La Proposition 8, amendement à la constitution californienne interdisant le mariage homosexuel votée par référendum, est sur le point d’être étudiée par la Cour Suprême. Christopher Caldwell* a décrit la situation politique autour du mariage gay dans une recension de l’ouvrage From the Closet to the Altar: Courts, Backlash, and the Struggle for Same-Sex Marriage (« Du placard à l’autel: les tribunaux, les contrecoups et la lutte pour le mariage homosexuel »), de Michael J. Klarman.
Traduit de l’Anglais par Émilien Halard et Estelle Devisme pour Le Bulletin d’Amérique avec l’aimable autorisation des éditeurs.
Par Christopher Caldwell* — Lorsque la Cour suprême accepta début décembre d’examiner deux affaires concernant le mariage gay, le New York Times salua la « prochaine décision historique sur les droits civiques » et souligna le contraste entre la rapidité de la Cour dans cette affaire et les longues années qu’elle avait mis avant de se prononcer sur le mariage interracial dans le Sud ségrégationniste. Cette comparaison était étrange. Les deux questions n’ont rien à voir l’une avec l’autre, hormis le fait qu’elles contiennent le mot « mariage » et qu’elles ont attiré l’attention de la Cour suprême. Le plus demeuré des membres du Ku Klux Klan des années 60 ne doutait pas du fait que, si ces unions étaient autorisées, les couples interraciaux rempliraient toutes les conditions caractérisant le mariage. La question de la conformité à la Constitution — une question facile, comme cela s’est avéré — était de savoir si un pays avec une tradition de liberté d’association pouvait permettre au gouvernement de se mettre en travers du chemin de ces couples interraciaux.
« [le mariage homosexuel] a remporté des victoires dans les prétoires, souvent en esquivant les arguments constitutionnels et toujours en écartant les arguments philosophiques ».
Le mariage homosexuel est quelque chose de différent. La moitié du pays ne peut même pas comprendre sa logique. Il y a environ une décennie, l’opinion publique le considérait presque unanimement comme une plaisanterie. Il a vu sa popularité s’élever au fil des sondages ces dernières années et il a gagné des victoires dans les prétoires, souvent en esquivant les arguments constitutionnels et toujours en écartant les arguments philosophiques. Evan Wolfson, militant du mariage gay, croit que le travail de la Cour sera aisé car « le gouvernement [fédéral] a presque toujours automatiquement respecté les mariages de couples légalement mariés ». Jonathan Capehart du Washington Post affirme avec confiance que la loi fédérale Defense of Marriage Act (DOMA), qui définit le mariage comme étant entre un homme et une femme, est « condamnée » parce qu’elle va à l’encontre de mariages homosexuels déjà contractés.
La question centrale — celle de savoir si, déjà, parler de mariage homosexuel est sensé — est résolue avant même d’avoir été posée.
Vous pourriez penser que, puisque le mariage n’a pas été conçu pour accueillir l’homosexualité et qu’il en a été ainsi à travers des millénaires d’Histoire occidentale, la charge de la preuve pèserait sur les innovateurs. Eh bien non. Vous pourriez penser que, puisque la principale raison d’être du mariage, au fil des siècles, a été d’accueillir des enfants, et puisque les homosexuels ne peuvent pas en concevoir, alors requalifier la demande comme relevant de l’ « égalité du mariage » sonnerait creux. Eh bien non. Le mariage homosexuel avance en se fondant sur autre chose que les arguments rationnels qu’on était en droit d’attendre.
