par Thomas Ferrier
La campagne de Marine Le Pen a révélé au plus grand nombre beaucoup des défauts inhérents au nouveau Front National qu’elle dirige depuis 2011.
Le premier défaut est l’importance prise par la stratégie impulsée par Florian Philippot : campagne économiquement de gauche, europhobie permanente partant d’un contre-sens sur le résultat du référendum sur le TCE en 2005 (1), tabouisation de la thématique migratoire d’un point de vue ethno-civilisationnel. Son obsession contre l’euro, l’idée d’abandonner cette monnaie étant à juste titre anxiogène, relevant d’un postulat de principe, a joué en sa défaveur. Les apprentis sorciers en matière économique n’ont jamais eu une grande cote, surtout auprès de l’électorat de droite, qui tient à son épargne.
Dans le débat face à Emmanuel Macron, elle est apparue comme un amateur, sans colonne vertébrale, sans assises idéologiques, et défendant fort mal son programme. Faible sur les questions économiques, thème qu’elle aurait pu éviter en jouant la carte de l’avenir de la France et du destin du peuple français, elle a donné le bâton pour se faire battre à son adversaire qui, en ce domaine, a eu beau jeu de la pilonner sur ses insuffisances criantes en ce domaine. Le mot immigration, qui est pourtant la principale raison du vote en sa faveur, était quasiment absent, limité à quelques tirades générales sans saveur.
Le débat du 3 mai 2017 est pour Marine Le Pen ce qu’a été le « détail » pour Jean-Marie Le Pen en 1987. Ce dernier a perdu toute chance d’accéder au pouvoir suite à son dérapage, sans cesse renouvelé dès lors qu’il savait ne plus pouvoir que témoigner. Marine Le Pen perd toute chance pour l’avenir également et notamment pour 2022. Il y a des erreurs dont on ne se remet pas. Et la perte de crédit qui est désormais la sienne paraît insurmontable. Eric Zemmour n’a pas trouvé un mot pour défendre sa prestation et Robert Ménard a rappelé son désaccord avec elle sur les questions de l’euro et de l’Union Européenne.
Enfin, elle a commis au soir du second tour trois erreurs majeures de communication qui accentuent son décalage. En premier lieu, elle n’a pas su reconnaître sa défaite, préférant botter en touche au nom d’une hypothétique refondation, et sans vouloir faire le bilan de cet échec. Au contraire, tout indique qu’elle se limiterait à des changements cosmétiques ne remettant en cause ni sa domination sur le parti ni la ligne, ayant pourtant mené au désastre, impulsée par Philippot.
La seconde erreur fut d’apparaître extrêmement souriante devant les caméras quelques minutes avant son intervention télévisée faisant suite aux résultats, puis de prendre artificiellement un masque sérieux quelques instants après. Ce manque de sincérité, commun à tous les responsables politiques, s’est vu. La troisième erreur, prolongement de la seconde, fut d’être filmée en fin de soirée en train de danser. C’était fort malvenu, alors que nombreux électeurs étaient déçus ou dépités, ainsi que beaucoup de cadres, en dehors du cas des courtisans.
Une candidate refermée sur un clan souverainiste.
Les défauts de l’époque Jean-Marine Le Pen ont continué au Front National. La discipline de parti y est excessive, la soumission au dirigeant calamiteuse. Un chef de parti qui n’écoute que les courtisans serviles et marginalise les cadres critiques ne peut qu’accumuler les erreurs. Sophie Montel a expliqué qu’il fallait, je cite, « suivre la ligne de Marine Le Pen au doigt et à l’œil », adoptant ainsi la démarche d’un parti stalinien.
Marine Le Pen depuis 2011 n’a cessé de prôner l’ouverture, alors qu’elle n’a cessé de pratiquer l’épuration au sein de ses rangs. Après la mise à mort politique de son propre père, ce qui pouvait se comprendre néanmoins d’un point de vue stratégique, elle a marginalisé ses alliés, comme le SIEL de Karim Ouchikh poussé à la rupture, ou comme Robert Ménard, rabroué par Marine Le Pen lors d’un séminaire, et jusqu’à sa propre nièce, Marion Maréchal – Le Pen, qui a fini par renoncer ce mercredi à toute action politique pour quelques années, démissionnant de son mandat régional et se retirant des élections législatives, pour raisons familiales et aussi pour raisons politiques, sa ligne plus à droite étant rejetée durement par sa tante.
Si Nicolas Dupont-Aignan a soutenu Marine Le Pen au second tour, il conserve en revanche une farouche indépendance politique. Il sera sans doute confronté à ce qu’ont vécu les autres organisations. Le FN de Marine Le Pen n’accepte que des vassaux, pas des égaux.
