Après une longue attente, le programme Macron vient à peine d’être publié qu’il pose déjà de graves questions à une catégorie électorale qui réunit pas moins de 17 millions d’électeurs : les retraités. En effet à la lecture attentive du document, ceux-ci peuvent dés à présent légitimement nourrir plusieurs sujets d’inquiétudes quant au maintien de leur pouvoir d’achat.
1 – Le premier a trait à l’augmentation générale de 1,70 point du taux de la CSG. On sait que, comme tous les autres revenus de remplacement, les retraites bénéficient d’un taux spécifique à 6,60%. Certes le candidat précise qu’échapperont à l’augmentation les retraités bénéficiant de taux réduits, mais sans précisément indiquer lesquels, si bien qu’on ne sait pas si le taux spécifique de 6, 60% inférieur au taux de droit commun de 7, 50% fait ou non partie desdits taux réduits. Pire encore, rien n’indique dans le programme si c’est ce taux qui sera augmenté de 1,70% auquel cas la CSG retraite passerait à 8,30% (soit une augmentation quand même de plus de 25%) ou si tout simplement les retraités rejoindront d’abord le taux général de 7,50 % avant l’application de la majoration de 1,70 point, soit alors un prélèvement total de 9,20% auquel cas l’augmentation de 2,60 points passerait à près de 40% ! Or on sait que dans un programme, l’ambiguïté profite toujours au candidat, jamais à ses électeurs !
2 – Même incertitude, même ambiguïté, à propos du sort des deux cotisations maladie (1,00%) et dépendance (0,30%) qui pèsent sur les retraites. Si on sait bien que les cotisations maladies et chômage disparaitront des retenues salariales en procurant donc aux salariés une économie de 3,10% sur leur salaire, rien de semblable n’est annoncé quant à l’éventuelle suppression de la cotisation maladie des retraités, ni de celle de leur contribution dépendance.
3 – Si donc pour les salariés le calcul de l’incidence nette de la réforme est simple et aboutit à une économie de 3,10 – 1,70 = 1,40% (par souci de simplification, tous nos calculs négligeront la réduction de base de 1,75%) de leur salaire augmentant conséquemment leur pouvoir d’achat, il en va tout autrement pour les retraités laissés piteusement dans l’incertitude. En effet, sauf -hypothèse peu probable- à ce que le taux de 6,60% soit considéré comme un taux effectivement réduit, ils peuvent espérer au mieux que leur pouvoir d’achat ne sera amputé que de 1,70 – 1,30 = 0,40%, si la déduction des cotisations maladie et dépendance est admise, alors que dans le cas contraire, il pourra l’être au pire de 2,60% (= 9,20 – 6,60). De toute manière face à l’impôt, il est clair que le plan Macron opère une discrimination au détriment des retraités, puisque ces derniers seraient pour l’instant les seuls à laisser des plumes dans la réforme, qui profite au contraire à l’ensemble des salariés et plus largement encore aux autres actifs. L’écart est significatif puisqu’en période de quasi-blocage des pensions, les actifs gagneraient :
– 1,40% là où les retraités perdraient au moins 0,40% (écart résultant avec les salariés = 1,80%, soit 1,40 + 0,40),
– plus probablement 1,70% pour une CSG à 8,30% (écart comparatif résultant porté alors à 3,10%, soit 1,40 +1,70)
– et peut-être même 2,60% pour une CSG à 9,20% (écart comparatif résultant = 4,00%, soit 1,40 + 2,60).
Il s’agit de toute manière d’un sérieux coup de canif à l’équilibre entre les générations, comme si, avec ce déclassement des retraités, s’enclenchait sournoisement cette euthanasie financière qu’appellent de leurs vœux plusieurs économistes. Ces derniers visent en effet à réduire drastiquement le poids des retraites au profit d’autres acteurs, mais en oubliant tout simplement qu’avant de percevoir leurs pensions, la plupart des retraités ont acquitté durant quatre décennies au moins de lourdes cotisations qui devraient leur avoir acquis quelques droits. Quoi qu’il en soit, cet arbitrage entre actifs et retraités, ouvertement défavorable aux derniers, qui plus est, réduits au pain sec ces dernières années, mérite au moins quelques sérieuses explications. Or pour l’instant, on est obligé de constater qu’elles font cruellement défaut et que le candidat est particulièrement discret sur ce point important de son programme.