Assurément, des raisons ont été trouvées afin de justifier après coup le mariage homosexuel. Mais on pourrait demander à ceux qui avancent ces raisons : est-ce tout ce que vous avez trouvé ? Les arguments avancés ont tendance à manquer de cohérence d’une façon ou d’une autre. Margaret Marshall, la Juge du Massachusetts qui légalisa le mariage homo dans cet Etat en 2003, justifia sa décision après coup en se référant à l’affaire Quock Walker (1783), qui abolit l’esclavage en raison du fait que la Constitution du Massachusetts déclarait « tous les hommes naissent libres et égaux » (On se demande comment ce raisonnement avait pu échapper à Oliver Wendell Holmes lorsqu’il était président de la Cour suprême du Massachussetts.). Dans son second discours inaugural, Barack Obama affirma de façon confuse que, « Si nous sommes vraiment créés égaux, alors assurément l’amour que nous éprouvons envers une autre personne doit être égal lui aussi. »
Les arguments en faveur du mariage homo sont presque toujours prononcés au nom de l’Histoire – non pas l’Histoire que nous avons vécue mais l’Histoire que nous allons vivre maintenant. Les articles sur le mariage gay citent fréquemment une déclaration que Martin Luther King fit dans un discours de 1985 et que le Président Obama a souvent utilisée depuis : « L’arc de l’univers moral est long, mais il tend vers la justice ». Un écrivain du journal Sacramento Bee prévient les opposants du mariage homosexuel que « l’Histoire est en général sans pitié envers les extrémistes et les oppresseurs ». Ceci est un argument théologique, similaire à ceux faits par le Coran, Calvin ou par le communisme. Il est toujours étrange que des gens qui croient que les noms des vainqueurs et des vaincus à venir sont déjà inscrits dans le livre de l’éternité prennent la peine de se battre et de faire du prosélytisme. Mais c’est pourtant ce qu’ils font.
Comme l’a écrit Leszek Kolakowski [philosophe polonais, critique du communisme, NdT], ce genre de théologies est une « source de belligérance et de confiance en soi. «
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Du placard à l’autel, le livre de Michael Klarman, accepte cette histoire de prédestination. Klarman, professeur de Droit à Harvard, a écrit plusieurs livres sur la façon dont les tribunaux, les mouvements sociaux et les électeurs ont agi ensemble pendant le mouvement pour les droits civiques des Noirs, et il croit qu’un processus similaire est en cours avec les droits des homosexuels. Il affirme que la demande faite par un leader chrétien de l’Iowa que l’exécutif oppose un veto au mariage homo est « une réminiscence des efforts du gouverneur ségrégationniste d’Arkansas Orval Faubus. » Ce livre ne porte pas sur la jurisprudence mais sur la politique. Klarman ne rend jamais explicite la base philosophique à partir de laquelle il compare les luttes des homosexuels à celles des Noirs. Il ne lui vient pas à l’esprit non plus que le mariage homosexuel, en tant que cause politique, est moins proche de la lutte pour les droits civiques que, disons, du prohibitionnisme du 20e siècle ou de l’amendement pour l’égalité des droits (entre les hommes et les femmes) des années 70 — une lubie idéologique à même de s’éteindre toute seule.
Pour Klarman, les mouvements sociaux insurgés suivent un script, que ces mouvements soient en faveur de l’égalité raciale, de l’avortement ou du mariage homo. Ce script prévoit un rôle de premier plan pour les Juges et les avocats. « Une décision de la Cour suprême en faveur du mariage homo en 2012 ou 2013 diviserait complètement le pays », écrit-il, « Pourtant, étant donné la vitesse à laquelle l’opinion publique évolue en faveur du mariage homo, une telle décision deviendrait probablement une icône dans une décennie ou deux. » Pour jouer ce rôle, un Juge doit se comporter avec suffisamment de circonspection et éviter de provoquer des « contrecoups », terme que Klarman, sans même sembler s’en rendre compte, utilise dans son livre comme synonyme du mot « démocratie ».
Cet ouvrage est davantage un dossier qu’un livre. Si nous devons croire les aveux de Klarman, il a été compilé plus qu’écrit, ses recherches ayant été confiées à un nombre incroyablement élevé d’assistants. De nombreux paragraphes sont de simples listes de lois, des énumérations de sondages, ou des chronologies de procès. Et pour cette raison, il offre une chronologie claire qui a une certaine valeur. Il montre à quel point l’enthousiasme pour le mariage homosexuel est récent.