Entourée de courtisans qui comme Loki auprès d’Odin lui suggèrent de bien mauvaises idées, étant victime d’un tropisme à gauche depuis de nombreuses années, elle n’écoute pas ceux qui auraient pourtant pu lui éviter bien des déconvenues. Aucun intellectuel n’a pu rester dans ou à côté du parti bien longtemps. L’indépendance d’esprit et une certaine insoumission caractérisent celui qui pense par rapport à celui qui agit.
Marion Maréchal Le Pen proposait d’adopter une ligne plus conservatrice sur le plan des mœurs, ce qui déplaît à la présidente 68-arde, une ligne plus chrétienne, alors que Marine Le Pen semble mépriser les religions, tant le catholicisme traditionnaliste que le paganisme, une ligne plus libérale et plus identitaire, donc moins anti-européenne, la présidente du Front National a préféré s’arc-bouter sur sa ligne de gauche. Il n’est toutefois pas absurde néanmoins de vouloir envoyer des signaux favorables à l’électorat populaire et aux ouvriers mais elle s’y est fort mal prise.
Un socialisme national « plus socialiste que le socialisme ».
Dans la forme de synthèse sociale-nationale qu’a proposé Marine Le Pen, la dimension identitaire est presque inexistante, ce qui fait que la principale différence entre le FN et le Front de Gauche s’est estompée. Or un « socialisme identitaire » ne signifie pas un alignement sur la démagogie marxiste. L’ouvrier français vote FN contre l’immigration et pas par « socialisme », même si une forme d’ethno-socialisme ne lui déplaît pas. Un socialisme d’exclusivité aurait pu de même lui plaire, s’il avait été bien expliqué. Or, comme le disait Dominique Venner, « il ne faut pas être plus socialiste que les socialistes ». Dans le couple social / national, c’est le national, au sens ethno-civilisationnel du terme, qui prime.
Pour réussir à récupérer l’électorat populaire de gauche et l’électorat plus bourgeois de droite, le ciment est le nationalisme identitaire, celui là même que Marine Le Pen a refusé au nom d’une conception civique de la nation, à la Habermas, que l’ex-chevènementiste Philippot a apporté dans son panier, ouverte aux « branches de l’arbre France » comme disait l’ancien mentor de David Rachline, ceux-là même contre lesquels ses électeurs traditionnels, y compris ouvriers, manifestent leur opposition.
Avec l’adhésion de la France à l’Union Européenne et les interdépendances économiques créées avec l’introduction de l’euro, ce nationalisme identitaire amènerait naturellement à se définir comme européen. Ce que Robert Ménard a parfaitement compris, mais ce que Marine Le Pen refuse de tout son cœur, au risque de dégoûter de nombreux électeurs de droite sans gagner d’électeurs de gauche pour autant.
Son socialisme fait fuir la droite, et son renoncement au nationalisme ne lui rallie pas la gauche, bien au contraire. Elle perd sur les deux tableaux. On ne peut récupérer droite et gauche qu’en les attirant par ce qu’ils ont en commun.
La ligne de Marion Maréchal Le Pen n’est pas meilleure que celle de Marine Le Pen en réalité. Le juste milieu aurait été sans doute plus habile, à la condition de rester ferme sur les questions migratoires et identitaires, en renonçant à l’europhobie, en choisissant la dédramatisation plutôt qu’une illusoire dédiabolisation.
Et l’avenir ?
Avec le départ de sa nièce, Marine Le Pen va s’orienter encore plus à gauche, avec Florian Philippot à ses côtés en situation de monopole idéologique, d’où son surnom en interne de « Raspoutine », donc persévérer dans l’erreur. Il est probable que les législatives de juin 2017 ne seront pas aussi bonnes qu’elle l’espère. Avec 21,3% aux présidentielles, élection qui lui est généralement plus favorable, un score de 17% aux législatives ne serait pas surprenant. Elle n’aurait donc guère d’élus à part en Picardie. Il est difficile en outre de savoir quel sera l’effet démobilisateur sur son électorat du souvenir du débat du 3 mai, du résultat décevant du 7 mai, et du départ de Marion Maréchal Le Pen.
Quand on persévère dans l’erreur, on finit par y sombrer. Pourra-t-elle rompre avec ce cercle vicieux ? Qui sera le Pourichkevitch (symbolique) qui la libérera de son Raspoutine si celui-ci existe ? Un ripolinage de façade avec un nouveau nom mais la même dirigeante, les mêmes conseillers et la même ligne suicidaire ne servirait à rien.
> le blog de Thomas Ferrier
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