Il a fallu sept fois cinquante-deux minutes à Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, sur Arte, pour interroger « vingt-six des meilleurs chercheurs de différentes universités, de différents pays, de différentes traditions », et démontrer que l’islam était peut-être une hérésie chrétienne – une évidence pourtant connue depuis au moins Thomas d’Aquin ! Que cette évidence soit passée pour une sorte de scoop aux yeux de toute une partie de la « grande presse » est un indice de l’inculture foncière dans laquelle nous sommes tombés.
Résumons ces six heures de pensum télévisuel : Jésus est un personnage important de l’islam. Nommé une douzaine de fois dans le Coran, contre quatre pour Mahomet, il est présenté comme le « fils de Marie ». C’est-à-dire qu’il n’a pas de père humain. Il est donc né de « l’esprit de Dieu » ou encore du « souffle de Dieu ». Il n’a donc pas pu mourir sur la Croix. Jésus y est crucifié “en apparence”. La bonne blague pour illusionner les gogos !
On sait bien que la double nature du Christ, vrai homme et vrai Dieu, a été l’objet, dans les premiers siècles de notre ère, d’une multitude de controverses, parfois sanglantes. Pour simplifier le mystère enseigné par l’Eglise, la tentation était grande de faire de Jésus soit un homme, soit un dieu. Un certain Arius, qui exerçait à Alexandrie au début du IVème siècle, a opté pour la première branche de l’alternative, prônant que Jésus ne pouvait être qu’un homme.
L’« arianisme », la doctrine issue de cette profession de foi, s’est répandu comme une traînée de poudre, justement parce qu’elle était davantage à la portée du vulgaire que la théologie ecclésiale. Ainsi les Goths, des Barbares, ont véhiculé cette hérésie – car c’en était bien une – jusqu’en Espagne. L’islam a fait la même opération, mais en retenant l’autre branche de l’alternative, et obtenu le même succès foudroyant auprès des masses. L’arianisme a fini par disparaître de la scène religieuse, mais non l’islam. Pourquoi ? Arius était un simple prêtre, le Prophète un chef de guerre…
Ce n’est pas chez Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, que l’on trouvera ce genre d’explication. Pour nos deux distingués observateurs du « fait religieux », toutes les croyances se valent, elles sont toutes potentiellement dangereuses, car leurs textes les plus sacrés peuvent être instrumentés pour justifier les pires massacres. Pour appuyer cette assertion, l’un des deux compères a cru bon de citer au micro de Patrick Cohen sur France-Inter, le 4 décembre dernier, un verset de l’Evangile de Luc, qu’il avait visiblement appris par cœur : « Quant à mes ennemis, ceux qui n’ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les ici et égorgez-les devant moi. » (Luc:19-27). Il a omis de préciser que l’évangéliste rapporte une parabole de Jésus où il est question d’un maître qui a une curieuse façon de rétribuer ses serviteurs. Dans le verset précédent, on entend de la bouche du même maître « ” Je vous le dis: A celui qui a on donnera; mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a. » (Luc:19-26). En aucun cas, ce maître ne peut être assimilé au Christ.
Mais pourquoi donc cette citation où il est question d’égorgement ? Parce que c’est le supplice favori que les djihadistes mettent on line sur la Toile ?
LE PROPHETE LUI-MÊME
Il se trouve que le Prophète lui-même est un égorgeur comme en témoigne ce passage de la Sîra (la biographie de Mahomet) : « Le Prophète ordonna de tuer tous les hommes de la tribu juive des Qurayza [de Médine], et même les jeunes, à partir de l’âge où ils avaient les poils de la puberté. […] Il alla ensuite sur la place du marché de Médine […] et y fit creuser des fossés. Puis il fit venir les Qurayza par petits groupes et leur coupa la gorge sur les bords des fossés. […] Ils étaient six cents à sept cents homme. On dit huit cents et même neuf cents. […] Le Prophète ne cessa de les égorger jusqu’à leur extermination totale. » (Sîra, 2, 240-241). [1]
Ces décapitations ne sont humainement possibles, si l’on ose dire, que si l’on déshumanise l’adversaire. Or cette déshumanisation est autorisée par une certaine sourate du Coran adressée aux mécréants : Dieu a transformé en singes et en porcs / Ceux qu’il a maudits. (Coran, 5,59)
Dès lors, on comprend mieux la manœuvre de nos deux savants docteurs. En mettant sur le même plan le Christ et le Prophète, il s’agit pour Mordillat/Prieur de désarmer par avance ceux qui voudraient établir une relation particulière entre l’islam et la violence sanguinaire qui se déchaine aujourd’hui.
Le problème, qu’ignorent ou font semblant d’ignorer Mordillat et Prieur, c’est que ce qu’on lit dans la Sîra n’est pas une parabole, mais un récit tiré de la vie même du Prophète, qui est pris comme véridique par tout bon musulman et qui est cité en boucle aujourd’hui encore sur les medias de langue arabe.
Alors, pour paraphraser Martine Aubry, je vais vous dire, la confusion religieuse, ras-le-bol ! Entre celui qui tend la joue et celui qui manie le couteau, il y a un abîme qu’aucune casuistique ne pourra combler.
> Philippe Simonnot est l’auteur de Enquête sur l’antisémitisme musulman (Michalon), et de Hitlerisme français (Kindle).
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