Jupiter tombé de l’Olympe dans les bras de jeunes Antillais n’en finissait pas de voir les sondages chuter plus vite encore. Empêtré dans le départ de Gérard Collomb, notre génial Président, notre banquier émérite, qui a fait don de sa personne à notre pays si coupable, a trouvé une parade que seuls des esprits bornés pourraient contester : si le remaniement gouvernemental tarde, c’est parce que notre conducteur infaillible veut prendre son temps, qu’il se veut « professionnel », qu’il désire confier les « portefeuilles » ministériels à des gens honnêtes et compétents. Ces deux qualités requises exigent qu’on épluche les situations judiciaires et fiscales, et qu’on examine dans le détail les carrières des personnes pressenties. Il n’est évidemment pas question d’équilibre politique, cette notion de l’ancien monde. Bref, Jupiter-Narcisse est avant tout le Maître des horloges. L’ennui pour lui, c’est que tout le monde se gausse de la pirouette, et que certains mauvais esprits lui remettent les pendules à l’heure. Le remaniement qui était pour demain a été sans cesse reporté. Les bruits et les rumeurs qui ont couru ont étayé l’idée que l’affaire était plus compliquée que prévue, parce que le Président se trouvait dans une situation qu’il n’avait nullement anticipée.
Voilà deux fois qu’un ministre de première importance s’en va sans le prévenir. Depuis le début du mandat, cela fait 7 ministres à remplacer. La première parade consistait à transformer cet incident fâcheux en grande manoeuvre destinée à donner un second souffle au quinquennat. Le Premier Ministre démissionnait avec l’ensemble du gouvernement, était renommé dans la foulée, prononçait son discours de politique générale devant l’Assemblée et s’assurait de la confiance renouvelée des godillots LREM. C’était évidemment la solution proposée par Edouard Philippe qui lui aurait donné une épaisseur nouvelle alors que déjà, dans les sondages, il est en meilleure posture que Macron. Narcisse ne l’a pas supporté : on se contentera d’un remaniement. Mais cette stratégie plus modeste s’est heurtée, elle-aussi, à de multiples difficultés. Là encore, les propositions du Premier Ministre et les choix présidentiels ne s’accordaient pas. Il n’y avait pas en effet de feuille de papier à cigarette entre les deux hommes. Il y avait un tronc d’arbre : Le premier voulait élargir le nombre et l’importance des recrues débauchées des « Républicains », le second voulait maintenir l’équilibre avec sa famille socialiste d’origine. Le Président voulait bien sûr Place Beauvau un ami sûr, comme Castaner, par exemple.
La poésie du début du XIXe siècle peut illustrer le reste du feuilleton. « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé » écrivait Lamartine. Le parrain du régime, le vénérable Maire de Lyon est parti déçu, et sans doute humilié par l’affaire Benalla. Son protégé a vu sombrer son image dans la tourmente. Ses bourdes à répétition ont dévoilé un esprit que les Français n’avaient pas perçu, où le mépris, notamment à leur égard, tient une place essentielle. Les résultats ne sont pas au rendez-vous. L’ISF sur les fortunes mobilières est passé rapidement à la trappe. Les mesures favorables au pouvoir d’achat sont, elles, distillées au compte-gouttes. On ne bouscule donc plus au portillon du pouvoir. Cinq ministres pressentis auraient déjà décliné l’invitation. On ne monte qu’à regret sur un bateau qui donne de la gîte. Les ressources humaines de la macronie sont limitées : le parti a poussé comme un champignon, ses élus manquent d’expérience, à moins qu’ils ne soient des transfuges arrivistes et peu fiables. Il reste la fameuse société civile qui ne met pas à l’abri de déconvenues liées à la vie professionnelle. La Ministre de la Culture en donne un malheureux exemple.
C’est pourquoi, Macron, qui a des lettres, a une fois encore fait appel à Lamartine : « Ô Temps, suspends ton vol ! Et vous, heures propices, suspendez votre cours »… Et c’est ainsi qu’on le proclame urbi et orbi, Maître des horloges. Ce subterfuge ne peut qu’accroître le sentiment des Français à l’égard de la dissimulation qui entoure le personnage. Son escapade à Erevan, au son des refrains d’Aznavour, pour célébrer la Francophonie, lui a permis, en douce, de faire élire à la tête de cette organisation, la représentante d’un pays, le Rwanda, qui accuse la France de complicité dans le génocide et qui a remplacé le français par l’anglais comme première langue. Dans le même temps, le Parquet de Paris abandonnait les poursuites contre les proches du Président Kagamé accusés après l’enquête du juge Bruguière d’être à l’origine de l’attentat contre l’avion du Président Habyarimana qui déclencha le massacre des Tutsis dans le pays. Mais bien sûr, Narcisse-Jupiter aime la France, qu’il ne salit jamais à l’étranger, et sous son règne, la Justice est absolument indépendante.