L’ American Civil Liberties Union (équivalent américain de la Ligue des droits de l’homme, NdT) n’était pas du tout intéressée par la défense des droits des homosexuels en 1957, lorsqu’elle disait que les homosexuels étaient « socialement hérétiques ou déviants ». Sa position a changé en 1973, même si le comité des droits homosexuels de la section de Californie du Sud fit cette année-là une liste de 6 priorités sur le long terme sans intégrer le mariage dans cette liste. En 1983, les leaders homosexuels eurent l’occasion de questionner les candidats à la primaire démocrate Walter Mondale et John Glenn sur les sujets qui leur tenaient à cœur. Ils ne mentionnèrent même pas le mariage. Même en 1991, lorsque le groupe de travail national gay et lesbien demanda à ses membres de classer les questions de droits civiques par ordre d’importance, le mariage ne fut pas évoqué dans ce classement.
« Lorsque les homosexuels commencèrent à agir en justice, ils découvrirent que les juges étaient beaucoup plus réceptifs à leurs demandes que ne l’était l’opinion publique »
Cependant, un nombre croissant d’homosexuels en couple stable s’irritaient des problèmes pratiques qu’ils rencontraient. Certains refusaient de payer des droits de succession que des couples mariés n’auraient pas à payer (Cette difficulté est au cœur de U.S. v. Windsor, une des affaires qui sera examinée par la Cour suprême au printemps). Les homosexuels étaient aussi confrontés à de la paperasserie administrative pour obtenir des droits de visite à l’hôpital. Ces deux problèmes devinrent encore plus énervants et encore plus poignants avec le drame du SIDA à la fin des années 80 et au début des années 90.
Lorsque les homosexuels commencèrent à agir en justice, ils découvrirent que les juges étaient beaucoup plus réceptifs à leurs demandes que ne l’était l’opinion publique. Cela changea tout. En 1993, un tribunal de Hawaï considéra que limiter le mariage aux hommes et aux femmes était un préjugé, et la Cour suprême de Hawaï confirma cette décision en 1996. A partir de ce moment-là, les lobbies pour les droits des homosexuels commencèrent à recruter des couples pour porter leur cause devant les tribunaux. En 1999, la Cour suprême du Vermont ordonna au législateur de proposer un projet donnant aux homosexuels les droits liés au mariage. D’où le premier projet de loi d’ « union civile » en 2000. Et il y eut un autre facteur qui encouragea ces actions en justice sur le mariage : d’audacieux curateurs commencèrent à attribuer des enfants adoptifs à des couples homosexuels. Il survint ainsi des affaires dans lesquelles la question que la Cour devait trancher consistait à savoir s’il était préférable qu’un couple homo élevant un enfant soit marié ou ne le soit pas.
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Le “contrecoup” du sous-titre de Klarman vise à décrire le processus par lequel presque tous les droits gagnés par les homosexuels dans les prétoires risquaient d’être remis en cause par les urnes. Cela a été le cas avec les droits homosexuels depuis au moins un quart de siècle, en commençant par le mouvement de la chanteuse Anita Bryant en 1997 visant à abroger un décret de Dade County en Floride, qui interdisait les discriminations anti-homosexuelles.
Le Vermont et Hawaii sont peut-être les deux Etats les plus progressistes du pays, mais dans ces deux lieux l’opinion restait hostile au mariage homo par une majorité d’environ 2 à 1. Après avoir signé la loi sur l’union civile, le gouverneur du Vermont, Howard Dean, commença à porter un gilet pare-balles. Le contrecoup vint en partie de ce que Klarman appela une révulsion viscérale à l’encontre de l’homosexualité. Les « focus groups » (NdT : groupes de personnes sur lesquels des hommes politiques testent une idée afin de voir comment le public réagit) étaient très mal à l’aise en regardant les publicités pro-mariage homo affichant des homosexuels s’embrassant. La simple mention de ce que les enfants apprendraient à l’école envoyait en masse les électeurs dans le camp anti-mariage homo. Mais il y eut plein de raisons, autres qu’une prétendue homophobie, pour des contrecoups, même si les gens s’élevant le long de l’ « arc de l’univers moral » sont trop hauts pour les voir. Le contrecoup signifie le recours au pan démocratique de la Constitution par méfiance envers les décisions de la branche judiciaire. Un refrain répété encore et encore dans le livre de Klarman est celui d’un responsable de la convention des baptistes du Sud : « Je n’ai jamais vu quoi que ce soit qui regonfle et motive notre base comme cette question, pas même Roe V.Wade ». [La décision en faveur de l’avortement de la Cour Suprême, NdT]
