Ton petit coup n’était pas mal préparé. Des jeunes gens hurlent sur les Champs-Élysées ce 11 novembre et te voilà, qui entraîne les caméras dans la course aux tirailleurs sénégalais. Ton élan t’empourpre : c’est ton destin que tu contemples dans ces lucarnes allongées qui se jettent vers toi, suaves et énormes, pénétrantes. Elles s’approchent, elles sont là qui te captent, qui te provoquent. Alors, tu t’excites mon bonhomme, tu chevauches, tu galopes, c’est de l’extase, la bien-pensance, une sacrée extase quand on a perdu la fréquentation des émotions. Oh, tu n’as pas pleuré, le professeur agrégé qui s’apprête à enseigner en classes préparatoires ne doit pas pleurer : c’est trop irrationnel, un brin nostalgique. L’emportement aura suffi à t’acquérir une gloire de salle des profs. Avec un peu de chance, ta collègue angliciste viendra mêler son numéro à ton répertoire, et cela comblera les attentes de ton petit cœur penaud. Faut dire que ce n’est pas facile les femmes, quand on leur vend un monde de tirailleurs sénégalais et qu’on est un petit père déjà bougon avant trente ans. Mais passons.
Fort heureusement, l’oligarchie t’attendait, ravie d’étiqueter plus avant son produit, sa tambouille. Ta petite voix pincée résonne parfaitement sur la chaine des obscénités pornographiques ou intellectuelles. Mais faut que tu comprennes que c’est chromo, garçon, trop chromo. Le coup du professeur satisfait de sa dévotion républicaine au sortir de la rue d’Ulm a été trop répété, trop vomi par les gens de ta façon pour provoquer quelque adhésion populaire. Ton existence, cependant n’est pas dénuée d’intérêt : après tout, Dieu ne procède jamais que par plan, et la Providence, certainement, saura user de ton joli groin bien plat. Elle savait, peut être, qu’en révélant ton arrogance bourgeoise elle pourrait exposer toute l’ignominie des grands fabricants de notre déréliction. La jeunesse ne veut plus de ton monde, elle le hait. Tu leur as dit “Liberté”, ils entendent leurs pas d’enfants qui descendaient rassurer une mère départie de sa moitié. Tu leur as dit “Liberté”, et elles attendent dans les hôpitaux pour assurer leurs études. Tu leur as dit “Liberté”, et ils n’ont ni prise ni entente de l’avenir de la Patrie, leur mère elle est aussi départie, tu leur as dit “Liberté” et ils meurent de ne plus exister.
Tu n’as aucune légitimité pour évoquer les tirailleurs sénégalais : ils n’habiteront jamais ton voisinage et eux-mêmes ne seraient que trop humiliés de voir que leur sacrifice convient aux immondices de la société cool. Si, réellement, tu avais étudié l’Histoire ailleurs que dans les trois livres autorisés pour les concours administratifs, peut-être saurais-tu que les anciens combattants ne cessèrent de vomir ta caste, celle des pleutres, des châtrés qui discouraient à volonté sur la religion républicaine quand eux pleuraient leurs amis, leurs jambes, ou leur épouse finalement tentée par le confort ennuyeux qui inonde ta race. Ils s’appelaient les enfants humiliés, humiliés par la grande coalition des socialistes qui jouissent des dévotions d’autrui.
Dans les légers coups échangés entre les CRS et les quelques manifestants présents, il y avait mille fois plus de France que dans toutes les hautes démonstrations professorales que tu ne manqueras pas d’infliger aux petites têtes bien faites des pourtours du Luxembourg. C’est dur pour vous autres littéraires d’avoir pour horizon d’enseigner à des jeunes gens qui tapinent dans le culturel avant d’aller cuisser sur les fauteuils d’HSBC. Dur mais inexcusable : pour l’humanité porcine, l’auge est un idéal.
Un homme, oh tu le détesteras, a répondu à ceux de ta caste juste avant de périr :
Je n’ai jamais eu de bijoux,
Ni bagues, ni chaînes aux poignets,
Ce sont choses mal vues chez nous
Mais on m’a mis la chaîne aux pieds.
> Cet article a initialement été publié sur le blog Nouvel Arbitre.
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