Parmi le feu d’artifices des réformes annoncées par Narcisse-Jupiter, celle qui éclaire la duplicité globale de la politique menée est celle qui entend remédier à la dérive supposée de l’information que l’on identifie en l’affublant d’une locution anglaise : « fake news ». Au Québec, on n’emploie pas cette expression. On lui préfère « fausse nouvelle ». L’air de rien, le fait que la France oublie à ce point les mots de sa langue nationale est très inquiétant, et à plus d’un titre. D’abord, c’est l’indice du triomphe actuel d’une caste qui a porté Macron au pouvoir, et de son idéologie. Les « métropolitains » tels que les a définis Christophe Guilluy face aux « périphériques », nomades dans le vent contre sédentaires enracinés, privilégient l’espace dans lequel ils se déplacent par rapport au temps au sein duquel on transmet. Par un beau paradoxe, ils sont favorables à l’accueil des immigrés et au multiculturalisme, mais parlent anglais comme un seul homme, et tendent vers leur monde unipolaire en marche arrière. Lorsque sur C News, les « fake news » sont le sujet de « Punchline », une sorte de point-limite a été franchie, les amarres ont été larguées, le sabir atlantique des métropolitains dit adieu à la France et à sa culture, à une culture qu’ils ignorent et qu’ils contribuent à faire ignorer.
Et c’est cette ignorance de ceux qui nous « informent » qui devrait, en second lieu, nous alerter. On a souvent tort d’opposer la forme et le fond. L’atlantisme linguistique va souvent de pair avec un atlantisme culturel et géopolitique. Les Américains se soucient assez peu d’histoire alors qu’elle passionnait les Français. C’est toute la différence entre un pays centenaire issu de multiples immigrations, et une nation millénaire qui n’a connu une immigration importante que récemment. Comme le disait le Général de Gaulle s’envolant vers le Levant, le Liban et la Syrie » Vers l’Orient compliqué, je volais avec quelques idées simples ». Quand on connaît l’érudition historique du Général, et sa maîtrise d’une région où il avait déjà séjourné en 1929, et sur laquelle il avait écrit, on ne peut que rendre hommage à sa modestie. Mais c’est vrai que la Syrie est une mosaïque ethnique et religieuse que les médias « mainstream » ont tendance à réduire à une scène de Western qui pourrait s’appeler « Le Monstre, la brute et les gentils ». Le premier serait l’Etat islamique qui a pratiquement disparu des écrans. Le second serait Bachar Al Assad, le « méchant » que nos « journalistes » préfèrent et les « gentils » seraient les autres, les adversaires de la brute. D’un côté, il y aurait un dictateur qui prendrait un soin particulier à exterminer son peuple, avec une prédilection pour les enfants. De l’autre, les rebelles portant l’espoir d’un avenir démocratique radieux. Si on regarde de plus près, les choses sont assez différentes. En observant la Ghouta orientale éclatée en trois morceaux encerclés par l’armée syrienne, on s’aperçoit que les « gentils rebelles » sont à Douma les salafistes de Jaych al-Islam soutenu par les Saoudiens, à Harasta, les islamistes d’Ahram al-Cham, fondé par des Frères Musulmans et favorable, comme par hasard à l’intervention turque contre les Kurdes d’Afrine. Dans le sud, les « bons », ce sont d’une part les miliciens de Faylaq al-Rahmane, eux aussi proches des Frères Musulmans, et soutenus par le Qatar et la Turquie, et d’autre part, les djihadistes d’Hayat Tahrir al-Cham, le nom actuel d’Al-Nosra, alias al-Qaïda, c’est-à-dire des terroristes aux yeux-mêmes des Occidentaux. Cette réalité devrait nous inciter à souhaiter au plus vite la victoire de l’armée régulière, mais elle est obscurcie par des « informations » qui grossissent le nombre des habitants pris au piège et additionnent les « victimes du régime », dont on laisse supposer qu’il utilise des armes inhumaines. Les pays occidentaux se paient le luxe de demander à la Russie et à la Syrie d’arrêter un « bain de sang » qu’ils ont fomenté, armé et qu’ils protègent encore en ne dénonçant pas l’imposture rebelle. Beaucoup « d’informations » proviennent de l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme, qui malgré son nom est un réseau relié à un homme proche des Frères Musulmans et basé à Londres, dont les communiqués sont repris systématiquement par l’Afp, ou Reuters. On ajoutera à cela, les condamnations répétées du « régime » par le Haut Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, un prince jordanien, Zeid Ra’ad al Hussein. Le long contentieux entre la Jordanie et la Syrie, le soutien logistique apporté aux rebelles par Amman éveillent des doutes légitimes sur son impartialité.
Autrement dit, s’il y a « fake news », fausse nouvelle, désinformation, elle est systématique, elle n’est pas le fait de quelques extrémistes présents sur internet, mais correspond au rouleau compresseur des grands médias occidentaux qui reflètent les préférences du microcosme métropolitain. Par un beau paradoxe, la multiplication des vecteurs d’information, appuyée sur une saine concurrence qui devrait ouvrir l’éventail des opinions et de l’interprétation des événements, aboutit à la voie unique du politiquement correct. Mais ce n’est pas suffisant, il faut faire taire toute alternative, réduire les dissidents, et c’est ainsi que Macron a inventé les « fake news », comme si la démocratie ne devait pas admettre une certaine relativité de la vérité. L’ennui c’est que cette formulation anglaise n’a qu’un but, faire oublier que le « délit de fausse nouvelle » existe déjà, et que l’article 27 de la Loi sur la Liberté de la presse prévoit une amende de 45 000 Euros pour les coupables.
Une conclusion semble s’imposer : le délit de « fausse nouvelle » était une arme d’usage rare et proportionné. Celui de « fake news » aura pour but de franchir une limite, celle qui consiste à imposer sournoisement au nom de la défense de la vérité, le mensonge massif de la pensée unique. Le projet de loi « anti- fake-news » est l’arbre qui veut cacher la forêt de la désinformation systématique.
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