Les élections régionales étalent sans vergogne la médiocrité à laquelle est descendue la politique française. En théorie, il s’agissait d’élire des conseillers régionaux. En fait, il s’est agi d’une élection nationale préparatoire à l’élection présidentielle. L’oligarchie politique et le microcosme médiatique, de plus en plus éloignés du peuple, l’ont trompé et manipulé sans retenue. Même si une partie importante des électeurs résiste, la manoeuvre semble réussir.
D’abord, il y a la réforme régionale. C’est un exemple d’enfumage qui va demeurer dans les annales de la science politique. La France subissait les effets pervers du mille-feuille administratif, empilement de collectivités territoriales inutilement coûteux avec trop d’élus, d’aparatchiks et de fonctionnaires. Il fallait supprimer les départements et garder les régions telles qu’elles étaient avec plus de compétences et de moyens. Le syndicat non déclaré des prédateurs de l’argent public a fait en sorte de préserver les deux niveaux de collectivités territoriales en augmentant même le nombre des élus. La taille des régions avait moins d’importance que leur cohérence et leur identité. On les a, au contraire, regroupées arbitrairement si on excepte la Normandie pour des raisons politiciennes afin de sauvegarder des intérêts électoraux. Dans les pays qui accordent de grands pouvoirs aux régions, l’Espagne ou l’Allemagne, par exemple leur dimension est très variable.
Une démocratie saine doit garder le mode de scrutin auquel les électeurs sont habitués, et utiliser si possible le même mode pour toutes les élections, ce qui rend la politique transparente et facilement compréhensible pour des citoyens même peu intéressés par la politique. En France, on utilise plusieurs modes de scrutin contradictoires, uninominaux à deux tours( législatives), binominaux (départementales), proportionnels à deux tours avec primes majoritaires différentes (régionales et municipales), proportionnels à un tour à la plus forte moyenne(européennes). On modifie de plus en plus souvent les circonscriptions électorales qui ne sont pas les mêmes pour les divers scrutins. On voudrait embrouiller l’électeur pour caser le maximum de copains (qu’il a de plus en plus de mal à identifier) qu’on ne s’y prendrait pas autrement. La France n’est pas une démocratie authentique, c’est un ersatz. Elle en a l’apparence mais est en fait une oligarchie mafieuse qui se moque des citoyens avec une intensité croissante.
A ces défauts majeurs, l’élection régionale actuelle ajoute une véritable escroquerie. Les partisans de la proportionnelle proclament qu’ils sont les champions de la démocratie puisque leur système permet la représentation de toutes les opinions. On remarquera que l’éparpillement est contre-productif et qu’il est préférable de constituer des alliances dès le premier tour. Première contradiction ! En revanche, le retrait d’une liste représentant une identité politique inconciliable avec celles restant en présence est une tricherie manifeste. Elle ne sert pas à représenter des électeurs et à exprimer une opinion, mais empêche une partie de la population d’être représentée et vise à barrer la route du pouvoir aux représentants d’une autre partie. Elle va à l’encontre de la volonté du Législateur. Les citoyens distraits ou les journalistes malhonnêtes, sans parler des politiciens qui le sont à l’évidence, confondent la situation de 2002 avec celle d’aujourd’hui. En 2002, Jospin avait été éliminé. Il ne s’était pas retiré. Il restait donc à ses électeurs à rester chez eux ou à voter pour l’un des candidats demeurant en lice. Cette fois, il s’agit d’un retrait arbitraire qui prive les électeurs de leur droit à être représentés. Cette manoeuvre dénature l’esprit du scrutin et devrait être interdite par la loi. Il ne s’agit pas d’un forfait sportif, mais d’une forfaiture politique qui a le culot de se draper dans les plis d’une morale très élastique, tandis que ses bénéficiaires se rendent ridicules à parler de résistance.
Un responsable politique de premier plan a cru devoir évoquer le risque d’une guerre civile. Il risque d’être à la fois le pompier pyromane et l’arroseur arrosé car à force d’empêcher par tous les moyens des citoyens d’être représentés à la hauteur de leur poids électoral et d’interdire à leurs représentants l’exercice du pouvoir, on peut craindre, qu’au lieu de la lassitude, on assiste à la montée d’un dépit et d’une rancoeur qui pour le coup seraient dangereuse pour la République. Est-ce l’effet recherché ?
Une démocratie mature exige des discours clairs et des procédures transparentes afin que des électeurs éclairés votent après réflexion. Le référendum d’initiative populaire tel qu’il se pratique en Suisse en est le meilleur exemple. Il est soigneusement évité en France. On y préfère des scrutins où l’on parle de tout sauf du sujet principal. Pour beaucoup, le vote risque d’être réflexe. La démocratie française sera devenue une panurgie où les moutons suivront en bêlant les consignes de perroquets paresseux.
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