4 – Par ailleurs, le candidat veut s’en prendre à l’emploi des provisions des régimes de retraites qu’il souhaite rediriger à hauteur de quelque 15 à 20 milliards d’euros en direction de l’investissement en entreprise, via notamment des fonds de pension. Sans nécessairement critiquer cette orientation destinée à redynamiser notre économie, on ne peut reprocher aux retraités de nourrir quelque appréhension vis-à-vis d’une réforme qui n’est pas exempte de risques, si on ne l’assortit pas de sérieux garde-fous. Or on peut douter sérieusement de la compétence et de la pertinence des autorités publiques pour définir ces garde-fous, alors que malgré leurs innombrables corps de contrôle et d’inspection, tous plus prestigieux les uns que les autres, elles n’ont pas su éviter toute une série des désastres financiers comme la faillite du Crédit Lyonnais, la recapitalisation forcée d’Air France, la descente aux enfers d’Aréva, le lent dévissage d’EDF ou la claudication persistante de la SNCF, tout le monde s’accordant en sus pour dénoncer la piètre qualité d’actionnaire de l’État. Bien entendu de ces garanties, de ces précautions indispensables pour que les fonds de pension à la française soient rigoureusement sélectionnés, prudemment gérés et sérieusement contrôlés par des autorités de préférence privées et strictement indépendantes, pas un mot comme si le plus important était que le monde financier puisse fondre sur une nouvelle épargne dont il s’empresserait d’extraire d’intéressantes commissions, sans avoir à garantir raisonnablement la sécurité, ni la pérennité de ses choix.
5 – Toujours à propos d’épargne, on sait qu’en moyenne chaque Français épargne environ 16% de ses revenus annuels. Or compte tenu des incertitudes et des réformes incessantes qui affectent leurs retraites, nombre de Français ont pris la précaution de se constituer une assurance-vie pour leurs vieux jours. Jusqu’alors, celle-ci – dés que souscrite au moins depuis 8 ans – n’acquittait en cas de retrait que des prélèvements sociaux de 15,50% sur les revenus capitalisés dans la limite d’un plafond annuel de € 4 600 pour un contribuable isolé, € 9 200 pour un couple. L’imposition à l’impôt sur le revenu au taux réduit de 7,50% ne commence en effet qu’au-delà de ces plafonds. Manifestement tel qu’en l’état, le plan Macron n’a cure de ces subtilités et porte immédiatement à 30% le prélèvement sur les produits de l’assurance-vie, soit une augmentation d’impôt de 94% (30,00/15,50) sur la partie sous plafond et d’un peu plus de 30% au delà (soit 30,00/23,00) lorsque les retraits intègrent un revenu excédant les plafonds précités ! Certes, devant la levée de boucliers de tous les professionnels de l’assurance-vie, le candidat a concédé ne plus vouloir appliquer sa réforme qu’aux nouveaux versements, ce qui compliquera un peu plus une fiscalité où les assureurs ne font rien pour faciliter le suivi dans le temps des revenus acquis. Belle augmentation quand même pour quelqu’un qui prétend sans rire vouloir restituer du pouvoir d’achat aux Français, promouvoir la capitalisation et réduire la dépense publique.