« Selon un membre de l’American Foundation for Equal Right, « les droits fondamentaux constitutionnels comme le mariage ne devraient jamais faire l’objet d’un vote du peuple »… »
Après les affaires de Hawaï, les opposants au mariage homo réussirent à définir le mariage comme une institution hétérosexuelle dans une douzaine d’Etats, pendant que les partisans du mariage homo cherchèrent à faire déclarer ces mesures inconstitutionnelles par les Juges, ou à bloquer ces mesures par des chicaneries procédurales. Le président du Sénat du Massachussetts, Tom Birmingham, qui a contrecarré tout seul toute tentative de ses collègues démocrates de légiférer contre le mariage homosexuel, est un cas particulièrement frappant de ces chicaneries procédurales. Mais aux yeux des militants, s’opposer aux décisions résultant d’un vote n’était pas une cause de honte. Selon un membre du conseil d’administration de l’American Foundation for Equal Rights, le groupe sponsorisant Hollingsworth v. Perry — le recours contre la Proposition 8 de la Californie que la Cour suprême va examiner au printemps — « les droits fondamentaux constitutionnels comme le mariage ne devraient jamais faire l’objet d’un vote du peuple ». Un déluge d’activisme judiciaire sur une question donnée peut amollir la résistance des électeurs sur d’autres sujets, note Klarman. Les unions civiles étaient une mesure « radicale » lorsque Howard Dean les a proposées en 2000. En 2004, après 4 ans d’agitation médiatique, George W. Bush pût aisément les soutenir comme une option “modérée” ou “de compromis”. Pourtant, le mariage reste une question épineuse. C’est l’aspect du « programme politique gay » auquel les Américains moyens s’opposent le plus fortement.
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Klarman s’inquiète de ce que les militants gays auraient agi avec précipitation. En abordant la question du mariage avant que la question ne soit mûre, ils ont retardé la promulgation de lois sur les discriminations sur les lieux de travail. La focalisation sur la question du mariage homo en 2004 aida les campagnes des hommes politiques hostiles aux “droits homosexuels”, y compris celle de Bush, et contribua à la défaite de partisans du mariage gay, tels que le leader de la majorité (démocrate) au Sénat Tom Daschle. Ce scénario suit un modèle que Klarman a remarqué dans d’anciens mouvements sociaux. Bien que Klarman soit aujourd’hui ravi des principes posés dans l’historique affaire Brown v. Board of Education (1954), il croit que la décision de la Cour radicalisa les débats sur les droits civiques pendant une décennie. Roe v. Wade (1973) créa encore plus de dégâts. En accordant un droit inconditionnel à l’avortement à une époque où seulement quatre Etats l’avaient fait, cet arrêt gela une situation qui aurait pu se diriger d’elle même vers une solution et politisa — c’est-à-dire corrompit — la Cour pendant au moins deux générations.
« Jamais il n’y avait eu, depuis l’avènement de l’ère progressiste, de mouvement social aussi élitiste que celui en faveur du mariage gay. »
Il s’avère que Klarman s’est trompé, et que c’est le plus audacieux et le plus excessif des militants homosexuels qui avait raison : la contestation en justice du mariage a été une aubaine. Les décisions judiciaires ont entouré le mariage homo d’un halo de normalité qui n’existait pas auparavant. Si ce livre avait été publié après les victoires du mariage gay aux référendums de novembre dans le Maine, le Maryland, et l’Etat de Washington, victoires qui brisèrent une série de trois douzaines de défaites, il est possible que Klarman ait alors défendu une opinion différente. Peut-être l’erreur de Klarman vient-elle de son incapacité à voir à quel point le mouvement pro-mariage gay est différent des autres mouvements sociaux. Ce n’est pas un mouvement en faveur des droits civiques, même si ses leaders le présentent comme tel. Les mouvements en faveur des droits civiques portaient sur une libération. Les vieilles campagnes pour l’abrogation des lois sur la sodomie, correspondaient à cette description du mouvement pour les droits civiques, alors même qu’elles eurent du mal à rallier la majorité de la population. Elles étaient au moins compréhensibles par les Américains moyens qui voyaient l’Histoire de leur pays comme un progrès régulier vers la liberté. Le mouvement pro-mariage homo marche dans une direction opposée. Le mariage est une régulation. Il reconnaît qu’un aspect de la vie sexuelle des gens est si important qu’il est nécessaire que les autorités le contrôlent. Cet aspect est le fait de donner naissance à la génération suivante, une tâche totalement étrangère aux relations homosexuelles.
