Le passage en force de la « loi Avia » suscite une opposition large et nourrie. Que le premier texte voté après la douloureuse expérience du confinement soit attentatoire à la liberté d’expression relève de la provocation : après avoir suspendu les libertés d’aller et de venir, de travailler, de se réunir, de manifester, d’exercer son culte, voici que le pouvoir étrangle encore davantage la liberté d’expression dans notre pays. A peine les Français retrouvent-ils le goût de sortir, de renouer avec leurs familles et leurs amis, de fréquenter les magasins de leur choix, mais alors qu’ils n’ont pas encore la liberté de se déplacer à leur guise, on entend les punir d’avoir abusé de leur liberté de parole sur la toile, en profitant, les garnements, de leur inactivité. Non content de cette infantilisation du peuple à laquelle la macronie nous a habitués, le pouvoir fait voter ce dispositif alors que l’Assemblée ne fonctionne pas normalement, comme si le parlement n’était qu’une chambre d’enregistrement. Le spectacle du président de séance coupant la parole d’un député, en l’occurrence la présidente du RN, alors qu’elle défend la liberté d’expression, donne le vrai visage du système : technique, administratif, ignorant le respect du aux institutions et aux élus. On ne coupe pas la parole d’un parlementaire, quelle que soit son appartenance politique, quand le débat porte sur la liberté de parler. J’ai connu un président de séance communiste que les députés appréciaient car il les laissait toujours aller jusqu’au bout de leur intervention. Les quelques minutes perdues étaient une respiration démocratique, un gain pour la liberté.
Votée quand les Français ont la tête ailleurs, cette loi n’aura pas seulement connu une naissance dont la légitimité est douteuse, elle présente aussi de nombreuses faiblesses. La première est de mettre au centre d’un texte un sentiment subjectif, la haine. La loi, surtout quant elle implique des dispositions pénales, exige des fondements plus solides, plus objectifs. Il s’agit, une fois encore, sous couvert de bons sentiments, d’éduquer le peuple, de changer les mentalités, de détruire des stéréotypes, en semblant ignorer que cela revient à les remplacer par d’autres issus d’une idéologie dominante. La répulsion, le mépris, la détestation, le dégoût, l’hostilité, l’opposition, la critique pourront-ils être confondus avec la haine ? La catharsis des mauvais sentiments chez tous ceux qui sont frustrés de ne jamais être entendus, et qui ne le seront pas davantage, aura-t-elle le même poids que la véritable menace, que les injures proférées par des ennemis qui préparent une guerre mortelle contre notre société, contre notre pays ? Ce texte accentue la confusion à l’oeuvre dans l’alourdissement et l’altération de la loi sur la liberté de la presse : l’hostilité à une race ne peut être mise au même niveau que celle qui vise une religion ou une prétendue identité de genre. On ne peut reprocher à une personne d’être née ce qu’elle est, mais on peut parfaitement haïr sa pensée, ou critiquer sa prétention à être ce qu’elle n’est pas. On ne peut mettre sur le même plan les faits scientifiques et les modes idéologiques.
Notre société prétendument libérale restreint la liberté de penser sous prétexte de protéger les différences. Elle établit une inquisition qui scrute le for intérieur de ceux qui vont exercer leur sens critique à l’encontre de pensées ou de comportements absurdes, et permettre à ceux-ci de prospérer en dehors de toute rationalité. La liberté de pensée exige le débat jusqu’à l’invective, car elle doit aussi favoriser la libération à l’égard de toutes les erreurs et de tous les préjugés, et non de certains au détriment d’autres, triés par une idéologie larvée qui a, peu à peu, envahi l’éducation, la presse, et la politique, et qui entend, au nom de la lutte contre de prétendues phobies, imposer une pensée unique. Que cette démarche soit contradictoire puisqu’elle conduit à protéger, par exemple, des religions intolérantes, n’embarrasse pas ses promoteurs. L’ennemi est le peuple gaulois, sa faconde, son goût pour la dispute et les noms d’oiseaux. En cela, il y a dans cette loi une profonde méconnaissance de l’identité nationale. La loi Avia est copiée sur une loi allemande ! La NetzDG de Janvier 2018 est avant tout une réaction au déferlement de propos racistes qui ont suivi l’irruption tapageuse des « réfugiés » accueillis à bras ouverts par Mme Merkel. Les Allemands ont donc réagi à une situation conjoncturelle en fonction de leur mauvaise conscience historique lourdement chargée par le racisme. La rigueur et le conformisme germaniques n’ont jamais fait de l’Allemagne le foyer mondial de la liberté de penser. Il en va tout autrement du pays de Voltaire. Il est pathétique qu’au moment même où l’Allemagne montre la supériorité de son organisation et de son économie, on la suive sur un chemin où elle n’a pas de leçon à nous donner. Il est d’ailleurs cocasse que l’une des remontrances envers l’initiative française soit venue de Bruxelles, et à la demande de la République tchèque, qui voyait dans le texte français une restriction abusive de la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre Etat membre de l’U.E. Ainsi donc les leçons de liberté nous viennent de l’Est, d’un membre du groupe de Visegrad. Il est vrai que l’argument repose davantage sur la liberté économique que sur la liberté d’expression.
L’artillerie contre les réseaux sociaux et leurs opérateurs est lourde. Un refus de retrait pourra coûter jusqu’à 1,25 million d’euros aux opérateurs. Le CSA exercera le contrôle. Un « Observatoire » sera créé pour le doubler. A l’heure où l’on s’interroge sur les moyens des hôpitaux face à un problème grave, la création de « machins » superflus consacrés à des sujets moins prioritaires donne une idée de notre « gouvernance ». Les éventuels signalements abusifs par les utilisateurs de plateforme seront eux passibles d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Le processus commence donc par déléguer aux GAFA sous la surveillance du CSA le soin de trier la bonne pensée, et donc d’exercer une censure, en enlevant ce pouvoir aux juges, et il aboutit quand même au bout des litiges à alourdir une justice déjà trop pauvre pour répondre aux vrais besoins. Devant la lourdeur des sanctions, on peut craindre qu’une censure très large, robotisée, sera effectuée en amont. Elle conduira à l’effacement « réflexe » à partir d’un mot. Elle suscitera l’autocensure. Elle entraînera la délation systématique et simplifiée, aidée par les associations communautaristes.
Bienvenue dans le nouveau monde d’une pensée appauvrie et d’un peuple soumis !