Tribune libre de Wallerand Rawsti
Depuis le 10 juin dernier, ce qui prédomine médiatiquement à droite, c’est le refus de toute accointance avec le FN : « ni-ni », « pas d’alliance »… Apparemment, l’indignation sanitaire est maintenue par l’état-major, non sans quelques accrocs constatés ici et là (l’entretien de Nadine Morano dans Minute, qui rappelle significativement celui d’un autre ministre, Gérard Longuet, qui, dans le même journal, pendant un autre entre-deux-tours, mais présidentiel, avait défendu des positions similaires ; le désistement de Roland Chassain, candidat UMP dans les Bouches-du-Rhône, au profit du FN). Ce refus de toute transaction (y compris quand on ne réclame pas d’alliance) pose de sérieux problèmes. Il peut même les aggraver. C’est davantage la droite UMP que le FN qui est, dans un sens, en danger. Non dans le nombre ses sièges à l’Assemblée nationale (leur gain ou leur perte reste un aléa de la politique), mais dans son positionnement sur l’échiquier politique.
Le premier problème consiste dans la violation manifeste du principe de non-contradiction. L’UMP, notamment par la bouche de son secrétaire-général Jean-François Copé, défend un discours offensif contre la gauche : la gauche a mené au désastre, elle s’apprête à prendre des mesures dangereuses (droit de vote des étrangers, réforme des contrôles de police), etc. Dont acte. Mais, dans ce cas, si la gauche c’est le diable, comment logiquement refuser ce qui peut s’opposer à elle ? Autrement dit, comment défendre la proposition A (la gauche est le mal absolu) avec la proposition B (on peut ne pas la combattre) ? La seule conséquence – prévisible – serait d’admettre que la gauche n’est pas aussi néfaste que l’on prétend. Inévitablement, c’est glisser vers le centre : une non-gauche tend aussi à être une non-droite… En s’opposant avec plus de faiblesse à la gauche, c’est aussi le risque de transformer l’UMP en parti centriste qui apparaît. On peut se demander si ce processus n’a pas déjà été entamé.
UMP/FN : Deux électorats que la mondialisation divise
Le deuxième problème réside dans la différenciation électorale et sociologique de l’UMP par rapport à FN. Une récente contribution insiste sur un point peu abordé : le refus d’une transaction avec le FN ne réside pas seulement dans l’intériorisation de l’ostracisme de la gauche, mais aussi dans le fait que les électorats se différencient. On peut dire que l’électeur UMP et Nouveau centre, c’est celui qui travaille, mais qui profite de la mondialisation, tandis que l’électeur FN en pâtit et en souffre. Un abîme dans un sens. Le tout est de savoir si le fossé devient infranchissable. Le génie de Nicolas Sarkozy a été d’avoir pu combler partiellement ce fossé en comprenant qu’il fallait avoir les deux électorats, et non se cantonner à celui qui profite de la mondialisation. Ce qu’il a fait en 2007, il l’a réalisé plus difficilement en 2012, sauf au deuxième tour, où son écart avec François Hollande a été réduit. En revanche, aux législatives, l’UMP perd des voix par rapports aux gains de Nicolas Sarkozy. On ne s’étonnera donc pas du risque de faible report au second tour de la part des électeurs FN. Corrélativement, vu sous un autre angle, cela signifie que la droite UMP dispose de faibles réserves. Le second tour sera révélateur de l’impact de l’UMP sur les autres électeurs. On peut noter que c’est là où il y a encore des couches communes aux deux électorats que les responsables locaux de l’UMP hésitent à ostraciser le FN (Nord, Est ou PACA).
Le troisième problème est de nature prospective : si l’UMP s’enferme dans son refus, elle se condamne à s’enfermer dans une sociologie et à se vitrifier idéologiquement. On sait qu’il existe une interaction entre les convictions et la base électorale. Le repli sur une base électorale conduit forcément à donner une forme (idéologique) à son positionnement. De même, l’adoption d’une certaine ligne idéologique réveille des électeurs et en éloigne d’autres. Plus l’UMP se refusera à tout arrangement, plus elle se rétractera sur un électorat qui risque de l’isoler et même de l’affaiblir. L’UMP deviendra un parti de petits bourgeois, des gens qui ne veulent pas de la gauche, mais sans complètement se définir ; le parti de ceux qui lisent Le Figaro mais qui font la « teuf » ; le parti de ceux qui disent oui au “mariage” homosexuel, mais au nom de l’individualisme. Plus généralement, c’est le risque de voir cette formation, à l’avenir, faire campagne sur des thématiques pauvres. Ainsi, le candidat aux législatives Xavier Bertrand a fait une campagne sur la seule valeur travail ; cela reste faiblement original face à une gauche qui, sur ce plan, est plus professionnellement intégrée. Inversement, si l’UMP n’écarte pas tout lien avec le FN, même de nature faiblement contraignante (un désistement n’est pas une alliance électorale, une alliance électorale n’équivaut pas à la fusion des formations, etc.), cela signifiera aussi qu’elle n’a pas renoncé aux couches populaires et qu’elle n’est pas le parti des petits capitalistes ; cela attestera aussi son souci de la cité et son refus des logiques de désaffiliation.
Pour un vrai pluralisme à droite
L’actuelle compétition à l’UMP entre Jean-François Copé et François Fillon ne doit pas faire illusion. Si François Fillon s’impose, il faut gager que l’UMP prendra une tournure plus centriste : l’ancien Premier ministre a été vif dans son refus des transactions avec le FN. Certes, son adversaire n’est pas différent : il a été le premier à affirmer le « ni-ni ». On peut prévoir que dans le meilleur des cas sa ligne sera plus « centre droit », avec une inflexion sécuritaire plus forte. La dérive centriste est d’autant plus possible que François Bayrou a perdu son ascendant et que sa formation réalise des scores microscopiques. Mais si l’espace du centre est libre, il faut se garder de croire que l’UMP sera tranquille, car il est en partie occupé par la gauche. D’ailleurs, en 2012, c’est François Hollande qui a été le candidat centriste, et non François Bayrou.
Le paysage politique et électoral est inquiétant. La France populaire a déserté la gauche. Elle s’apprête à le faire avec l’UMP. Je ne résiste pas à la tentation de faire part de quelques observations des machines politiques. Ainsi, le profil du jeune militant UMP est saisissant : c’est souvent un fils (ou une fille) de cadre, de personnes issues des couches qui n’ont pas trop de problèmes. On ne s’étonnera pas de la médiocrité des débats et des combats. Ce que l’on voit au niveau des cadres, on peut aussi l’apercevoir au niveau des électeurs.
Je lance un appel : n’enfermons pas l’UMP dans une tour d’ivoire ! En défendant un véritable pluralisme à droite, nous défendons aussi la respiration qui permet à la droite de subsister. Ne défendons pas certaines positions avec rigidité. Un cessez-le-feu, ce n’est ni un armistice, ni même un traité de paix. C’est simplement un premier pas avant une résolution globale du problème. La défense de l’identité nationale et la protection sociale, ce ne sont, au fond, que les deux versants d’une même réalité !
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