Il était fier, si fier, tellement fier ! Comme irradié par le soleil brûlant, il franchit le porche de la place Beauvau. Démarche altière, mâchoires serrées, lèvres pincées, il remonta lentement l’allée et gravit les marches de l’estrade. Toisant l’assemblée de son air d’hidalgo enfiévré, il posa les mains sur le pupitre. Ils étaient tous là : les pontes de la PJ, les vieux briscards de la Crim’, les jeunes loups de la BAC et même ceux de la DCRI. Tous tremblaient sur leur siège, priant pour que les foudres du héros tombent sur les épaules voisines. Laconique, il éructa un terrifiant : « Messieurs, les chiffres sont mauvais ! ». Ses yeux perçants fixèrent quelques visages blêmes. Une odeur de sueurs froides s’échappa des premiers rangs. « Messieurs les chiffres sont mauvais » répéta-t-il dans un silence terrible. Toutes les têtes se courbèrent à l’exception de celle du vieux Boucault qui le regardait de son air d’éternelle chouette. Celui-là se savait protégé : plus il échouait, plus il grimpait. « Messieurs la délinquance explose ! Nous pourrions naturellement charger la préfecture de police de Paris de nous arranger les statistiques puisqu’elle fait preuve en la matière d’une maestria sans égale ». Un petit couinement satisfait s’échappa de la Chouette et son visage grimaça un rictus proche du sourire. « Le problème c’est que cela fait trente ans que nous faisons du maquillage et il semble que la population commence à s’en apercevoir. Cette fois, il nous faut des résultats d’ici les municipales ! Ordre du Boss : nous avons 9 mois pour redresser la situation ! »
« Messieurs, un corps de police de choc va être expérimenté à Clichy avant d’être généralisé dans toute la France ! Nous serons impitoyables; nous ne ferons aucune concession ; nous ne transigerons pas ! Cette nouvelle brigade de répression de la délinquance ne fera plus de contrôles au faciès ! Plus aucun ! Quand bien même ses hommes seraient chargés de démanteler un gang de narcos maliens, elle veillera à arrêter autant de vieilles femmes blanches que de jeunes hommes noirs ! Un jour sur deux, les grands frères donneront les ordres et les officiers supérieurs briqueront les latrines ! Cette unité respectera rigoureusement la parité et sera dirigée par un transsexuel ! Les brigadiers de genre féminin porteront le treillis bleu et les brigadiers hommes le tutu rose ! » Les yeux du ministre sortaient presque de leurs orbites. « Et pour les entraînements, ça va être du sérieux : fini ces fonctionnaires qui ronronnent tranquillement dans le 93 où il leur est interdit de contrôler, de tutoyer ou de menotter les gens. On les enverra se former à Versailles … et même en Corrèze lors des visites du Boss ! Là, ils pourront apprendre à injurier des pères de famille, à gazer des lycéennes et à casser leur matraque sur le dos des bigotes et des édiles homophobes. Et si ça ne suffit pas, on les lancera contre les Hommen pour qu’ils s’entraînent à balles réelles ! » Cet évocation du réel provoqua un court-circuit dans le cerveau surchauffé du ministre. Pris d’un tremblement frénétique, il se cogna le front à plusieurs reprises contre le pupitre puis redressant la tête, il se figea brusquement : une toute jeune fille portant un T-shirt à l’effigie d’une famille passait furtivement devant le porche. Le système nerveux du ministre entra en fusion. Dans un ultime geste hiératique, il arracha le pied du micro, le ficha sous son auguste bras et sauta sur le dos de la Chouette qui se mit à cavaler dans l’allée centrale. Fouettant les flancs de son improbable monture, lance dardée, il se mit à hurler « fascistes, fascistes, fascistes ! ». Une violente explosion suivie d’un long sifflement se firent entendre. L’assistance médusée vit le Don Quichotte de la place Beauvau et son Rossinante d’occasion fuser dans le ciel azuré avant de s’éparpiller au firmament dans un dernier grondement.
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