D’après Valls, le Prix Nobel d’économie décerné au chercheur Français Jean Tirole serait un pied de nez au « French bashing ». « Little bashful », le Manuel, qui n’hésite pas sans fausse modestie à récupérer un succès de la recherche au long terme au profit, croit-il, d’un gouvernement en perdition et qui navigue à vue. Car le pied de nez qu’il était superflu de décocher à une locution britannique, c’est bien le gouvernement français qui en est le destinataire. Le commentaire d’une députée socialiste disant que la politique économique et sociale dépendait du dialogue entre les politiques et les partenaires sociaux et non d’un économiste, fût-il Prix Nobel, était poignant de bêtise prétentieuse. Certes, personne ne saurait contester la légitimité des élus de la République. Personne n’en dira autant des fameux « partenaires sociaux », défenseurs acharnés des blocages de la société auxquels s’accrochent la petite minorité qu’ils sont censés représenter et tous ceux qui croient en bénéficier alors qu’ils en sont les victimes. Mais lorsque l’ignorance et l’incapacité des politiciens et de leurs complices, leur enfermement idéologique ou démagogique les placent à des années-lumière des solutions que proposent des chercheurs d’une manière objective, on se dit que ce sont les élus eux-mêmes qui détruisent leur propre légitimité. Ce n’est pas là la preuve que la technocratie est meilleure que la démocratie, puisque ce phénomène est, hélas, une spécialité nationale. Non, c’est seulement la démonstration de la faiblesse particulière de notre personnel politique, de son recrutement en circuit fermé, de ses cumuls improductifs, de sa gesticulation médiatique trépidante, et donc de son manque de réflexion dans la pensée et de cohérence dans l’action. Dans de nombreux pays, du Danemark aux Etats-Unis, et en Suède, évidemment, on fait ou au moins on écoute ce que préconise Jean Tirole.
Depuis des années, on parle de flexisécurité à la scandinave, cette région du monde où même les socialistes sont intelligents, du moins sur les questions économiques, et depuis une vingtaine d’années seulement. En France, la droite en a parlé, comme d’habitude sans rien faire, et la gauche tenté récemment quelques timides avancées, en douce, et sous la censure de « frondeurs » qui vous expliquent qu’il faudrait créer encore plus de fonctionnaires dans les collectivités territoriales pour réduire le chômage. « Au fou ! » a-t-on envie de crier ! Jean Tirole n’est pourtant pas un ultra-libéral. Il souligne simplement le paradoxe qu’à force de trop protéger l’emploi avec le bunker du CDI, on augmente la précarité de ceux qui n’en bénéficient pas. L’idée d’un contrat de travail unique qui se consolide dans le temps est une synthèse de l’exigence de stabilité des employés et du besoin de souplesse en fonction du contexte des employeurs. Le mérite n’en est pas absent. Un chef d’entreprise ne se sépare pas volontiers d’un travailleur efficace, et encore moins si cela est plus difficile avec la durée. Cette conception est évidemment aux antipodes de la religion du statut, qui sous prétexte que quelqu’un a dans sa jeunesse réussit un concours, lui confère le privilège d’être un mauvais professionnel.
Ce Prix Nobel paradoxal pour un pays où il y a de bons chercheurs dans les université et les grandes écoles, mais aucun « trouveur » en politique devrait servir de révélateur. La France est coincée. La France est bloquée. Ses dirigeants actuels sont coincés entre une Europe à laquelle ils adhèrent avec enthousiasme sans vouloir en respecter les règles, et une situation intérieure qui ne leur laisse aucune marge de manoeuvre. Le matraquage fiscal insensé a rendu le contribuable hypersensible. Les lobbys vont envahir les rues au lieu de hanter les antichambres. Toute réforme sera périlleuse pour le pouvoir y compris en son sein même. Les verts, les pastèques, sont furieux du recul sur l’écotaxe. Les radicaux, les radis vont se raidir sur la réforme territoriale. Les « frondeurs », en bons commissaires politiques, vont pourchasser le moindre soupçon de prétendu libéralisme. Le débat politique est bloqué. Il est enfermé dans le microcosme des spécialistes de la politique, qui précisément ne sont spécialistes de rien. Déconnectés du monde des vraies gens, ils n’ont qu’un problème, celui de leur réélection. Alors, leur discours abandonne tout lien avec la vérité. Ils ne s’agit pas pour eux de dire ce qu’ils croient vrai ou juste, mais juste ce qu’ils croient que leurs électeurs ont envie d’entendre. Tel membre de l’UMP croyait séduire la « droite » en obligeant les chômeurs indemnisés à travailler, alors que les personnes condamnées et détenues n’y sont pas tenues. Tel socialiste, va y aller de son couplet de nounou indispensable, en dénonçant la stigmatisation du chômage, cette violence sociale, cette souffrance que notre société impose aux « sans-emplois ». Ce langage codé des politiciens est celui d’une pensée répétitive et bornée, incapable de trouver de vraies solutions aux problèmes que la France affronte, incapable de procéder aux réformes nécessaires dont elle a l’ardente obligation. Ce sont nos politiciens qui méritent la rossée, Monsieur Valls, pas la recherche française avec laquelle ils n’ont aucun rapport.
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