Snif, snif ? Vous la sentez, cette odeur douceâtre de déconfinement progressif ? Car oui, il est là, il arrive : dans quelques jours, on assistera au déconfinement d’une partie du territoire, d’une partie des activités, d’une partie des Français. Et tout se met gentiment en place pour que cette nouvelle épopée se passe dans le calme, la joie, la bonne humeur et, surtout, une sacrée bonne ventrée de formulaires joufflus et de procédures dodues !
Car il ne faudrait pas que ce déconfinement tourne à la déconfiture : l’administration du pays, son gouvernement et ses responsables politiques sont en effet en charge de gérer la bonne fin de cet épisode complexe. Ceci suppose une excellente organisation, que tout le monde soit bien au courant de ce qu’il doit faire, de ce qu’il peut faire, de ce qu’il faut éviter et de ce qu’il est indispensable d’interdire, afin qu’aucun détail ne soit oublié.
En plus, ça tombe bien, cette administration, son gouvernement et ses responsables politiques ont déjà amplement prouvé leur maestria lors de la gestion du confinement ; dès lors, le déconfinement s’annonce sous les meilleurs hospices EHPAD auspices.
Maintenant, il faut bien comprendre que régler la vie des Français, de normaliser chaque activité, chaque interaction interpersonnelle de plus de 60 millions d’individus un peu foufous, de fiers Gaulois qui n’en font qu’à leur tête ne peut pas s’envisager autrement qu’avec un dosage subtil de carottes et de coups de bâton.
Pour les carottes, il s’agira essentiellement de distribuer l’argent des autres (qu’on récoltera des dons spontanés obtenus avec quelques coups de bâton). Et pour les coups de bâtons, il suffira de vidanger la machine à diarrhée législative et ça ira tout seul.
Moyennant suffisamment de papier et de députés travaillant d’arrache-pied, à côté d’administrations jappant des contraintes comme des teckels sous cocaïne, on arrivera sans problème à définir absolument tout ce que chacun peut ou ne peut pas faire dans le cadre de ce déconfinement.
Chaque jour grossit la liste des délires encadrements légaux des activités les plus banales : ainsi, même la machine à café de l’entreprise, de facto lieu de tous les dangers viraux, bénéficiera de ses normes et de l’édiction précises de règles pour les allées et venues des collaborateurs. Si le contenu des discussions qui s’y tiennent est libre (pour le moment), il n’en va plus de même pour le petit bazar social de gens qui se tiennent les uns devant les autres et se postillonnent dessus leur médiocre café bourré de miasmes tueurs.
Et ce qui est vrai de la machine à café l’est bien évidemment de toutes les activités purement professionnelles en entreprises.
Rassurez-vous : la complexité d’organiser les postes de travail dans les myriades d’activités industrielles, commerciales et marchandes du pays n’a pas échappé à notre Grande et Belle Administration qui s’est donc démenée pour pondre quelques petits guides de bonnes pratiques. En seulement 48 petits guides (!) de quelques pages chacun, tous rassemblés sur un site d’une redoutable efficacité et d’une lisibilité quasi-romantique, on y découvre tout ce qu’il faut faire et ne pas faire pour ne pas encovider son voisin de travail et – surtout, surtout ! – pour que le patron ne soit pas immédiatement poursuivi pour mise en danger de la santé de ses salariés.
Les grandes administrations de l’État n’ont pas été oubliées non plus : l’Éducation Nationale a relevé le défi d’aller à l’essentiel pour que professeurs, élèves et équipes administratives et de soutien des établissements scolaires travaillent tous en harmonie non-contaminante (et Gaïa compatible, hein, n’oublions pas l’essentiel). Ainsi, en seulement 53 pages (!) et plusieurs douzaines de « fiches thématiques » du sabir habituel qui sent bon la protection d’arrière-train d’un bout à l’autre, le ministère de Jean-Michel Toutvabien donne les clés indispensables pour que tout le monde survive à cette épreuve.
On le comprend : tout a été couvert. L’administration française est toujours au top lorsqu’il s’agit de faire du formulaire, de pondre de la procédure, de mettre en place des décrets et d’affûter de la circulaire finement ouvragée comme de la dentelle législative pour rond-de-cuir tatillon.
Et donc, bien évidemment, les transports en commun ont aussi été entièrement couverts, détaillés et minutieusement préparés à la reprise d’activité normale dans les prochains jours. Franchement, on est heureux d’avoir des transports collectifs aux normes, parfaitement entretenus et très confortables pour les besoins réels : avant la crise, si ceux-ci avaient été bondés, mal entretenus voire dangereux, régulièrement en panne ou en grève, on aurait largement pu craindre des dérapages sanitaires gênants.