6 – En outre, le candidat s’est fait fort d’exonérer de cet impôt 80% des redevables actuels de la taxe d’habitation, l’État venant se substituer à ces “affranchis” pour régler l’impôt communal. On glissera sur l’évident racolage électoral qui met en péril l’autonomie des collectivités territoriales, comme sur la croix qui est ainsi faite sur une véritable révision de valeurs cadastrales devenues folles. Mais le vrai problème, c’est que de mémoire de fiscaliste, de publiciste ou de contribuable, on n’a jamais vu l’Etat tenir ni complétement, ni durablement ses engagements. Les exemples abondent en effet où, prétextant toujours une circonstance imprévue ou quelque nouvelle condition, il rabote rapidement ses versements. Or, dans le plan Macron, on voit déjà poindre des exigences de bonne gestion des collectivités territoriales qui fourniront sans peine le prétexte nécessaire pour permettre à l’État de se désengager progressivement dans les années qui suivent. Et ce n’est pas aux retraités que l’on apprendra ce qui se passera alors, les collectivités territoriales ayant toujours eu une très fâcheuse tendance à transformer en impôt local les sommes que l’État ne leur verse plus. Par ailleurs, cette exonération parfaitement démagogique venant s’ajouter à celles déjà existantes incitera inévitablement l’immense majorité des locataires à demander toujours plus à leurs élus, puisqu’en définitive ils seront exonérés de toute participation aux charges locales. Or les retraités savent bien que c’est dans leurs propres rangs que se trouveront une bonne partie des contribuables qui, exclus de toute exonération, vont devoir au fil des ans faire face à de fortes augmentations d’impôts pour combler les déficits dus tant au cumul des moins-values à venir sur les concours que l’État va tailler en biseau qu’au coût des exigences croissantes de la démagogie ambiante.
7 – D’autre part, les retraités propriétaires d’un logement ont tout à craindre du flou qui entoure actuellement le sort de la taxe foncière, elle aussi un temps promise à la disparition, avant que la question ne quitte brutalement l’actualité pour être récemment recyclée dans le nouvel ISF. Précisément pour cet ISF, que le candidat avait d’abord début 2016 envisagé de supprimer, mais qu’en définitive il conserverait, tout en le recentrant sur la “rente foncière” (terme exquis avec son discret relent de lutte des classes !), le doute demeure à la fois quant au sort fiscal des actifs mobiliers (dont précisément les assurances-vie) autres que les valeurs d’entreprises exonérées et quant aux taux définitivement retenus et aux barèmes utilisés. En effet si comme annoncé, ces derniers demeureraient prétendument inchangés alors que chuteraient les bases d’imposition cantonnées aux seuls biens fonciers, il y a fort à parier que le produit du nouvel ISF se réduirait rapidement à une peau de chagrin mettant en cause sa subsistance. On le voit, il règne plus qu’un certain flou sur les intentions du candidat. Cela fait pourtant partie des choses qu’un électeur a le droit de savoir avant de se déterminer. Enfin la poursuite ou l’abandon de la réforme actuellement en cours de la généralisation de la retenue à la source ne sont pas davantage évoqués, alors que les retraités actuellement assujettis à l’impôt sur le revenu peuvent légitimement craindre, la Gauche ne s’en est pas cachée, que ladite retenue ne serve de cheval de Troie à un prochain renforcement de la progressivité, via un nouvel impôt unique sur le revenu incorporant la CSG.
En résumé, il demeure beaucoup encore – et disons-le tout net – beaucoup trop de zones d’incertitudes pour un programme qui aurait dû tirer de sa publication tardive un degré supérieur de finition et d’information. Or ce dernier fait encore manifestement défaut. Quant à ce qu’on sait vraiment déjà :
– avec l’augmentation de la CSG sans contrepartie annoncée,
– avec la réorientation d’une part des provisions constituées par les Caisses de retraite vers les risques d’entreprise, sans indiquer les précautions prises pour garantir la sécurité des nouveaux placements,
– avec la sur-taxation prochaine de l’assurance-vie,
– avec l’extension démagogique de l’exonération de la taxe d’habitation,
– et avec enfin la constatation douloureuse de la diminution continue de leur pouvoir d’achat accentuée encore par le long blocage de leurs pensions,
les retraités n’ont nul lieu d’être satisfaits de mesures qui manifestement les rangent d’ores et déjà parmi les principaux perdants du programme du candidat.
> Cet article a été initialement publié sur le site de l’IREF.
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