Les événements font parfois perdre de vue certains points de repère, mais, je vous le rappelle : depuis une semaine, nous sommes en pleine période de soldes ! Après des réductions particulièrement alléchantes (de 20%, 30%, et jusqu’à 50%) sur notre liberté d’expression, on trouve aussi des affaires croustillantes avec la liquidation complète de tout le stock de morale pour cessation d’activité intellectuelle.
Il semble en effet que cette activité intellectuelle a été totalement épuisée par les récentes occupations médiatiques des Français. On peut les comprendre : ce n’est pas tous les jours que leurs dirigeants s’engagent sur le terrain ô combien glissant de la non-récupération politique d’actes terroristes, l’honnêteté intellectuelle, l’unité mais pas trop et l’ouverture totale d’esprit aux idées compatibles avec les leurs. Dès lors, pendant que les uns paradent, les autres regardent et laissent agir la petite minorité discrète de ministres qui n’ont – fort heureusement – surtout pas abandonné leurs missions.
Et dans ces missions, on trouve notamment le fait de propulser les finances publiques vers un nouveau gouffre de dépenses inutiles. Franchement, ça tombe bien, parce que si la sécurité n’est pas tip-top actuellement en France, au moins, question trésor public, ça baigne (c’est déjà ça). C’est donc avec une certaine décontraction qu’on apprend que Manuel Valls et Ségolène Royal ne se sont pas trop embarrassés de scrupules pour signer le décret « déclarant d’utilité publique et urgents les travaux de la ligne grande vitesse (LGV) Poitiers-Limoges ».
Cette ligne, absolument indispensable (puisque d’utilité publique, voyons !), va enfin permettre de relier les deux villes en moins de 40 minutes ce qui arrangera bien les flux monumentaux de voyageurs des deux mégalopoles de 140.000 et 87.000 habitants, tout en mettant l’énorme conurbation de Limoges à moins de 2h de Paris. Il fallait bien ça tant les réseaux routiers sont arrivés à saturation, et tant les finances locales, largement excédentaires, permettent d’envisager les légers travaux d’infrastructures avec sérénité.
Pensez donc : la facture frôlera à peine les deux milliards d’euros, ce qui, pour les 227.000 individus directement concernés, représente la broutille de 8800 euros. Rassurez-vous : cette somme sera bien entendue déboursée par l’ensemble des contribuables français qui, on le comprend compte-tenu des enjeux (Limoges à 2h de Paris, je vous le rappelle — Limoges, quoi, tout de même ! –) bénéficieront tous des retombées que ce petit morceau de LGV d’un peu plus de 100 km va apporter aux Limougeauds et aux Poitevins dont la richesse, considérablement augmentée par ce puissant équipement, retombera évidemment sur tout le pays.
Bien évidemment, certains esprits chagrins — au premier rang desquels on trouve les grincheux de la Cour des Comptes et du Conseil d’État — estiment que la ligne ne sera jamais rentabilisée faute de passagers. Allons ! Si, comme prévu, tous les Limougeauds échangent hebdomadairement leur place avec tous les Poitevins et inversement, nul doute que le surcroît de déplacement amènera rapidement cette ligne à l’équilibre budgétaire. Et tant pis si, avant même le problème de la rentabilité de la ligne, se pose un peu crûment le problème du financement de sa construction : le prince François a décidé qu’il y aurait cette ligne, et cette ligne il y aura donc.
Dès lors, pendant que le peuple, qui finance cette dépense princière, broutait manifestait paisiblement dans les rues de France et de Navarre, les ministres du prince ont courageusement signé le décret qui ouvre les vannes du crédit. C’est à la fois magique et réjouissant, et si cela rappelle un peu Les Heures Les Plus Écomouv’ De Notre Histoire, ce n’est pas bien grave puisque la République est maintenant une, indivisible et s’en retrouve avec Limoges et Poitiers considérablement rapprochés dans un proche futur.
Et c’est précisément parce que cette République se mue maintenant d’un bloc, résolument, vers un avenir qu’on ne peut qu’envisager meilleur, que personne n’ira poser les questions qui agacent au sujet de cette ligne grande vitesse. Personne ne cherchera à savoir si les dépenses engagées ne taxeront pas d’importance les futures mises à niveau des infrastructures déjà existantes et fortement nécessiteuses de nos réseaux français. Personne ne s’interrogera sur l’impact négatif de ce chantier pour une entreprise, la SNCF, dont la nature éminemment publique fera immanquablement retomber les difficultés sur les comptes eux aussi publics. Personne ne cherchera à comprendre pourquoi le décret est passé, malgré la myriade d’avis négatifs et les raisons, pourtant solides, avancées par les sages de la rue Cambon, de ne pas se lancer dans cette entreprise ridicule.
Et pour ce qui est des transports en Île-de-France, vétustes, criblés de grèves, d’incidents de trafic, de retards et aux conditions déplorables réellement indignes de la cinquième, pardon sixième puissance mondiale, pour ces transports, qui ne bénéficieront donc pas de la somme correspondante ni de l’attention des pouvoirs publics affairés à faciliter l’axe limougeaud-poitevin, il faut comprendre que notre chef de l’État et ses ministres (ceux qui ont signés comme les autres) n’en ont absolument rien à carrer. Mieux : du côté des élus locaux, à commencer par Gérard Vandenbroucke, le président de Région [Contribuables, retenez ce nom !], « On est satisfait ». Ben tiens. À deux milliards d’euros le ticket gagnant, on le serait à moins.
Dans l’immédiat, et alors que l’émotion des récents événements n’est pas même tombée, il était absolument indispensable de mettre en place les nécessaires décrets justifiant l’expropriation des individus sur l’inutile tracé, pour permettre à une société nationale exsangue de s’endetter encore plus auprès d’acteurs financiers non solvables, afin de dépenser en pure perte les sommes faramineuses mobilisées pour ce projet non rentable.
Et vous, vous le sentez, ce parfum lourd et entêtant de foutage de gueule ?
> H16 anime un blog.
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