Le sujet ne saurait être réduit à une simple question d’intérêt financier, d’autant que le statut des patrons est loin d’être le même dans toutes les organisations.
L’épisode médiatique autour de la retraite chapeau de Philippe Varin n’aura fait que le confirmer : la rémunération des chefs d’entreprises fait l’objet de beaucoup d’attention et reste un sujet particulièrement polémique en France. La figure du patron exploiteur éveille encore beaucoup d’animosité de l’opinion publique à l’égard de la classe dirigeante du monde entrepreneurial.
Il est vrai que certains de ses représentants n’ont apparemment cure du qu’en-dira-t’on et se soucient peu de savoir si ce qui arrive sur leur compte en banque a été mérité. Mais il ne faut pas s’y tromper : le culte du parachute doré n’atteint pas toutes les entreprises. Et plus généralement, tous les patrons ne sont pas logés à la même enseigne, loin de là.
La rémunération du patron, une donnée symbolique
En France, les patrons du CAC 40 sont, de loin, les mieux payés. En novembre 2013, le cabinet Proxinvest fournissait les dernières données en date à ce sujet. Le journaliste Jack Dion les présente dans un article signé chez Marianne : « leur rémunération moyenne a effectivement baissé » pour atteindre le niveau de « 3,96 millions d’euros par an, soit 330 000 euros par mois ou encore 275 SMIC ». De tels écarts entre les salaires de base et les niveaux de rémunération les plus élevés soulèvent diverses questions. Ces chiffres posent notamment celle de la légitimité de la rémunération des chefs d’entreprises.
Mais là encore, on aurait tort de résumer la pratique générale à l’aune de ces quelques cas particuliers. En février 2013, BFM Business rapportait le chiffre de 5 433 euros par mois comme salaire moyen pour les patrons de PME. Rappelons ici que les entreprises de 20 à 249 salariés comptaient pour 99,9% des entreprises françaises et 52% de l’emploi salarié en France d’après les chiffres du ministère de l’Économie. Dans la plupart des entreprises françaises, l’écart entre les salaires se déroule donc sur une échelle plus raisonnable allant de 1 à 4,5 SMIC ; un SMIC étant entendu à 1 200 euros. Dans ces conditions, il convient de garder à l’esprit que le sujet de la « rémunération des patrons » recoupe des réalités très diverses.
À l’évidence, la plupart des patrons de France n’ont pas les moyens de figurer dans le classement des 500 plus grandes fortunes françaises édité par Challenges. Ils n’en ont d’ailleurs en toute vraisemblance qu’une envie modérée, car une échelle salariale qui fait le grand-écart est souvent pour eux synonyme de remises en cause de leur légitimité. Or dans les petites entreprises, cela est vite source de problème. C’est effet ce qu’explique Frédéric Palimino, dans son ouvrage comment faut-il payer les patrons ? « Si les salariés ont le sentiment d’être moins bien traités que leurs dirigeants, cela aura une influence sur leur motivation et pourra les inciter à changer d’entreprise », explique ce chercheur du CEPREMAP. Le salaire du patron est donc une donnée hautement symbolique qui influence directement l’engagement des salariés à l’égard de leur employeur.
Rémunération et engagements : les notions clés
Les conditions d’attribution des rémunérations changent considérablement selon la taille d’une entreprise, mais également selon son type. L’émergence de l’économie sociale et solidaire (ESS) a par exemple été portée par la considération particulière accordée à l’engagement des salariés et à leur attachement à des projets d’utilité sociale avérée. Les entreprises qui s’inscrivent dans le courant de l’ESS, telles que les mutuelles par exemple, présentent ainsi bien souvent des modalités différentes de rémunération des dirigeants. La mutuelle SMI ne rémunère par exemple pas ses administrateurs. Dans la droite lignée du modèle mutualiste, son président exerce ainsi ses fonctions en qualité de bénévole. « Seuls les opérationnels de SMI Mutuelle sont rémunérés et ont un statut de salarié », explique son directeur général, Bertrand Da Ros. Selon lui, en effet, « la mutualité considère ses métiers comme un projet d’utilité sociale. Le bénévolat des administrateurs élus et choisis parmi nos adhérents pour occuper une fonction de représentation participe de cette logique ».
Mais les représentants du courant mutualiste ne sont pas les seules organisations à observer semblables politiques de rémunération. Du côté des associations, le bénévolat des dirigeants est également une pratique de référence. Les entreprises associatives qui souhaitent rémunérer leurs dirigeants peuvent les salarier, dans la limite des dispositions très précises prévues par la loi. Un dirigeant associatif ne peut donc pas être payé sur la base d’un partage des bénéfices, ou d’une distribution d’actifs. Cela serait en effet considéré comme « des rémunérations excessives ou ne correspondant pas à un travail effectif » ainsi que l’explique Benevolat.org. Les salaires des dirigeants d’entreprises associatives ne peuvent par ailleurs pas excéder les ¾ du SMIC mensuel brut pour les plus petites organisations. Les associations de plus grandes tailles peuvent rémunérer jusqu’à trois dirigeants « dans la limite de trois fois le montant du plafond de la sécurité sociale », et, surtout, sous condition de ressources.
Le cas des entreprises coopératives, autres figures de l’ESS, est encore différent. Pour sa part, un dirigeant de coopérative gagne en moyenne 2 057 euros nets par mois. « Chez nous, le sujet est un peu tabou. Alors même que nos dirigeants sont moins biens payés que ceux du privé », explique Philippe Mangin, président de Coop de France, qui pèse sans langue de bois le pour et le contre des échelles très resserrées de rémunération dans le milieu coopératif au regard des responsabilités assumées par ses cadres. Pour rééquilibrer la donne tout en préservant les conditions d’une gestion démocratique, Philippe Mangin préconise donc « la mise en place de comités de rémunération composés d’élus ». Une mesure qui, selon lui, « rassurerait tout le monde ».
Ainsi les entreprises de l’ESS innovent-elles par les pratiques de rémunération de leurs cadres tout en maîtrisant les montants. Leur priorité étant d’assurer que les modalités de gratification des patrons ne soient jamais en conflit avec les objectifs premiers de l’entreprise entendue comme un projet collectif. Ce seul exemple illustre à quel point le sujet du « salaire des patrons » ne se résume pas aux dérives. En outre, au regard de la grande disparité qui régit les niveaux et modalités de gratification des chefs d’entreprise en France, cette rémunération apparaît, dans la plupart des cas, comme largement déterminée par la culture d’entreprise.
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