de cohérence dans les actions politiques pour défendre la liberté d’expression et combattre l’islamisme. La dérisoire agitation de la pensée qui se dit libre et appelle à la censure des crèches et des croix qui ne font de mal à personne souligne à quel point de confusion nous sommes arrivés. D’une certaine manière, l’affirmation chrétienne de Johnny, après une vie qui n’avait pas été celle d’un enfant de choeur, est un pied-de-nez réjouissant aux esprits congelés dans les combats d’une autre époque. Mais elle montre aussi combien la nôtre a atteint un haut niveau de relativisme qui ne rend pas les pensées très claires.
Certains ont cru également devoir pointer du doigt l’homme de droite qu’aurait été Johnny Hallyday. En fait, la ferveur de l’adieu qui lui a été offert témoignait surtout de la distance que les Français ont avec la politique. Aucun homme politique ne pourrait rassembler pareille foule autour de lui, à sa mort. Des huées ont été entendues lorsque M. Macron a pris la parole sur les marches de La Madeleine. Certes celui qui a été « l’idole des jeunes » doit compter beaucoup d’admirateurs au sein de la droite populaire, mais toute récupération était surtout mal venue. Son énergie de « bête de scène », sa combativité face à la maladie, sa simplicité souvent émouvante lorsqu’il parlait, attiraient la sympathie parce qu’elles délivraient des faux-semblants et des tartuferies des politiciens, elles traduisaient une authenticité qui touchait plus que tout. A travers les excès qu’ils lui pardonnaient, beaucoup de Français désabusés de la manière dont on conduit leur pays, devaient se dire : « moi, je ne peux pas, je ne le fais pas, mais lui, il a bien raison… » Alors, nombreux sont ceux qui se rueront sur ses enregistrements quelque soit le support. La France aura vécu une semaine d’intense émotion et de promotion fantastique…
Objectivement, la droite n’a guère profité de l’événement. Si on met à part la satisfaction qu’ont retirée les électeurs de droite de la popularité de celui qui avait soutenu Chirac ou Sarkozy, la mise à l’écart de Marine Le Pen fut inutilement blessante, et l’élection du président de LR a été écrasée médiatiquement par la mort de Johnny. Malgré tout, elle a connu un succès que beaucoup n’espéraient pas. Près de cent-mille électeurs, et les trois-quarts élisant Laurent Waucquiez, constituent pour ce parti convalescent deux signes d’amélioration. Le plus dur reste à faire. Après l’élection de Macron, l’avenir était noir. Il reste à savoir si Waucquiez saura rallumer le feu !