Le mariage a de nombreuses dimensions mystiques, collectives et spirituelles. Il peut aussi être un moyen d’offrir aux homosexuels une reconnaissance ou une validation de la société dans son ensemble. Mais pas une libération.
Les mouvements de défense des droits civils naissent pour défendre les opprimés. Mais jamais il n’y avait eu, depuis l’avènement de l’ère progressiste, de mouvement social aussi élitiste que celui en faveur du mariage gay. Aucune question ne divise plus radicalement le pays en classes sociales. Les opposants à la Proposition 8 en Californie comptent désormais la quasi-totalité d’Hollywood, Apple, Google, Amazon, et de la Maison Blanche. Le gouverneur de Californie a refusé de prendre la défense des lois de son Etat (et des amendements constitutionnels) interdisant le mariage homosexuel, tout comme la Maison Blanche a refusé de défendre la loi fédérale DOMA (Defense of Marriage Acts). Les tentatives des groupes pro-marriage gay d’utiliser Lloyd Blankfein, le PDG de Goldman Sachs, comme porte-parole — comme s’il y avait quelque chose de «conservateur» dans les innovations financières qui font la réputation de Goldman, et comme si Blankfein était par conséquent la dernière personne que l’on imaginerait favoriser une telle innovation — sont particulièrement étranges. (Si vous aviez une compréhension biblique de la haute finance et de l’homosexualité, vous pourriez effectivement vous attendre à ce qu’il soit le premier.)
« Le président Obama a longtemps tenu la position la plus absurde de toutes »
Jusqu’à une période très récente, les partisans du mariage gay n’ont presque jamais défendu le mariage homosexuel en lui-même. Ils ont affirmé croire que le mariage était entre un homme et une femme, puis ont lutté contre la loi DOMA, au motif qu’elle «encombrait la Constitution», ou une justification de ce genre. Le président Obama a longtemps tenu la position la plus absurde de toutes, prétendant s’opposer au mariage homosexuel tout en affectant au Département de la Justice des avocats qui en font leur croisade. Soit le président était moins franc que les politiciens habituels, soit il était le manager le plus incompétent de l’histoire de la bureaucratie occidentale.
« l’invocation en audience de la tradition ou de la moralité est considérée comme le produit d’une haine contre un groupe particulier, et est ainsi délégitimée »
La décision du président Obama de déclarer son soutien au mariage gay au printemps dernier fut l’aboutissement d’un bouleversement complet dans l’attitude des élites. Le rôle directeur de David Boies et Ted Olson, qui s’étaient opposés dans l’affaire Bush v. Gore en 2000, dans le rejet de la Proposition 8, représente probablement le mieux la domination de la position pro-mariage gay parmi toutes les sensibilités de la crème de la crème (NdT : en français dans le texte). Klarman a une idée claire de la façon dont les intérêts de classe et la déformation professionnelle (NdT : en français dans le texte) interagissent pour donner aux partisans du mariage gay un avantage «à domicile» dans toute salle d’audience. «Les juges font partie», écrit-il, «non seulement de l’élite culturelle, mais également d’une sous-culture distinctive — l’élite juridique — qui a tendance à être encore plus libérale que le grand public sur des questions telles que l’égalité des sexes et des homosexuels. »
Cet avantage est aggravé par des idées de la profession juridique sur la «haine». De plus en plus, l’invocation en audience de la tradition ou de la moralité est considérée comme le produit d’une haine contre un groupe particulier, et est ainsi délégitimée. En conséquence, écrit Klarman, les avocats plaidant l’interdiction du mariage homosexuel devant un tribunal ont été contraints d’invoquer d’autres intérêts publics, qui seraient prétendument servis par l’exclusion des couples homosexuels de l’institution du mariage. Cependant, parce que ces justifications ne sont généralement pas les véritables raisons de l’interdiction du mariage gay, elles apparaissent généralement peu convaincantes, voire malhonnêtes.
