En Ukraine, le rideau de fer a laissé la place au bras de fer entre l’Est et l’Ouest. L’Orient étant toujours compliqué, il faut tenter de faire preuve de discernement. Vu de France, le paysage confus offre une certaine symétrie. Chacun des deux camps voient dans l’autre le retour des heures sombres de l’histoire. Pour les Occidentaux, il y a dans dans la Russie d’aujourd’hui comme un retour d’URSS refoulée, et peut-être même une stratégie annexionniste rappelant les deux dictateurs rivaux des années 30 et 40. L’armée russe volant au secours des Russes de l’Est de l’Ukraine victimes d’une odieuse répression vous a un petit air de Sudètes du plus mauvais effet. La Russie et ses partisans n’hésitent pas à stigmatiser la triple illégitimité du gouvernement de Kiev : renversement du Président élu, présence des militants d’extrême-droite à ses côtés, et dès l’origine des manifestations de Kiev, soutien des Etats-Unis. Drapeaux rouges et noirs liés dans l’histoire officielle russe à la collaboration avec les nazis, d’un côté, marteaux et faucilles de l’autre, accusations portées contre le FSB dans les troubles du Donbass en écho à la dénonciation du rôle de la CIA dans la protestation violente orchestrée place Maïdan : le fossé qui se creuse fait craindre la guerre civile, l’intervention russe et ses conséquences redoutables.
Trois constats s’imposent cependant. D’abord, l’absence de l’Europe, réduite au rôle de banquier subsidiaire, après le retrait de l’aide russe et sous le contrôle du FMI, d’un pays en faillite. Sur le plan politique, ce sont les Etats-Unis qui mènent la danse, avec leurs partenaires de l’Otan rangés derrière eux. Ce que dit Washington est répété en boucle par Rasmussen et par notre propre Ministre des Affaires Etrangères. La Russie est la seule fautive. Des sanctions graduelles seront mises en oeuvre et ont commencé de l’être. Les pays les plus en pointe sont ceux qui ont appartenu au bloc soviétique et parfois à l’URSS, et dont certains sont peuplés, comme l’Ukraine, par une minorité russe importante. Un nationalisme humilié pendant des décennies, voire des siècles, et réveillé par la menace explique cette réaction évidemment étrangère à l’Europe occidentale. Une fois encore, l’Europe ne présente pas d’unité réelle. C’est pourquoi la France aurait dû intervenir dans son propre intérêt et chercher à calmer le jeu avec les Russes.
En second lieu, l’Ukraine ne possède pas une identité et donc une unité faciles à définir. Les populations de Galicie, polonaise et austro-hongroise, durant des siècles, n’ont pas la même culture que celles du Donbass, la Méotide où des violences se déroulent actuellement, à Donetsk ou à Louhansk, par exemple. Outre la langue ou la religion, il y a l’histoire et l’économie. L’Est a été sous domination Tatar, puis russe. Il est majoritairement russophone et orthodoxe. Son industrie et le génocide stalinien de l’Holodomor ont favorisé une immigration russe importante. Plus on va vers l’Ouest, plus la langue ukrainienne, la religion grecque-catholique, l’agriculture sont présentes. Ignorer cette réalité ne peut que conduire à la catastrophe. Ou on veut faire basculer toute l’Ukraine dans le « camp » occidental, et la Russie préférera prendre des risques pour récupérer au moins la Méotide. Ou bien, on aura pour objectif de faire de l’Ukraine un pont entre l’Europe et la Fédération de Russie. Cette dernière veut conserver l’Ukraine dans sa sphère d’influence et surtout ne pas la voir intégrer les organisations de l’OTAN ou de l’Union Européenne. L’augmentation de 80% du prix du gaz russe à l’Ukraine montre la dépendance de celle-ci. Son marasme économique est tel que l’Europe ne peut se charger d’un tel fardeau. Le FMI conditionne d’ailleurs son aide, et donc celle de Bruxelles, à des réformes structurelles considérables et peut-être insupportables. Déjà, Kiev a dû promettre d’augmenter le gaz des particuliers et des entreprises de 50 et 40%. La solution existe : c’est le fédéralisme qui permettrait de sauvegarder l’unité en donnant plus d’autonomie aux régions pour respecter leur diversité. L’équilibre intérieur conduirait bien sûr l’Etat central à l’équilibre sur la scène internationale. Si celui-ci était rompu, la Russie aurait beau jeu d’invoquer à nouveau Mayotte, et la liberté des peuples et des régions de choisir leur destin, y compris celui de retourner à la maison-mère. En revanche, cette annexion ferait perdre à la Russie tout espoir de voir ses amis redevenir majoritaires à Kiev, ce qui reste possible, même sans la Crimée, en raison des conséquences de la crise économique catastrophique que traverse le pays. La Russie souhaite donc le fédéralisme. Celui-ci permet de concilier les points de vue et d’additionner les aides.
Troisième constat. Au moment même où certains obstinés, nos partis dominants, notamment, poursuivent leur fuite en avant vers le fédéralisme européen, et pourquoi pas vers une Europe des régions, la diplomatie reste ancrée majoritairement sur la fiction d’un concept de l’Etat-Nation qui aurait une vocation universelle. En fait, c’est le modèle français depuis la révolution et que nous avons commis la lourde faute d’exporter. Pour le coup, pourtant, il s’agit d’une exception construite pendant des siècles, par l’épée, par l’Eglise et par l’école. Vouloir l’appliquer à l’Allemagne ou à l’Italie nous à conduit à la tragédie. Même les royaumes britannique ou espagnol n’ont pas connu cette unité propre à la France. Celle-ci devrait profiter de l’avantage qu’elle en retire, mais en Europe comme en Afrique, ce postulat de l’Etat-Nation doit être remis en cause.
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