Bien sûr, le titre de cette tribune est une provocation. Encore que…
Mais tout d’abord, voyons ensemble les différentes étapes historique de l’exploitation de l’humain par l’humain.
À l’origine du monde, les humains exploitaient les ressources autour d’eux en tant que chasseur-cueilleur. Dans ce type d’économie, il est inutile de réduire en esclavage un autre être humain, car il ne produirait tout simplement pas assez pour que cela en vaille la peine et les risques. Les tribus perdant une guerre étaient exterminées et/ou pillées. Parfois les femmes étaient enlevées si les gagnants jugeaient possible de les nourrir.
Mais avec l’agriculture et l’élevage, la productivité de chaque humain augmenta, la société se complexifia, avec l’apparition de rôles spécialisés. Il devenait possible de retirer un revenu substantiel d’un esclave sans pour autant le laisser mourir de faim. Les premiers empires dans le croissant fertile furent construit sur l’esclavage brutal des ennemis vaincus.
La société se divisa entre les dirigeants, les éleveurs de bétail humain, et les esclaves et oppressés, le bétail. Ce modèle rencontra un succès foudroyant, car rien n’est plus productif qu’un humain : à la différence d’un animal, on peux le convaincre de se sacrifier pour le groupe, on peux le menacer, lui ou sa famille, pour qu’il ne se rebelle pas contre les mauvais traitements, on peux le menacer de mort pour augmenter sa productivité, ce qu’aucun éleveur ne peux espérer faire avec un cochon.
L’ensemble des guerres depuis cette époque est dès lors essentiellement l’histoire de conflit entre éleveurs pour la possession de ce bétail humain. Et parfois l’ambition d’une part du bétail de devenir lui-même éleveur.
Un autre modèle d’exploitation est celui de la taxation, il permet d’éviter deux contraintes du modèle plus primitif de l’esclavage : le besoin de supervision direct des taches accomplies par les esclaves, et la résistance spontanée que la violence provoque chez le bétail. En laissant le paysan décider de comment planter son champs, ou l’artisan quels biens il doit produire et comment, le bétail devient plus productif, et peux donc offrir plus aux éleveurs. De plus, n’étant plus menacé directement du fouet au quotidien, il ressent moins le besoin de se rebeller, ce qui réduit les frais de gestion des esclaves. Qui plus est, un bétail plus productif peut devenir plus nombreux et produit plus de choses à lui prendre.
Il existait bien sur une hiérarchie dans les éleveurs, du précepteur des impôts à l’empereur de droit divin.
Bien que les empires antiques aient utilisé une combinaison des deux modèles à la fois, le modèle de la taxation a progressivement pris le dessus, du fait de sa productivité supérieure. Mais ce mode d’élevage du bétail humain ne parvenait pas a produire efficacement ce qu’il a de plus précieux chez l’homme, son intelligence, sa capacité d’innovation.
Cela devint possible avec la fin du servage et l’émergence des sociétés modernes et du capitalisme. Il n’existait plus officiellement d’éleveurs, mais uniquement des hommes libres de produire ce qui était nécessaire à leurs semblables, et d’en tirer profit. Cette possibilité a engendré la plus grande croissance de productivité et de richesses de l’histoire, connu sous le terme de révolution industrielle.
Pourtant l’élevage de bétail humain n’a pas cessé. Simplement, la frontière entre les catégories à été floutée, et les taxes ont rapporté de plus en plus, du fait de l’immense richesse produite. Tout individu du troupeau suffisamment brillant, chanceux ou innovant pouvait parvenir à produire assez pour ne plus être du bétail mais devenir un éleveur, à condition que celui-ci ne menace pas le monopole des fermiers officiels et historiques, l’État et ceux qui le composent.
“Il est temps pour le bétail de renverser ses maîtres encore une fois. Mais cette fois, qu’il n’en choisse aucun à la place. Pour ça, il faut qu’il accepte de voir ses chaînes, même si c’est douloureux. Seulement alors, il pourra être libre…”
De là est aussi né le capitalisme de connivence, car il est plus facile, une fois sorti de la masse du bétail, de s’assurer une rente, plutôt que de rester innovant et créateur, au risque de retomber parmi le bétail Ceci était d’autant plus vrai pour les héritiers des créateurs de richesse, guère disposer à vivre à hauteur de leur réelle contribution.