Les détracteurs du mariage gay sont invités à prédire l’avenir, et rejetés tels Elmer Gantrys et les charlatans vendeurs d’huile de serpent lorsqu’ils échouent. Klarman décrit et défend la façon dont ce concept de haine oriente le terrain de jeu judiciaire. Il pense que «la principale (bien que souvent implicite) raison d’exclure les couples de même sexe du mariage était la perception que c’était un commandement de la Bible. » C’est faux. Le mariage gay est inconcevable dans des pays où la Bible n’a aucune importance. Ce n’est que dans les pays d’héritage judéo-chrétien que tous les arguments sont prononcés pour le mariage gay. En réalité, les défenseurs du mariage homosexuel s’appuient souvent sur l’absence de châtiment divin. Klarman écrit du Massachusetts en Septembre 2004, quatre mois après la légalisation du mariage homosexuel, que «des milliers de couples homosexuels se sont mariés depuis mai sans provoquer aucune perturbation majeure. » À quoi s’attendait-il ? Au déchaînement de la foudre ?
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Quand les élites se rallient unanimement à une cause, celle-ci peut devenir opinion commune. Le public influençable des démocraties en vient à imiter ses «supérieurs». Ceux-ci apaisent ses craintes naturelles. Ceux qui n’apaisent pas leurs craintes, par conséquent, passent pour des ratés. Ce bouleversement est notamment dû à une appréhension du type «Lorsqu’ils sont venus chercher les communistes [1] » — beaucoup de gens inquiets à l’idée de dire quelque chose de politiquement incorrect, supposent qu’il y aura toujours quelqu’un de plus conservateur, plus insouciant de sa position sociale qu’eux, prêt à affronter l’opinion publique. Mais Rush Limbaugh se prononce désormais en faveur des unions civiles et Glenn Beck fait remarquer que le mariage homosexuel « ne fait de mal à personne. »
« La pression pour le mariage gay aux Etats-Unis ressemble aux tentatives de l’Union Européenne d’étendre son influence par le biais de référendums. Par «Oui» et «Non», on entend «Oui, définitivement » et « Non, pour l’instant »… »
La vision de l’élite devient ainsi une prophétie auto-réalisatrice. Les victoires remportées par référendum par le mariage homosexuel dans le Maine, le Maryland et l’État de Washington en Novembre sont seulement ses trois premières victoires, mais elles semblent compter davantage que ses trois douzaines de défaites. La pression pour le mariage gay aux Etats-Unis ressemble aux tentatives de l’Union Européenne d’étendre son influence par le biais de référendums. Par «Oui» et «Non», on entend «Oui, définitivement » et « Non, pour l’instant. » Le débat est étouffé par les tabous dès que le moindre assentiment formel est donné. En réalité, l’endurance héroïque d’une opposition démocratique ne dure pas longtemps. Lorsqu’ils découvrent que leurs votes s’avèrent inutiles, les gens perdent tout intérêt à voter. Parfois, ils se retournent contre la démocratie. Plus souvent, ils décrochent complètement du système politique.
« Lorsqu’ils découvrent que leurs votes s’avèrent inutiles, les gens perdent tout intérêt à voter. Parfois, ils se retournent contre la démocratie. Plus souvent, ils décrochent complètement du système politique. »
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Là où le point de vue de l’élite sur le mariage gay n’est pas adopté spontanément, il peut être imposé. L’État de Californie interdit maintenant les thérapies qui visent à réorienter les homosexuels vers l’hétérosexualité, au motif que cela leur est psychologiquement préjudiciable. Le fait que ces thérapies remettent en cause la conception qu’il n’y a que deux orientations sexuelles, «homosexuel» et «hétérosexuel», d’une constance inébranlable, est une objection plus probable. Cette conception est fausse. En fait, le mouvement des droits des homosexuels a lui-même utilisé la polymorphie de la sexualité humaine, au temps où le mouvement était davantage axé sur la libération. Mais le mouvement a désormais des besoins rhétoriques différents, notamment celui de convaincre les parents que les enfants n’ont pas de danger de subir un prosélytisme à l’école.
