Lundi soir, sur BFM, le face-à-face Cayrol-Séguéla a été un grand moment de vérité. En même temps qu’ils se lâchaient et révélaient sans trop s’en rendre compte ce qu’il sont, ces deux hommes dévoilaient involontairement la réalité de notre paysage politique. Confortablement installés dans la tribune VIP à l’invitation des clients qui les font vivre, ils commentaient le match en distribuant généreusement les cartons rouges selon leurs préférences. C’est ainsi que notre sondeur a su déployer un talent qui devrait intéresser Aquilino Morelle lequel a dû se séparer un peu brutalement de son cireur officiel. Pour avoir entendu Roland Cayrol à plusieurs reprises lorsque Hervé Mariton, toujours à l’écoute des sondages, nous invitait à un petit-déjeuner avec lui, je constate chez cet homme un net tropisme gouvernemental. Comme disait Edgar Faure, c’est le vent qui change… Hier, il a pris avec véhémence la défense de Mme Taubira, justifiant son refus de chanter la Marseillaise, épousant même sa formule provocatrice de « karaoké d’estrade », fustigeant les « braillards » et les racistes qui osent s’attaquer au ministre de la Justice. On sentait chez lui ce mépris du microcosme parisien médiatico-mondain pour ces élans populaires tellement vulgaires. Pour lui, on en veut à Christiane Taubira parce qu’elle est noire. Le racisme, le racisme, vous dis-je… Le sondeur devrait pourtant savoir que les Français ont tellement peu de préjugés de ce type qu’ils n’hésitent pas à placer des personnes de couleur parmi leurs préférées. Christiane Taubira a débuté ses activités politiques en Guyane dans l’indépendantisme. Elle a provoqué à trois reprises l’hostilité d’une grande partie des Français sur le mariage unisexe, sur la politique pénale, et plus récemment en mentant devant les caméras avec un aplomb sans pareil. Or c’est là que se situe le problème, et non dans la couleur de la peau : une arrogance, une agressivité, une absence de recherche du consensus qui, chez un Ministre dont le symbole est une balance, est une faute magistrale. Christiane Taubira est suspectée d’avoir de la France et de la République des conceptions « originales », et son mot de karaoké à propos de la Marseillaise n’a fait que confirmer cette première impression qui est souvent la bonne.
“Qu’on puisse tenter de ranimer la flamme du gaullisme sous les cendres accumulées par les technocrates et les politiciens professionnels est à saluer, mais on comprend combien cela dérange le petit monde de Cayrol et Séguéla.”
Autre adepte de l’air du temps, le publicitaire à la Rolex a montré tout ce qu’il apporte à la politique de notre pays. En deux ou trois formules suivies d’une contrepèterie dont il n’était pas peu fier, Jacques Séguéla a souligné à quel point le slogan publicitaire était le degré zéro de la pensée politique, lorsque la réflexion est ramenée au réflexe ludique des sons qui remplacent le sens. » L’Europe, c’est une vision pas une division », « un coeur, pas une rancoeur » : des formules qui sonnent bien, mais ne veulent rien dire. Jacques Séguela serait bien en peine de préciser la vision. Ou plutôt, si. A la fin, il dit que la situation est dramatique, mais que ce n’est pas une raison de ne pas avoir le sourire. Effectivement, les propriétaires de Rolex regardent, de leur fenêtre, les malheurs du monde avec compassion mais avec le sourire. Celui-ci est nécessaire pour que les gogos continuent à voter pour celui qui est sur l’affiche avec un beau slogan, même s’il ne règle pas leurs problèmes, mais les aggrave. Mitterrand, qui a tant dû à Jacques Séguéla, en est le meilleur exemple.
Le sommet a été atteint lorsque ces deux commentateurs de la politique habitués du petit écran n’ont pas craint d’appeler à l’exclusion d’Henri Guaino, non seulement de son parti, mais encore des médias. Ce fut un grand moment ! Ces deux personnages, qui vivent de la politique sans se donner la peine d’être élus, et qui ne peuvent en vivre que parce que notre vie politique, malgré ses défauts est néanmoins fondée sur la compétition, le pluralisme et donc la liberté d’expression, se permettaient de censurer un élu, de vouloir « le virer des médias ». “La télé, c’est pour nous, pas pour toi », en somme. On ne pouvait mieux dire que le vrai pouvoir aujourd’hui est médiatique et non politique. On ne pouvait mieux expliquer la suprématie de la pensée unique du microcosme, ici à deux voix, sur les politiques chargés au contraire d’exprimer la diversité des opinions. Les mots étaient incroyablement méprisants à l’encontre d’Henri Guaino : « ce type », « scandaleux », indigne », « gonflé de sa propre importance », et dans le fond, « intolérable », le mot que Valls emploie pour les délinquants, et qui pour le coup est indigne en démocratie à propos d’un élu. Cet élu, au demeurant, a simplement l’honnêteté de rappeler qu’à l’origine de l’UMP, il y avait, aussi et surtout, un RPR où l’euroscepticisme était fort. Qu’on puisse tenter de ranimer la flamme du gaullisme sous les cendres accumulées par les technocrates et les politiciens professionnels est à saluer, mais on comprend combien cela dérange le petit monde de Cayrol et Séguéla.
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