En l’espace de quelques semaines, au tournant de cette année, les exemples se sont accumulés de ces corporations, syndicats et lobbies qui s’arc-boutent sur leurs privilèges, gagnés de haute lutte à une époque déjà lointaine et dont l’existence, maintenant, laissent de plus en plus perplexes par leur décalage avec d’un côté les besoins et les attentes de la société et de l’autre les nouvelles possibilités offertes par les progrès technologiques constants.
J’avais déjà relaté dans un précédent billet l’incroyable mésaventure de Bricorama, forcée de fait par un syndicat adepte de la politique de la terre brûlée à déposer le bilan pour des raisons de principes antédiluviens qu’en pratique, rien ne permet plus de justifier de nos jours.
On se rappelle en effet que Force ouvrière avait, de son propre chef, attaqué la direction du groupe de magasins de bricolage en leur reprochant leurs ouvertures du dimanche. D’une part, les concurrents de la chaîne (Leroy Merlin ou Castorama par exemple), pratiquant les mêmes jours d’ouverture, ne se sont pas fait inquiéter par le syndicat. D’autre part, les magasins qui ouvrent ce jour-là permettent à des employés qui sont explicitement favorables à la mesure, le dimanche étant payé double, ce qui leur permet d’augmenter notablement leur salaire. Le syndicat avait donc agi dans un but purement dogmatique (probablement pour des raisons religieuses, seul argument expliquant pourquoi le jour de fermeture doit être spécifiquement un dimanche et pas un autre jour), et ce but ne coïncidait en rien avec la défense ni de l’emploi ni du bien-être des salariés et des éventuels syndiqués concernés.
La suite, la presse en a parlé : menacé d’une amende de plusieurs dizaines de millions d’euros pour cette ouverture dominicale, la chaîne de magasin, ne disposant pas d’une telle trésorerie, s’achemine vers le dépôt de bilan et la fermeture de plusieurs magasins. On voit ici que la défense de l’emploi, chose qui devrait primer aux yeux du syndicat, est d’autant plus vite oubliée lorsque de juteuses amendes peuvent être collectées sur le dos d’entreprises, mêmes mourantes. Du reste, suite à un vice de procédure, FO ne pourra pas encaisser les 37 millions d’euros ; on se doute que ce n’est que partie remise.
Derrière ces attaques lamentables du syndicat, parfaitement symptomatique d’un comportement de petits mafieux prêts à tout pour l’argent, se cache un autre problème plus aigu : depuis l’arrivée d’Internet dans tous les foyers français ou presque, la chaîne de magasins de bricolage, comme, d’ailleurs, beaucoup d’autres commerçants, petits ou grands, se retrouvent en concurrence directe avec un moyen de vente directe qui ne s’embarrasse ni de frais de structure important, ni d’horaires d’ouverture contraignants.
Eh oui : Internet, c’est 24h sur 24, et sept jours sur sept, jours fériés, fêtes nationales ou religieuses comprises.
En substance, le déplacement dans un magasin un dimanche n’est plus que l’apanage des acheteurs qui doivent disposer de l’outil ou du produit désiré dans les heures qui suivent et ne peuvent attendre les quelques jours que prend maintenant une livraison suite à une commande sur internet. Autrement dit, à mesure que l’usage d’internet se démocratise, ne se déplacent plus en magasin que les clients qui ont besoin de voir et toucher pour acheter, et ceux qui ont besoin de couper le temps d’obtention au plus court. On comprend dans ce cas, avec cette réduction drastique de la base de clients potentiels, que l’ouverture le dimanche n’est pas un combat anodin.
Et ce qui est vrai pour le bricolage l’est encore plus pour d’autres biens très standardisés. Ici, on peut penser évidemment aux biens culturels, et heureusement, l’insondable bêtise de nos ministres nous rafraîchit la mémoire et permet de nous rappeler pourquoi la France s’enfonce tous les jours un peu plus ; cette semaine par exemple, Aurélie Filippetti a clairement décidé de s’inscrire à l’heptathlon d’idioties olympiques en s’emparant maladroitement de la pénible actualité concernant le Virgin Megastore, qui va fermer ses portes. Pour elle, c’est évident, c’est la faute à Amazon et la pauvrette va jusqu’à employer le terme de « concurrence déloyale » pour désigner l’entreprise américaine à la vindicte populaire…
Vindicte qui lui est d’ailleurs revenue dans la figure de la part d’internautes dans des tweets vengeurs assez savoureux :
La réalité est évidemment plus subtile : l’enseigne est confrontée au même problème que d’autres, avec d’un côté des coûts (de personnel et d’infrastructure, de loyers notamment, en augmentation constante par l’intervention directe de l’État sous forme de taxes, cotisations et déformation du marché) et de l’autre sur des bénéfices qui diminuent, les consommateurs pouvant trouver les mêmes produits ailleurs sans supporter les coûts de déplacement. Si l’on y ajoute les horaires, l’absence de services ou d’innovations marketing permettant la mise en valeur des magasins physiques par rapport à une concurrence en ligne exacerbée, on comprend que l’issue fatale pour le Virgin Megastore est la même que celle qui attend la Fnac et d’autres chaînes du même type, et les braillements ridicules d’une politicienne à la ramasse technologiquement parlant n’y changeront rien.
