Tribune libre de Philippe Simonnot* pour Nouvelles de France
Naïf confiant dans le bon sens de mes compatriotes, je ne pensais pas devoir revivre le cauchemar de 1981.
Cauchemar, il n’y a pas d’autre mot pour qualifier l’imposture triomphant grâce à une haine fascisante de l’ennemi politique.
L’antisarkozysme a gagné la même intensité hystérique que l’antigiscardisme des années 1980, repris et amplifié aujourd’hui comme il y a 31 ans par une meute médiatique lâche et sotte. Et l’on vient nous vendre maintenant un « hollandisme » aussi creux et frelaté que l’était le « mitterrandisme ». Rien n’a manqué à la répétition du scénario gagnant, pas même la trahison de Chirac en dernière minute. Buren lui aussi, au Grand Palais cette fois, est de retour, avec dans ce cas cinq ans d’avance sur le calendrier qui lui a permis d’abîmer pour toujours la cour du Palais-Royal. Le « président élu » s’est précipité bien sûr pour saluer l’un de ses doubles artistes dans la tartufferie.
Le bégaiement de l’histoire est hallucinant. Les gestes du vainqueur, le ton de sa voix éreintée par des meetings à répétition, jusqu’au parcours géographique de sa campagne électorale, d’une ville l’autre, d’une harangue l’autre et même d’un mot l’autre, ont montré une perfection étonnante dans le mimétisme – le sourire en plus, un sourire d’ange que n’osait tout de même pas le candidat ricanant du « programme commun de la gauche ». Le nouvel homme providentiel que « personne ne voyait venir », comme on dit maintenant, n’était hier qu’un politicien au rancart, méritant la qualification de Mitterrand par De Gaulle en 1968. Et sa parole est aussi trompeuse que la couleur trafiquée de sa chevelure – une nouveauté tout de même, cette dernière. L’autre, il est vrai, avait limé ses canines. Dieu est dans les détails.
Autre nouveauté, plus notable : Hollande, ivre de sa victoire annoncée, est allé à la Bastille saluer le « peuple de gauche ». Mitterrand s’était bien gardé de le faire. Il n’en avait pas besoin.
La mauvaise foi est moins évidente dans ce programme d’attrape-gogos qu’elle ne l’était dans l’absurde programme socialo-communiste, mais d’autant plus pernicieuse. Le nouveau président vient de nous en administrer la preuve à peine élu. Comme on lui demande ce qu’il pense des chiffres que vient de révéler Bruxelles sur l’aggravation de la situation de l’économie française et si par conséquent il ne devrait pas revoir ses plans, « je l’avais anticipé » répond-il avec l’aplomb du joueur de poker qui n’a que de mauvaises cartes en main. Evidemment, si M. Hollande connaissait vraiment ces nouvelles données calamiteuses, il s’en serait servi pour accabler un peu plus son rival. Combien de temps ce bluff durera-t-il ?
Le plus déprimant, c’est le nombrilisme persistant de la gauche française. L’Europe nous regarde, quand ce n’est pas le monde entier. La victoire de M. Hollande va bouleverser la politique de Bruxelles. Angela Merkel n’aura plus qu’à s’incliner. Dans les derniers jours de la campagne, on a osé nous dire que la seule perspective de la victoire socialiste en France faisait déjà « bouger les lignes » dans l’Union européenne, et qu’on allait parler davantage de « croissance » et moins d’« austérité ». Ces braves gens – je parle des militants de base – se croient encore en 1789 quand la « grande nation », comme disent les Allemands pour se moquer de la France, croyait pouvoir dicter sa loi au monde entier. Il y a longtemps que notre malheureux pays ne pèse plus très lourd parmi les puissances de ce monde. A entretenir l’illusion gallo-centriste, on se prépare des lendemains cruels. Même de Gaulle avait une vision plus juste des rapports de forces planétaires. En réalité, les nouveaux princes qui nous gouvernent ne croient pas un mot de ce qu’ils disent.
Mitterrand a dû rapidement capituler devant les « forces de l’argent » : au cours des deux premières années de sa présidence, le franc a été dévalué trois fois – selon à peu près le même timing qu’aux temps du Front Populaire. Cette fois, la gauche, prisonnière de l’euro avec sa complicité, ne pourra changer de parité monétaire. Voici donc la perspective qui s’ouvre devant nous : une aggravation d’une situation déjà sinistrée.
Giscard avait quitté son trône avec un chômage un peu supérieur à 6%. Le sous-emploi avait quasiment doublé sous son règne à cause de chocs pétroliers très violents, et mal gérés (on avait voulu « protéger » les Français au détriment des entreprises). Cette montée brutale du chômage avait été la cause principale de la chute sans gloire de l’« Homme du Passif ». De même Sarkozy, nous l’avions dit dans ces colonnes, ne pouvait pas gagner avec un chômage croissant. Mais voici qui est terrifiant : le niveau politiquement calamiteux du chômage, qui a chassé Giscard, n’a jamais été retrouvé depuis. A partir de 1981, en effet, la France a commencé à décrocher de l’économie mondiale et à descendre dans les enfers du chômage de masse, de la stagnation et de l’endettement. La fameuse « Génération Mitterrand », inventée par Séguéla, ce génie de la propagande, a été une génération sacrifiée. Pour une idéologie dépassée et pour le profit d’une mafia étatique et financière sans scrupule.
Pire encore : Aujourd’hui, le niveau de chômage qu’a laissé Giscard est inaccessible même dans les projets les plus audacieux du « hollandisme ». On peut craindre que le niveau maintenant atteint soit un nouveau palier au-dessous duquel on ne pourra redescendre.
Seul motif d’espoir : avec Hollande, l’agonie de l’euro sera plus courte et peut-être moins coûteuse… Et toute une génération politique de droite comme de gauche sera pour de bon en faillite.
*Philippe Simonnot publie le 31 mai prochain, chez Perrin, en collaboration avec Charles Le Lien, La monnaie, Histoire d’une imposture.
Crédit photo : Rap tout, par Les Inconnus.
1 Comment
Comments are closed.