Un nouveau soubresaut agite le Camp du Bien : il semblerait que certains de ses membres éminents n’aient pas été toujours aussi irréprochables que leur appartenance à ce Camp le leur imposait. Stupéfaction : le Camp du Bien abriterait des ordures !
C’est l’histoire d’un groupe de journalistes et de personnes bien introduites sur les réseaux sociaux qui, entre 2009 et 2012, se réunissent pour échanger blagues, photomontages et potacheries politiquement incorrectes puis progressivement de plus en plus ordurières sur des cibles issues de minorités diverses. Comme le relate un récent article de Libération, la Ligue Du LOL, du nom d’un groupe Facebook dans lequel se retrouvaient une trentaine d’utilisateurs populaires de Twitter à l’époque dont plusieurs journalistes parisiens, aurait été le théâtre de campagnes de cyberharcèlement.
À mesure que les témoignages des victimes des agissements de ce groupe se sont fait connaître, l’affaire a rapidement pris de l’ampleur au point de susciter la mise-à-pied de plusieurs des protagonistes dans différentes rédactions. On se pincera en découvrant qu’il s’agissait de journalistes chez Libération, Télérama, Les Inrocks ou encore Slate ou Vice, ces journaux qui ont pourtant toujours porté haut et clair leurs belles valeurs d’humanisme, de respect et de distribution de bisous moralinés via sprinkler sous haute pression de progressisme pulsé.
Les articles se suivent et se ressemblent tous : contrition, petites mains tordues et mots d’excuses foireux, on sent que certains n’en mènent pas trop large alors que, pris les doigts dans le pot de confiture, ils font mine de comprendre enfin ce que « harcèlement » veut dire.
C’est un bien beau déballage auquel on assiste là : une belle brochette de journalistes qui s’estimaient gardiens du Bon Goût et de l’Esprit passaient donc leur temps à se moquer, harceler, tourmenter et persécuter ceux qui avaient la mauvaise fortune de ne pas tomber dans leurs canons, à l’image d’un dîner de con où Vincent Glad aurait tenu le rôle de Brochant.
Comme à chaque fois où le Camp du Bien se prend les pieds dans le tapis et en profite pour faire un vol plané en s’écrasant bruyamment, tête la première, sur les tapisserie de l’actualité, ne boudons pas notre plaisir : cette affaire de la Ligue du LOL nous offre une nouvelle fois l’illustration vivante d’une énième cahuzaquerie, cette intéressante figure de style où l’arroseur de moraline se retrouve lui-même arrosé avec toute la force qui sied au comique de situation.
Ce petit instant comique passé, on ne pourra s’affranchir de noter que cette crise n’est pas perdue pour tout le monde. Le Camp du Bien ne perd jamais l’occasion de mettre à profit les déboires de ses militants : à peine la nouvelle d’un harcèlement d’ampleur connue, les politiciens sont sortis du bois, frémissant à l’idée de pousser leur agenda devant ce qui se transforme en véritable boulevard pour eux.
Ici, ce règlement de comptes entre progressistes semble le moment rêvé pour réclamer une nouvelle couche de lois liberticides visant – exemple complètement au hasard – à mettre fin à l’anonymat d’internet : les rédactions bruissaient encore des découvertes du week-end que, déjà, la politicaillerie s’emparait du sujet.
Peu importe que nos Ligueurs n’aient jamais été anonymes ; peu importe que leurs identités réelles sont connues et même affichées sur Twitter ; peu importe que le souci ne se situe absolument pas sur le côté anonyme (qui n’existait donc pas) des harcèlements subis. Puisqu’on a une affaire de harcèlement, que la presse s’en est emparée et que le buzz médiatique est lancé, vite, profitons-en, ce n’est absolument pas putassier, cela ne se verra pas et le racolage gluant effectué passera comme une lettre à la poste !
On sait en tout cas que les meilleures équipes sont sur le terrain, et travailleront d’arrache-pied pour un internet d’amour et de bisous. Forcément, cela va fort bien se passer et on sait déjà que l’Internet à la sauce française va jouer sur de la soie dans une bonne odeur de vaseline.
De façon générale, on assiste maintenant à une inquiétante mise en abyme du phénomène puisque les journalistes qui ont participé avec délectation à ces agissements il y a quelques années se retrouvent à présent au milieu des feux de l’actualité : leur nom et agissements sont maintenant connus de tous, leurs carrières viennent de prendre des virages particulièrement serrés…
Magie des réseaux sociaux et du comportement de meute de la classe jacassante : plus aucune rédaction ne semble prête à accueillir nos imaginatifs scribouillards. Il y a maintenant fort à parier que leurs boîtes mails et leurs fils twitter se retrouvent rapidement remplis d’insultes et de ce mépris violent qu’ils déversaient jadis sur les cibles de leur choix. Autrement dit, les harceleurs vont très vraisemblablement subir une bonne dose de harcèlement, le Camp du Bien n’ayant jamais été à un paradoxe près.
On ne pourra pas non plus s’affranchir de noter que cette affaire survient dans un pays où le dialogue n’a jamais été aussi délétère : la liberté d’expression n’a jamais été aussi encadrée, corsetée et pour tout dire tabassée tant par les lois qui s’amoncellent toujours dans le sens de sa restriction, que par le contrôle social qui interdit maintenant toute expression d’opinion pouvant froisser l’un ou l’autre flocon sensible qui s’épanchera en hurlements dès que son safe-space aura été frôlé.
Tout ceci reste l’écume des jours mais cette écume est fumante, et elle en dit long sur l’état de la société française dans laquelle la classe jacassante passe un temps considérable à se triturer le nombril dans une boucle auto-alimentée qui sent bon la déconnexion complète au réel.
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