Vous ne connaissiez probablement pas Médine (le rappeur, pas la ville) mais l’actualité et les médias français ont réussi le tour de force de lui offrir un peu plus que son quart d’heure de gloire : le Bataclan a en effet choisi de le programmer pour deux concerts en octobre, malgré certaines de ses paroles et de ses clips musicaux qui ne laissent planer qu’un doute léger sur son engagement religieux quasi prosélyte.
C’est ainsi que ce rappeur, auteur notamment de Don’t Laïk dont les paroles donnent assez peu dans l’ambiguïté, a été rapidement propulsé en avant de la scène médiatique. Tous les ingrédients étaient en effet rassemblés : un lieu de passage hautement symbolique puisque marqué par la mort de douzaines de personnes et des centaines de blessés dans un attentat islamiste, un rappeur à la prose aussi fleurie que délicieusement parfumée de modération, plusieurs personnalités politiques vent debout et tweets rageurs dégainés en salve serrée contre la tenue de ces concerts… Il n’en fallait pas plus pour que tout ceci enfle rapidement sur les réseaux sociaux.
Et alors qu’on aurait pu assister à un intéressant débat sur la décence, la moralité ou l’opportunité de programmer, à ce moment-là, cet artiste-là dans cette salle-là, la polémique a rapidement été détournée pour se résumer à une nouvelle opposition frontale entre une droite voire une extrême-droite naturellement islamophobe et méchante et cracra, et le reste du monde, naturellement posé et réfléchi (et mignon aussi bien sûr).
Je n’exagère même pas.
Écartons tout d’abord la question pratique de ce que le Bataclan peut ou pas faire de sa programmation : oui, les propriétaires de cette salle sont parfaitement libre d’y faire jouer les « artistes » qu’ils veulent. Et s’il n’est, commercialement parlant, certainement pas très judicieux de s’asseoir sur les questions morales ou de flirter avec l’indécence voire la provocation la plus caricaturale, la liberté d’expression et celle d’usage de sa propriété autorise effectivement la direction du Bataclan à programmer n’importe quelle mauvaise soupe de leur choix (après tout, soyons honnête, ce ne sera pas la première fois).
D’autre part, peut-on vraiment être surpris de ce comportement lorsqu’on se rappelle de la mise en scène consternante qui nous fut jouée lors de la commémoration de Verdun, dans laquelle on avait cru judicieux de faire trotter des centaines de gamins sur des milliers de tombes de soldats morts dans des conditions abominables cent ans auparavant ? Peut-on réellement s’étonner, de nos jours, de voir ce genre de personnages et cette direction artistique envisager sans broncher un concert dans une salle martyrisée alors que, lors de ces mêmes événements de Verdun, certains envisageaient aussi sereinement d’y faire braire chanter Black M, au passé « artistique » tout aussi sulfureux ?
Non, en réalité, il n’y a rien de surprenant : certains veulent absolument choquer, et la tribune et la visibilité que leur offrent les médias leur donnent de ce point de vue une réussite fulgurante. Un rappeur méconnu utilise (une fois n’est pas coutume, voyons !) des propos haineux et, magie d’une programmation maline, se retrouve sous les feux de la rampe.
Classique.
Ce qui l’est tout autant mais dont on parle, malheureusement, nettement moins, en est le traitement par notre presse, toujours à la hauteur de ses subventions ; pour elle, il n’y a guère de doute à avoir : ceux qui s’opposent à la tenue de ce concert ne peuvent être placés ailleurs que dans le champ politique, et même plus précisément, dans celui plus étroit encore de l’extrême-droite (avec une petite incursion de la droite parce que bon, tant qu’à faire).
Il suffira de parcourir les articles de la fine fleur journalistique française pour bien comprendre comment la polémique a viré à l’énième jeu de politicaillerie habituelle : ceux qui s’opposent à ce concert semblent n’être que « des élus de droite et d’extrême-droite », quand ce n’est pas toute « la droite et l’extrême-droite qui appellent à l’annulation de concerts du rappeur Médine au Bataclan » (avec des variantes possibles).
Escamotées (on dirait « invisibilisées », de nos jours) plus ou moins finement, les victimes qui s’y opposent aussi par la voix de leurs avocats. Oubliés ou pudiquement relégués en fin d’articles, ceux qui seraient plutôt au centre (comme des élus En Marche) voire à gauche et qui auraient les mêmes sentiments.
Pour bien enfoncer le clou, cette presse préfèrera balancer du Le Pen, du Wauquiez, du Ciotti, les laissant ainsi avec le monopole de la décence dans le débat public, ce qui, au passage, en dit très long sur la grave crise d’identité qui traverse la gauche et le Camp du Bien, du Progrès et de la Gentillesse en général…
Pire encore : en polarisant de façon si caricaturale le débat public comme un simple prurit d’une frange de la droite et de l’extrême-droite, en allant même jusqu’à présenter ces derniers comme des semi-débiles, cette presse de plus en plus indigente fait une nouvelle fois la sourde-oreille la plus complète à des réactions pourtant légitimes qui ont un réel besoin d’expression. Cette expression pourrait être de rappeler que, quoi que puisse réellement penser le rappeur Médine, ce qu’il écrit et ce qu’il chante dans ce cadre-là, à ce moment-là, choque effectivement une part de l’opinion et mériterait sans doute des aménagements, pour le dire posément.
Mais la presse n’en a cure. Pourtant, on pourrait être sûr que si un groupe de hard rock, joyeusement baptisé Dylann Roof, se prenait l’envie d’aller faire un petit concert dans une église de Caroline du Sud, chacune de ces publications ne manquerait pas de s’étouffer sous l’outrage dans de multiples articles incendiaires (au passage, on pourra se demander comment elle réagirait à un hypothétique concert de Bertrand Cantat qui serait organisé le 8 mars, journée de la femme). Du reste, on les retrouve toujours en première ligne lorsqu’éclate une énième polémique idiote (à base de féminisme, de sexisme ou de l’une de ces innombrables luttes que ces médias affectionnent tant de nos jours). En fait, il ne fait bon être outré que si l’on est du bon camp.
Comme le disait paradoxalement Médine, notre rappeur polémique, « la provocation ne sert que pour provoquer le débat. Si la provocation n’aboutit qu’à rester dans des postures, qu’on perd le dialogue, elle ne sert plus à rien. »
Comme une horloge arrêtée qui indique l’heure exacte deux fois par jour, il adresse ici un message que notre belle presse bien pensante et sur-subventionnée devrait méditer avant de paraphraser niaisement les dépêches AFP ou de nous infliger ses préférences morales débiles ripolinées en canons universels de la vérité, du juste et du bon goût : encore une fois, la provocation ne ‘perd pas le dialogue’, elle le clot avec beaucoup de mépris et de stupidité.
> H16 anime le blog Hashtable.
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