Le Zemmour du vendredi. « Souvenez-vous, on les appelait les modérés. Certains osaient même parler d’islamo-démocrates, sur le modèle des “chrétiens-démocrates”. Nos chancelleries occidentales bénissaient il y a un an seulement les noces de l’islam et de la démocratie.
Tout irait bien dans le meilleur des mondes, loin de l’horrible conflit des civilisations. Notre ministre des Affaires étrangères de l’époque, Alain Juppé, traitait d’islamophobes ceux qui en doutaient, le Président américain Obama les soutenait en espérant isoler les modérés des radicaux. Tous les grands médias occidentaux et français faisaient chorus. Tous avaient seulement confondu modération avec pragmatisme et pragmatisme avec machiavélisme.
Les Frères musulmans égyptiens, comme leurs homologues de Tunis d’ailleurs, étaient modérés parce qu’ils n’appliquaient pas la charia en trois jours… mais en trois ans. Modérés parce qu’ils n’étaient pas terroristes. Modérés parce qu’ils ne remettaient pas en cause l’économie de marché qui, chez eux, signifie corruption et prébendes. Ils respectaient même la loi de la majorité, puisque la majorité votait pour eux. Mais la démocratie, c’est aussi la séparation des pouvoirs, la liberté de penser, de parler, d’agir, de pratiquer sa religion, même minoritaire… La dictature de la majorité reste une dictature.
En Égypte, le modéré Morsi a brutalement tombé le masque. Quelques mois après son élection, il a fait un putsch pour se débarrasser des juges et prendre les pleins pouvoirs. Cette action s’apparente, dans notre Histoire, au coup d’État de Napoléon III le 2 décembre 1851, trois ans après avoir été élu démocratiquement Président de la République. Au Caire, les chars sont lancés place Tahrir, comme les soldats du futur Empereur pourchassaient les adversaires du coup d’État.
Mais la comparaison doit s’arrêter là. En France, le Code civil réglait à l’époque les relations entre citoyens. Il n’était pas question pour Napoléon III d’abolir l’œuvre de son oncle vénéré. Pour Morsi et les islamistes, le Code civil, c’est le Coran, directement dicté par Dieu, indiscutable, pas négociable. L’objectif des Frères musulmans, nos fameux modérés, a toujours été d’instaurer une théocratie. S’ils y renonçaient, ou l’oubliaient, ou avançaient trop prudemment, les salafistes leur rappelleraient leurs devoirs.
Alors que les Frères subissent l’impopularité due à leur mauvaise gestion économique, à la fuite des touristes et des investisseurs, les salafistes ont le vent en poupe. Leur slogan pourrait être résumé simplement : “La charia, c’est maintenant”, par les urnes ou par la force. Ils n’ont pas de préférence, un peu des deux leur convient, au Caire ou à Tunis, demain à Damas. À l’époque du Prophète, il n’y avait pas d’État, pas de frontière, pas de nation, seulement le califat et le Coran. Ils sont l’espérance d’un petit peuple pauvre et illettré mais nombreux.
Les Frères musulmans dépendent désormais du soutien des salafistes pour résister à la pression d’une minorité libérale et occidentalisée. Au Caire, mais aussi à Tunis, ces divisions et affrontements sont des préludes à de possibles guerres civiles. Mais, rassurez-vous, des guerres civiles sans doute modérées.”
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