Pourquoi l’opinion publique était mûre pour épouser le mot d’ordre d’accueil des réfugiés.
La photo du petit Syrien force la main : du Québec à l’Australie en passant par l’Islande, les nations se sentent obligées d’annoncer un chiffre d’accueil de migrants. Seuls deux pays font de la résistance : le Danemark et la Hongrie. Cette dernière, qui est à la frontière de l’espace Schengen, se voit reprocher l’édification d’un mur pourtant moins imposant que celui de Gibraltar.
On a comparé ce cliché à celui de la fillette vietnamienne des années 70. On peut aussi le rattacher à la longue histoire des événements catalyseurs (de la ligne Maginot au Mur de Berlin) et symboles identificateurs (mots d’ordre, rumeurs, signes de ralliement). On pourrait remonter cet inventaire de la persuasion jusqu’au nez de Cléopâtre.
A ces constantes historiques s’ajoutent des singularités. D’une part, la portée universelle, ou du moins occidentale, de ce qui marque les esprits. D’autre part, l’orientation transfrontalière des allégeances. Au bouillonnement patriotique de la seconde moitié du XIXe siècle, succéda un désir de cosmopolitisme.
Cet engouement toucha d’abord les élites. En 1929, un groupe de jeunes intellectuels d’Action française expédièrent aux députés l’appel d’un Comité de défense en faveur des malheureux Poldèves, peuple imaginaire censé être opprimé, et nombre de parlementaires mordirent à l’hameçon.
Ce canular s’inspirait de celui du Dreadnought, qui montrait l’attraction de l’exotisme. En 1910, en effet, Virginia Woolf et un groupe de jeunes intellectuels se grimèrent en délégation de la famille royale d’Abyssinie et parvinrent à visiter le navire amiral de la Royal Navy avec tous les honneurs protocolaires dus à leur rang imaginaire. Ces canulars se rattachent aussi à la supercherie du faux ambassadeur du shah de Perse à la cour de Louis XIV, qui se laissa abuser par dilection pour l’exotisme et la nouveauté.
Le raz-de-marée de 2004 marque un tournant : 43 % des Français se déclarèrent prêts à donner pour les victimes du tsunami. Pour Haïti, en 2010, ils sont 49%. La thématique de l’accueil des réfugiés devient prégnante. On lit par exemple, dans la presse régionale, qu’en Bretagne, à Plougonvelin, une association « se mobilise pour une noble cause… la trentaine de demandeurs d’asile tchétchènes, kosovars, albanais ou serbes ». En 2012, un manuel d’apprentissage du français en ligne est dans l’ambiance en imaginant un « gouvernement français prêt à recevoir un certain nombre de réfugiés kosovars sur son territoire et une vague de solidarité, etc. ». Il fallut l’affaire Leonarda pour doucher une partie de l’opinion publique sur cet humanitarisme tous azimuts.
> Marc Crapez est chercheur en science politique. Sa page Facebook.
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