L’aspect le plus troublant du mouvement pour le mariage gay est que, plus que tout autre mouvement social, plus que le féminisme à son apogée lors du «bra-burning» dans les années 1970, il n’aspire pas à encourager un débat animé mais à l’éteindre. La grossièreté est devenue une norme. En avril 2009, Carrie Prejean, Miss Californie, a déclaré à un juge de Miss America qu’elle pensait que le mariage devrait être conclu entre un homme et une femme et s’est fait traiter de « dumb bitch » sur le site internet de ce juge. S’il est maintenant plus facile de traiter les gens de «dumb bitches», alors cela n’a aucun de sens de vanter le mouvement pour le mariage gay comme un progrès moral.
Le débat peut être plus efficacement étouffé maintenant qu’Internet a résolu les problèmes d’organisation des groupes. Toute personne qui exprime le moindre doute sur le mariage homosexuel peut faire l’objet de boycotts, listes noires, et tentatives de licenciement. La chaîne de restaurants Chick Fil-A a été boycottée lorsque son chef des opérations a spéculé que le mariage homosexuel pourrait attirer «la colère de Dieu». Un directeur de théâtre à Sacramento a démissionné de son poste après qu’il a été révélé qu’il avait été donateur pour instaurerla Proposition 8. Le cabinet d’avocats King & Spalding a refusé à Paul Clement la permission de défendre la loi DOMA au nom de la Chambre des représentants. Défendre O.J. Simpson ne vous fera pas renvoyer de votre entreprise, mais la défense d’une loi fédérale le pourra. La plupart des entreprises sont probablement assez courageuses pour défendre la liberté d’opinion de leurs employés, mais la lâcheté montrée par King & Spalding devient la norme.
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Ce goût de l’intimidation reflète-t-il simplement un excès de zèle parmi les quelques vrais convaincus, étourdis par leur succès ? Ou constitue-t-il un pan crucial de l’idéologie pro-mariage gay, sans lequel elle serait inefficace et s’essoufflerait ? Un épisode révélateur concerne le Rhode Island, le plus catholique des États américains, dans lequel les législateurs ont inclus certaines exemptions religieuses dans un projet de loi de 2011 sur les unions civiles. Le gouverneur de l’État, Lincoln Chafee, s’est plaint de ces exemptions lors de sa signature. Elles pourraient être menacées par une contestation judiciaire. Klarman demande, comme si cela était une véritable question : « Un photographe de mariage ou un fleuriste opposé au mariage gay pour des motifs religieux devrait-il être exempté de la loi de l’État interdisant la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle dans les lieux publics ? » On ne peut que s’extasier devant ce qui semble être une invasion pure et simple du droit des gens à agir comme ils l’entendent. Un groupe de catholiques dévôts non-affiliés à une église a-t-il le droit d’exclure une famille gay de sa garderie ? Peut-être pas. Que diriez-vous pour un groupe d’athées moralistes? Très certainement non. Un journal serait-il passible de poursuites pour discours de haine s’il évoquait le mariage homosexuel comme le «mariage» homosexuel ?
En une dizaine d’années, le mariage gay est passé de la plaisanterie au dogme. Il est certainement intéressant de se demander pourquoi, s’il s’agit d’un mouvement de libération, il se manifeste aujourd’hui, à une époque qui n’acquiert pas la réputation d’être une apogée de la liberté. Depuis 2009, si les estimations de Klarman sont correctes, le soutien pour le mariage gay a augmenté de 4 points par an. L’opinion publique ne change pas si rapidement dans les sociétés libres. Soit l’opinion ne change pas aussi vite qu’elle semble le faire, soit la société n’est pas si libre que cela.
1. Poème (1942) du pasteur allemand Martin Niemöller, opposant à Hitler.
*Christopher Caldwell est un journaliste américain, éditorialiste aux Financial Times, au Weekly Standard et auNew York Times. Il a publié en Français Une révolution sous nos yeux, aux éditions Toucan (2012).
Cet article est publié en partenariat avec Le Bulletin d’Amérique.
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