La pandémie de COVID-19 a révélé en quelques mois bien d’autres « maladies » – mais d’ordre politique, administratif et sociologique. En France, en Europe et dans le monde. En cas de crise, les faux-semblants, les habiletés de communication voire les mensonges tombent vite. Pour le coup, comme disait Lénine, pourtant l’idéologue sanguinaire type, « les faits sont têtus ».
En France, la crise a d’abord révélé que notre pays est malade de sa classe politique et peut-être plus encore son obésité administrative. Décidément, chez nous, l’Etat n’est pas la solution mais bien plutôt le problème.
Si l’on avait la patience de réécouter toutes les communications gouvernementales depuis le début de la crise, sans doute serait-on sidéré par le nombre d’injonctions contradictoires et d’affirmations péremptoires démenties ensuite, que ce soit au sujet de l’activité des entreprises qu’il fallait arrêter ou poursuivre, que ce soit à propos de l’utilité des masques ou des tests, de tel ou tel traitement, etc.
Monsieur Macron et son Gouvernement auraient été mieux inspirés de dire la vérité dès le début, à savoir que l’on n’avait pas suffisamment de masques, que l’on était dans l’incapacité de pratiquer des tests à grande échelle, que nos capacités de lits de réanimation étaient insuffisantes. Mais c’eût été reconnaître que « le meilleur système de santé du monde » ne l’était pas tant que ça ! Et la comparaison avec l’Allemagne est désastreuse pour nous, alors que nos voisins dépensent 10 milliards de moins que nous dans leurs hôpitaux, le taux de mortalité outre-Rhin s’est révélé largement inférieur au nôtre, le nombre de lits de réanimations quatre fois supérieur pour une population certes plus nombreuse et plus âgée mais pas quatre fois plus nombreuse, les équipements de base fournis au personnel soignant dès le début que ce soient les masques ou les tests… En France, c’est la société civile qui a dû pallier l’incurie de l’Etat, des milliers de bénévoles se mobilisant pour fabriquer des masques et des surblouses.
Mais en Allemagne, contrairement à nous, la gestion des hôpitaux est décentralisée, ceux-ci sont nombreux et hospitalisation publique et privée coopèrent étroitement. En fait, notre hôpital et notre médecine crèvent de sur-administration, d’excès de strates bureaucratiques, d’accumulation de normes au nom du principe de précaution, de décisions technocratiques absurdes, comme le numerus clausus institué par Giscard d’Estaing pour réduire l’offre médicale, d’outils étatiques inadaptés comme les Agences régionales de santé. Si l’on ajoute à cela la guéguerre entre l’hospitalisation publique et l’hospitalisation privée, les querelles d’ego mandarinales et certaines liaisons dangereuses entre les laboratoires pharmaceutiques et le monde médical, on comprend mieux cette gestion chaotique.
Comment se fait-il que nombre de cliniques privées qui avaient vidé leurs lits, repoussé toutes les interventions chirurgicales non urgentes, qui disposaient d’unités de réanimation, n’aient pas vu ou très peu de patients, y compris dans des régions sévèrement touchées où les hôpitaux étaient à la limite de la rupture de charge ? Et comment expliquer l’invraisemblable polémique autour du Professeur Raoult et de la chloroquine, vieux médicament testé sur des centaines de milliers de patients depuis des décennies ? Si de façon médicalement surveillée, ce remède était efficace, comme cela semble être le cas, pourquoi s’en passer ? Peut-être n’est-il pas assez cher et rapporte-t-il peu à l’industrie pharmaceutique ? Et si l’on était en état de guerre sanitaire pourquoi ne pas traiter plutôt que d’attendre que la maladie passe en prenant du doliprane ou qu’au contraire l’on finisse par se retrouver en réanimation ?
Quand on songe que l’on est même aller rechercher Daniel Cohn-Bendit pour enflammer la polémique et enjoindre au Professeur Raoult de « la fermer », alors que ses compétences médicales sont pour le moins incertaines (sauf si l’on considère que ses pratiques « pédiatriques » passées lui donnaient une autorité quelconque…), on ne peut que rester dubitatif. Le Professeur Raoult, assez éloigné des pratiques des conseils scientifiques, serait-il soupçonné d’être un médecin populiste ?
Certes la situation n’était pas facile mais les contradictions, les dissimulations voire les mensonges du Gouvernement n’ont fait qu’aggraver la situation. Elles ont aussi été le révélateur de la faillite de l’Etat jacobin qui accumule normes, contraintes, comités, procédures, le tout couronné par le principe dit de précaution mais que l’on pourrait nommer aussi principe d’inaction. Enserré dans sa propre « production » administrative, l’Etat obèse s’étouffe lui-même, paralyse son action, anéantit d’éventuelles capacités de réaction rapides. Peut-être l’étrange interdiction faite aux médecins de ville de prescrire de la chloroquine tenait-elle d’abord à des raisons administratives. L’autorisation de mise sur le marché de ce médicament n’ayant pas été faite, par définition, pour traiter le COVID-19, il était plus qu’urgent d’éviter tout risque de poursuites en cas d’éventuels effets secondaires. Mais si nous étions « en guerre » comme l’a déclaré le Président de la République, ne fallait-il pas mettre en pratique la vieille expression de nos grands-parents « à la guerre comme à la guerre », en prenant bien évidemment toutes les précautions d’administration et de suivi médical ?
