Sur le plan sociétal, les tendances américaines sont souvent une bonne illustration de ce que l’Europe va subir quelques décennies plus tard. Les dernières ont placé les États-Unis sous le sceau de la montée en puissance des thématiques communautaristes (féminisme, multiculturalisme, etc.), qui ont amplement pris pied dans les débats occidentaux au point de souvent les encombrer voire de les paralyser. Cependant, les choses évoluent…
L’arrivée d’un Trump à la Maison-Blanche est probablement le signe le plus saillant de cette évolution où la parole avait été de plus en plus corsetée par des ligues de vertu autoproclamées ainsi que des réseaux sociaux à l’agressivité croissante pour les déviants et ceux qui ne pensent pas « comme il faut », et qui se libère progressivement.
Il y a quelques jours (le lundi 6 janvier), c’est le discours de Ricky Gervais pour l’ouverture des Golden Globes Award qui a justement agité les médias pour son ton résolument décalé avec ce qu’Hollywood produit habituellement. Dans une courte succession de vannes et de piques à l’encontre des stars du moment présentes à la cérémonie retransmise en direct, l’hôte s’est véritablement déchaîné en rappelant quelques vérités :
Here's @RickyGervais' full opening speech at the #GoldenGlobes
Absolutely savage. pic.twitter.com/xxk3LgQou3
— Caleb Hull (@CalebJHull) 6 janvier 2020
(Une version sous-titrée en français est visible ici)
De façon étonnante, ce qui est le plus drôle dans les saillies de l’humoriste britannique repose essentiellement sur une évidence : même si c’est présenté de façon amusante, il devrait être en effet évident que non, les célébrités du show-business n’ont en réalité aucune espèce de préséance morale vis-à-vis du reste de la population ; leur célébrité ne devrait pas donner à leurs opinions davantage de valeur que l’opinion de n’importe quelle autre personne. Leur exposition médiatique devrait même, au contraire, leur imposer une certaine humilité et une saine prise de distance avec tout positionnement politique tranché.
D’autant plus que, comme le remarque Gervais et d’autres avant lui, ces mêmes célébrités sont souvent assez mal placées pour donner des leçons de bienséance, de bonne tenue ou de moralité : entre les distributeurs de moraline dont l’instruction (y compris scientifique) ne surpasse pas toujours celle de Greta Thumberg qu’elles prennent souvent comme référence, et leurs accointances pas toujours reluisantes (Gervais cite l’exemple d’Epstein, mais l’ouverture du procès Weinstein en est un autre), tout ceci montre que ces célébrités ont une forte propension à dégoiser des âneries quand elles ne déploient pas une souplesse quasi-olympique pour s’accommoder d’us et coutumes carrément criminelles.
Avec ce discours corrosif, Gervais sert ici de canari dans la mine puisqu’il montre, en creux, à quel point le politiquement correct, l’autocensure et la moraline ont envahi tous les discours et toutes les têtes célèbres. Qu’il faille un humoriste britannique, qui plus est dans sa dernière prestation, pour rappeler quelques évidences bien senties sans immédiatement déclencher des huées haineuses un peu partout montre à la fois le talent de l’hôte et l’incroyable perte de repères et de liberté d’expression que les ligues de vertu ont réussi à instaurer dans tout le paysage médiatique.
Et toujours par contraposée, ce qui se passe aux États-Unis met en lumière ce qui se passe, ou plutôt ce qui ne se passe pas encore en France, ou encore bien trop rarement : là où, d’un côté de l’Atlantique, on peut encore entendre un son de cloche différent, où la liberté d’expression est constitutionnellement garantie par le premier amendement, le continent européen en général et la France en particulier semblent s’enfoncer avec un délice éhonté dans l’auto-censure puis la censure assumée voire le politiquement correct le plus compact imposé par une clique médiatique et politique de plus en plus violente.
En plus des dérives de plus en plus nombreuses et de plus en plus évidentes dans le pays — la dernière en date du fait d’Anne Hidalgo qui réclame, pour des motifs parfaitement idéologiques et en toute décontraction, la suppression d’une campagne publicitaire pourtant parfaitement légale mas pas à son goût, et se fait heureusement débouter en justice — il suffit de voir ce qui agite régulièrement la sphère médiatique française pour se convaincre qu’il y a bien un problème de liberté d’expression au pays des Lumières.
Il y sévit ainsi, très régulièrement, des groupes de pression qui ont tôt fait de faire taire ceux qui ont l’impudence de sortir des clous de la bien-pensance : depuis ces collectifs prétendûment citoyens dont le but affiché (combattre la haine sur les réseaux sociaux) se traduit par des déchaînement trop souvent haineux vis-à-vis de ceux qui osent ne pas penser comme eux, jusqu’aux habitués de la poursuite en justice grâce aux lois mémorielles et crimes « d’incitation à la haine » dont les définitions et contours sont chaque jour plus flous, l’actualité se remplit quotidiennement d’atteintes toujours plus fortes à la liberté d’expression.
L’atteinte est maintenant si forte, si grossière, si visible et si insupportable qu’on commence à entendre des voix dissidentes : Frédéric Beigbeder semble en avoir fait un livre grinçant qui irritera sans doute les petits adjudants de la pensée formatée comme Demorand, et même un Riss de Charlie Hebdo, pourtant à peu près inattaquable par le Camp du Bien, se plaint ouvertement de ces nouvelles formes de censure débridées…
C’est probablement à cause de cette étouffante chape de moraline que certains rares humoristes ont, en France, choisi d’éviter autant que possible d’entrer dans le moule du politiquement correct (on peut citer Blanche Gardin, dans une certaine mesure ou Walter). Mais en pratique et comme le souligne justement Walter, l’écrasante majorité des humoristes est résolument pour le politiquement correct, pour les combats menés par les Social Justice Warriors et pour qu’on musèle, au moins par la pression des réseaux sociaux si ce n’est par la loi, les voix dissidentes, les opinions décalées et notamment ceux qui ont des positions nuancées et – ô affront – pas dans le sens général.
Ces humoristes (qu’on retrouve un peu partout dans les médias subventionnés ou, pire, publics) n’ont rien d’esprits libres et se retrouvent plus souvent qu’à leur tour à répandre la « bonne parole officielle » en se moquant des déviants de façon souvent cruelle et avec un talent fréquemment microscopique.
Il ne faut pas se leurrer : l’aspect rafraîchissant des humoristes comme Ricky Gervais outre-Atlantique, ou Walter et quelques autres de ce côté-ci de l’océan provient bel et bien de cette lutte qu’ils mènent contre ce politiquement correct étouffant, ces groupes militants nécrosant et cette caste jacassante asphyxiante.
Dans ce tableau, il est loin en France le temps où les humoristes fournissaient l’arme du rire subversif contre les puissants… Souhaitons que la tendance américaine qu’on observe actuellement prenne pied dans notre pays.
Il est plus que temps.
> H16 anime le blog Hashtable.
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