Mais voila que vient le problème. À force de dire au bétail qu’il est libre, il finit par y croire. Et par réclamer des droits supplémentaires, voir à contester l’utilité même des éleveurs ! Cela engendra une intense instabilité ainsi qu’une vive contestation politique à la fin du XIXe siècle, et le bétail ne cessa de renverser les éleveurs incompétents, mais finissait toujours avec des éleveurs du même acabit, ou pire.
Certain s’en prirent aux éleveurs capitalistes, et se jetèrent dans les bras de ceux que l’État. L’histoire de l’union soviétique montre l’erreur que ce fut. D’autres se méfièrent de l’État, mais ne prirent pas garde que les éleveurs du capitalisme de connivence ne valaient guère mieux.
C’est alors que fut créée une classe de bétail dépendant des éleveurs et non plus de son propre travail uniquement, qui n’allait plus se rebeller, qui se chargerait elle-même de contrôler et de piller les individus les plus productifs qui refusent de se laisser tondre ou devinent la réalité de la société dans laquelle ils sont nés. L’État-providence fut inventé par Bismarck, qui pensait que les individus qui allaient recevoir une pension de l’État seraient moins enclins à la révolte et plus au soutien de l’État. Cet invention connu un succès foudroyant à travers l’Europe.
Puis le dernier verrou fut mis en place par l’éducation étatique centralisée et obligatoire. Religion moderne, l’éducation publique permit que, dès le plus jeune age, le bétail soit dressé à aimer sa servitude, a respecter et adorer ses maîtres, à ne voir que cupidité dans la liberté, qu’injustice dans l’indépendance. Il fut également dressé à réprimer ses semblables qui protesteraient, en usant de culpabilisation, mais aussi de violences justifiées à l’occasion car “défendant des mesures justes et au service des pauvres”.
Aujourd’hui, par exemple, plus de la moitié des Américains reçoivent plus qu’ils ne payent à l’État. Cette moitié n’a donc aucune raison de se révolter pour que les éleveurs lui prennent moins, car elle bénéficient en apparence du système.
En réalité, ce n’est pas vrai, car pour financer ce gigantesque État-providence, les fermiers ont dû augmenter les taxes sur le bétail productif à un point que celui-ci ne se sent plus suffisamment libre, et que sa productivité s’effondre. Tant que les éleveurs ne baisseront par leurs dépenses (austérité vraie), cette tendances s’accélèrera. Et dès lors, le bétail dépendant voit être partagées de moins en moins de richesses produites, et finalement s’appauvrit malgré toujours plus de “protection”.
Du fait du dressage dès l’enfance, beaucoup objecteront que l’État prend pourtant soin de votre santé, de votre logement, de votre éducation. Mais les éleveurs de moutons protègent leurs troupeaux, leurs fournissent un abri, un vétérinaire, de la nourriture. Ça ne fait pas moins des moutons du bétail à la merci de leur maître.
Notre époque est une époque charnière, une époque ou le bétail a fini par se croire libre mais ne l’a pas été depuis des millénaires. Une époque où une partie souhaite réellement être libre, alors que ce n’était pas dans les aspirations de la majorité de ses ancêtres, qui croyaient cela impossible.
C’est aussi une époque où il pourrait bien réussir à se libérer réellement, et réaliser qu’il n’a pas besoin de maître pour vivre. Dans La ferme aux animaux d’Orwell, l’erreur des animaux n’est pas de chasser le fermier, mais de croire que les cochons seront de meilleurs maîtres. Ils croient être libres, mais sont toujours mentalement des esclaves, et obéissent servilement à leurs nouveaux maîtres pour un résultat désastreux.
Les méthodes d’elevage les plus récentes ont prouvé qu’il n’y avait pas de différence de nature entre éleveurs et bétail, pas de sang bleu, pas de droit divin. Il est temps pour le bétail de renverser ses maîtres encore une fois. Mais cette fois, qu’il n’en choisse aucun à la place. Pour ça, il faut qu’il accepte de voir ses chaînes, même si c’est douloureux. Seulement alors, il pourra être libre…
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