Heureusement, il n’en est rien et tout se passera donc très bien. Ce qui n’empêche pas certains élus de planifier pour les scénarios les plus épineux – on reconnaît bien là, au passage, leur formidable propension à toujours très bien prévoir ce qui pourrait mal se passer et à se préparer en conséquence avec un professionnalisme remarquable, comme en a d’ailleurs témoigné la rigueur de tenue des stocks de masques et de protections indispensables pour les soignants et la population en cas de pandémie, qui nous aura largement évité les psychodrames que certains pays ont vécu (quel nuls !).
Dans ces politiciens à la hauteur de la noblesse de leur charge, signalons Valérie Pécresse, présidente de la région Île-De-France, qui réclame plus de sécurité dans les gares (comme si ces lieux devenaient soudain des coupe-gorges dangereux – pff, en France, en région parisienne, voyons !). Fort logiquement aussi, la patronne de la région en profite pour demander aussi de « rendre obligatoire l’attestation des employeurs, que les salariés devront avoir sur eux dans les transports sous peine d’amende » : il serait en effet inconcevable que les individus commencent à prendre les transports en commun payés de force sur leurs salaires et avec leurs impôts pour vaquer à leurs occupations !
Imaginez le tableau : des individus qui vont, qui viennent librement et font ce qu’ils veulent de leur temps, sans en référer ni à la région, ni à l’État, sans informer une administration et sans pouvoir prouver qu’ils ne sont pas animés d’intentions néfastes, depuis voyager d’un point A à un point B jusqu’à – horreur – tenter de gagner sa croûte de la façon la plus bassement matérialiste (voire, disons-le tout net, capitaliste !).
On comprend, devant cette vision d’apocalypse de gens allant et venant de tous côté sans le moindre petit cerfa sur eux que Mme Pécresse ait pris les devants. Ouf, au moins cet aspect sera-t-il couvert comme chacun des métiers et des cas complexes des petites brochures conseils et autres fiches techniques déjà pondues par les administrations en effervescence.
Enfin, signalons la mise en place des Brigades Sanitaires du Peuple dont la mission consistera à obtenir les aveux identifier les personnes atteintes par le coronavirus et éviter l’apparition de nouveaux foyers d’infection. Ces Brigades seront fièrement secondées par le réseau des médecins de ville qui ont reçu les instructions claires, précises et bien pensées pour permettre un suivi efficace des patients. Jugez plutôt :
- Lorsqu’un patient est suspecté, le médecin l’arrête 48 heures et lui fait faire un test de dépistage. si ce dernier est négatif, le patient reprend le travail, youkaïdi, youkaïda.
- En revanche, un test positif entraîne une seconde consultation, tarifée à 55€ cette fois-ci, une prolongation de l’arrêt de travail et le médecin traitant doit alors saisir les données du patient sur le site administratif
AmeliméloAmélipro, administration redoutablement efficace qui se chargera ensuite, entre deux plantages serveur, de faire le dépistage de tous les contacts de notre malheureuxpestiférécontaminé.
Simple et efficace : non seulement, il n’y aura aucune incitation à dépister pour encaisser de la consultation majorée à 55€ (après deux mois de disette), mais en plus les données confidentielles seront jalousement conservées par l’assureur qui garantira qu’elles ne seront jamais utilisées à des fins louches et douteuses.
Tout ceci sent déjà une franche réussite à tous les points de vue et l’Ordre des médecin, garant des droits des uns et des autres, nous assure par son silence compact que tout ceci est à la fois carré et porteur d’espoir.
Ce déconfinement s’annonce grandiose.
Cette crise mondiale d’ampleur historique était, probablement, l’occasion pour des réformateurs et des politiciens courageux de simplifier le pays, de le nettoyer de ses lourdeurs et de ses mauvaises habitudes.
Non seulement, il n’en fut rien mais toute la brochette de clowns actuellement au pouvoir a consciencieusement choisi l’exact contraire, avec une calcification complète par imposition de cerfas par millions. On pouvait choisir la subsidiarité, la responsabilité personnelle et le bon sens. On a résolument choisi le micro-management de tout et de n’importe quoi, n’importe comment, l’édiction de règles au niveau capillaire le plus fin, la noyade par paperasse à des niveaux bureaucratiques de stupidité probablement jamais atteints auparavant.
Pire : on introduit petit-à-petit ce qu’on peut trouver de pire en terme de surveillance généralisée, de délation, de pistage « citoyen » et manipulation de données personnelles.
Forcément, ça va bien se passer.
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