D’autant que chaque jour qui passe, les innovations proposées par les plate-formes en ligne s’accumulent et distancient les magasins physiques. Amazon vient ainsi de franchir un pas supplémentaire dans la dématérialisation de ses produits en offrant gratuitement, pour chaque CD musical acheté, la possibilité d’obtenir sa contrepartie en numérique (MP3 pour le moment) stockée dans le Cloud.
Et ce qui est vrai dans les biens culturels, très standardisés, l’est évidemment aussi dans les médicaments où les processus de fabrications sont plusieurs ordres de magnitude plus pointilleux et soucieux de l’uniformisation des productions. Or (et cela n’a semble-t-il pas fait grand bruit dans les médias), la loi autorise maintenant les pharmaciens à vendre et distribuer les médicaments par le biais d’internet ; pour le moment, il s’agit exclusivement des pharmaciens ayant pignon sur rue (le site web étant alors la version électronique de leur magasin) et seulement les médicaments qu’on peut obtenir sans ordonnance. On comprend que, petit-à-petit, il va rentrer dans les mœurs qu’on peut obtenir, de façon transparente et fiable, des médicaments auparavant vendus exclusivement en magasin.
Sur le long terme, on se doute aussi que ces changements d’habitude vont modifier lourdement les comportements des consommateurs de pilules, et conséquemment, le regard porté aux pharmaciens eux-mêmes (j’avais évoqué la question dans un autre billet et certains commentaires illustrent assez bien le corporatisme qui règne dans cette profession, avec les écueils évidents qu’elle va rencontrer plus ou moins durement dans les prochaines années).
Enfin, un dernier exemple arrive à point nommé cette semaine pour compléter ce rapide tour d’horizon avec la puissante corporation des taxis dont la calcification est à ce point avancée qu’on sait déjà qu’il n’y aura pas d’adaptation à la réalité sans frictions vigoureuses : il semble en effet que ces derniers ont choisi la grève pour exprimer leur mécontentement face à la concurrence d’autres moyens de transport entre particuliers ; évidemment, ce comportement marketing franchement douteux leur attirera la compréhension et la gratitude de leur clientèle qui a, encore une fois, l’impression de se faire prendre en otage.
D’autant qu’en substance, les taxis ne reprochent pas aux autorités l’arrivée d’une nouvelle concurrence, mais le fait que celle-ci n’ait pas à courir avec les mêmes boulets au pied que ceux que les taxis se sont eux-mêmes infligés par le lobbyisme au cours des années : ce qu’ils veulent, c’est donc que les autres subissent les mêmes avanies administratives. Logique. Pendant ce temps, la concurrence s’organise d’autant mieux qu’elle se passe, justement, des lourdeurs administratives idiotes, et permet donc des tarifs bien plus en ligne avec ce que peut vraiment accepter le consommateur.
D’ailleurs, on note une timide adaptation des taxis puisqu’ils envisagent le covoiturage, poussés par l’existence du procédé sur internet.
La France souffre de plusieurs maux et le corporatisme est l’un des plus importants : par le truchement du lobbyisme et de l’intervention systématique de l’état, il empêche des pans entiers de la société de s’adapter sereinement aux évolutions techniques ou sociales du pays en coagulant les pratiques dans une gangue de lois, de réglementations et de contraintes administratives. Et comme l’actualité l’illustre de façon croissante, nombre de domaines sont devenus trop sclérosés et les changements ne pourront avoir lieu que brutalement.
Le gouvernement et l’État se devraient d’accompagner le changement, mais on assiste exactement au comportement inverse puisqu’ils poussent les dinosaures à perdurer dans leurs vieilles habitudes. Évidemment, ceci ne pourra pas bien se terminer.
> h16 anime le blog hashtable.
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