On le sait, les ministres ne décident en fait que de peu de choses. Ne pouvant même pas choisir leur directeur de cabinet, ni même, en pratique, les membres de celui-ci, ils sont environnés de représentants de l’Etat jacobin profond supposés les conseiller mais dictant surtout leurs décisions à leur ministre marionnette. Apparemment, le seul motif de gloire du Gouvernement résidait dans le nombre de contrôles du confinement et de procès-verbaux dressés. Ainsi l’ineffable Castaner, avec de virils coups de menton, s’enorgueillissait-il du fait qu’il y avait eu plus de 8 millions de contrôles et 480 000 contraventions dressées grâce à la mobilisation de 160 000 policiers et gendarmes. Pendant ce temps-là, des émeutes éclataient dans les banlieues avec leur cortège de tirs de mortiers, de jets de projectiles contre les policiers, de feux d’artifice en pleine rue, d’incendie de poubelles et de véhicules et même d’une école à Gennevilliers. Ainsi étaient touchées les villes du Havre, d’Evreux, de Bordeaux, de Villiers sur Marne, de Mantes la Jolie, de La Courneuve, de Trappes, de Grigny… – et la liste n’est pas exhaustive. Mais les instructions données aux policiers étaient de faire preuve de compréhension et de discernement et de quitter le terrain au plus vite ! Plus que jamais, les mots sinistres de François Hollande à propos de l’inévitable partition du territoire semblent se réaliser. Mais si les contrôles du confinement devaient être légers en banlieue, en revanche ils devaient être zélés dans les quartiers « chics » ou paisiblement bourgeois. Il est vrai que le malheureux Français moyen n’a guère tendance à user de mortiers contre les policiers.
Là encore, l’Etat centralisé et jacobin fait preuve de son incapacité, dévoile au grand jour sa faillite. Le jargon épouvantable sur « la reconquête républicaine » et la lutte contre la sécession de certains quartiers ne fait que traduire que l’échec de l’intégration de certaines populations qui se définissent elles-mêmes comme des « Français de papier », à l’image des « dragons de papier » chers aux communistes chinois. Et, pourtant, nul ne songe à remettre en cause le laisser-faire, laisser-passer en matière d’immigration. Nul ne songe à modifier les conditions d’acquisition de la nationalité française ou à restreindre le regroupement familial. Chaque année des centaines de millions sont déversés au titre de la politique de la ville. On ravale les façades, on restaure les cages d’escalier, on rénove les maisons de quartier, tout cela en pure perte car le problème ne réside pas dans les bâtiments mais chez certains habitants qui pourrissent la vie des autres. Et notre bel Etat, supposé faire l’admiration du monde, détourne les yeux et laisse se développer une économie des stupéfiants dans ces quartiers abandonnés à la loi des bandes. Et crée des zones d’éducation prioritaire, cherche à renforcer les capacités de la police et de la justice pour palier son incurie et sa lâcheté.
Mais ceux qui ont aimé le confinement vont adorer le déconfinement ! Le protocole de réouverture des classes ne comptait, en définitive, que 54 pages alors que sa première mouture en comportait plus de 65. Bel effort de simplification administrative ! Tandis que les conditions de réouverture des plages, déclarées maintenues fermées par le ministre de l’Intérieur, sont ubuesques. Pour ne pas évoquer les consignes données aux entreprises qui reprennent le travail, comme si l’Etat voulait régenter de façon administrative toute la vie sociale. Tout en laissant dans l’incertitude absolue des secteurs entiers de l’économie comme le tourisme, l’hôtellerie et la restauration.
Pour couronner le tout, la prolongation de l’interdiction des cérémonies cultuelles, alors qu’il est possible de fréquenter les grandes surfaces ou de se réunir à plus de dix en privé, confine à la mesure vexatoire et discriminatoire. Comme si évêques, pasteurs, rabbins et imans étaient incapables de mettre en œuvre les distances de sécurité dans des édifices religieux, dont certains sont loin d’être bondés et comme si les croyants étaient soit irresponsables, soit stupides.
Enfin, dans cette ambiance anxiogène entretenue par l’Etat, est ressurgi le détestable penchant français pour la délation, quasiment encouragée par les pouvoirs publics au nom du respect des règles du confinement. Vieille tradition républicaine, il est vrai, sur les assignats de la 1ere république figurait en effet l’aimable mention « la Nation récompense le dénonciateur ». La nouvelle devise serait-elle « dénoncez-vous les uns les autres » ? Belle fraternité républicaine !
La conclusion de cette immense faillite étatique, de cette confusion mentale administrative qui veut que la société soit au service de l’Etat et non le contraire, inversion totale et totalitaire des valeurs, est que la prochaine alternance politique ne pourra se réduire à ces « gentillettes » alternances durant lesquelles rien ne change fondamentalement : plus d’impôts ou un peu moins, plus de déconstruction sociétale ou un peu moins, plus de contraintes administratives sur les entreprises ou un peu moins… Non cette fois-ci il faudra renverser l’Etat jacobin, repenser et refonder toute notre organisation politique et administrative en dépouillant l’Etat de ses pouvoirs indus, en redonnant une vraie liberté aux collectivités locales et aux acteurs de la vie sociale, en procédant, pour une fois, à une simplification administrative radicale. Ce dont la France a besoin, c’est d’une « révolution de velours », pour employer les mots de Vaclav Havel, afin de mettre à bas, une fois pour toutes, l’Etat jacobin qui étouffe la société et fait régresser la France.
Stéphane Buffetaut
Elu local, Ancien député européen