Tribune libre de Christian Vanneste*
« Hénaurme! » aurait écrit Flaubert. La « manif pour tous » a connu un succès dépassant les espérances les plus optimistes. Arrivé très tôt à Paris avec mes amis du RPF, j’ai dès le matin senti le frisson qui commençait à parcourir Paris, les familles au complet dans le métro, les provinciaux demandant leur chemin aux nombreux policiers présents sur le terrain, ce monsieur sortant du métro avec sa pancarte deux heures avant le début du mouvement… Il allait se passer quelque chose ! N’en déplaise au microcosme médiatico-mondain et parisien, la France profonde s’était levée de bonne heure et a remporté une triple victoire.
D’abord, celle de la mobilisation. J’avais prévu de rejoindre la place Denfert-Rochereau à 13h, heure prévue pour le départ. J’escomptais un retard dû à la mise en place. En fait le défilé s’est ébranlé avec une demi-heure d’avance, tant le lieu du rassemblement débordait. J’ai donc rencontré le cortège à mi-chemin et vu en bonne place les juristes en robe pour la défense du Code civil : un groupe en rouge et noir alliant la flamme de la résistance à la défense déterminée du droit. Arrivé au pied de la Tour Eiffel, j’ai assisté à la manifestation, non loin des élus UMP venus se mettre au premier rang. Je suis heureux qu’il m’aient rejoint dans ce combat mais nullement assuré que ce ralliement soit bien sincère. Sur l’écran géant, à gauche de la tribune pour les spectateurs, on pouvait voir la foule, hérissée de drapeaux roses et bleus, couvrir la totalité de l’esplanade jusqu’à l’École militaire. Les spécialistes indiquent que cette présence correspond à 500 000 personnes. À tout moment, on apprenait que des gens réunis sur les trois emplacements de départ n’avaient pas encore pu se mettre en marche. Vers 18 heures, je quittais le Champ-de-Mars. Le défilé des nouveaux arrivants se poursuivait toujours. Le temps de prendre un pot dans un café de l’avenue de Suffren puis de remonter celle-ci jusqu’à la rue de Sèvres, afin de rejoindre, rue de Rennes, le directeur de Famille et Liberté au siège de l’association, la foule marchait encore et remplissait le Boulevard Pasteur à perte de vue scandant de vigoureux : « Hollande ! Ta loi ! On n’en veut pas ! » Les chiffres donnés une heure auparavant par les organisateurs de 800 000 manifestants sont donc un minimum. Selon des informations officieuses de la Gendarmerie, on dépasserait largement le million.
“Le passage en force, après un débat bâclé au Parlement et sans donner la parole au peuple, serait l’aveu d’un pouvoir sectaire, idéologique et fermé à la démocratie.”
Deuxième réussite : celle de l’ambiance. Certains croyaient que ce rassemblement respirerait la France « rancie » comme ils disent. Pas de chance, tout au contraire, le ton des interventions, le style des organisateurs lors de leur prises de parole, la présence et les messages des militants de gauche, socialistes notamment, des personnes homosexuelles opposées au « mariage homo » ont déjoué le pronostic. L’esprit était généreux, positif, « bon enfant » et sérieux à la fois, mêlant à quelques animations souriantes des arguments solides et de bon sens sur l’avenir de la famille, inséparable de celui de la Nation, sur le droit des enfants de bénéficier de la présence d’un père et d’une mère, sur la réalité objective de la vie humaine qui exige la réunion d’un homme et d’une femme. La lettre au Président de la République était respectueuse, sobre, équilibrée : avant tout, une demande d’écoute, une proposition d’États Généraux sur un sujet aussi sensible, comme la majorité précédente l’avait fait sur la bioéthique, et bien sûr un appel au référendum. Il faut vraiment féliciter Frigide Barjot et Tugdual Derville d’avoir réussi le tour de force de donner à cette protestation massive et indignée une coloration éminemment sympathique.
Enfin, ce fut un gigantesque pied de nez au mépris arrogant du pouvoir socialiste : une suffisance campée sur de terribles insuffisances. C’est Marisol Touraine, disant que la manifestation ne répondrait pas à l’attente des organisateurs. Non, effectivement, elle a totalement dépassé cette attente. C’est Christiane Taubira, prétendant qu’un référendum serait inconstitutionnel. Pas de chance, la distinction entre « social » et sociétal était déjà bien artificielle et la réforme de 2008 autorise à l’évidence le recours à la consultation populaire dès lors que l’on réunit 4,5 millions de signatures. Je trouvais la barre trop haute. L’ampleur du mouvement d’hier permettrait au Président de mettre en œuvre cette réforme constitutionnelle et de se refaire une santé populaire. Le passage en force, après un débat bâclé au Parlement et sans donner la parole au peuple, serait l’aveu d’un pouvoir sectaire, idéologique et fermé à la démocratie. Déjà, des voix se font entendre qui trahissent l’intransigeance habituelle des coupeurs de tête : le texte sera quand même présenté, « les chiens aboient, la caravane passent ». « C’est la France blanche et catholique », a risqué un autre hollandolâtre. D’abord, ce n’est pas vrai, comme en témoignait le Français d’origine tunisienne qui était derrière moi, et ensuite cela signifierait que le socle de la nation française serait désormais privé de légitimité. On comprend mieux l’autre projet scandaleux, celui du vote des étrangers. Mais cette journée joyeuse ne pouvait pas se terminer sans un éclat de rire, celui que provoque involontairement la Préfecture de Police en minimisant les chiffres pour donner du crédit à l’euphémisme élyséen : « consistant ». Oui, comme on le dit d’un repas difficile à digérer et dont on craint l’addition. Pourtant, les consignes étaient données au service prétendument public de l’information. France 2 fait passer la « Manif pour tous » après le Mali et l’anniversaire de la catastrophe du Concordia, ce matin. On peut d’ailleurs s’interroger sur la chronologie des évènements. Pas ceux du Mali, certes, mais ceux de Somalie. Pourquoi avoir choisi cette date, alors que l’otage est détenu depuis trois ans ? Pourquoi avoir lancé une opération mal préparée avec une sous-évaluation reconnue de l’adversaire ? Pourquoi avoir en raison de cette précipitation permis la mort de trois Français, qui plus est, voués au service de la France. Si j’étais encore parlementaire, je poserais la question au gouvernement pour tenter de vérifier qu’à l’incompétence ne se joignent pas le cynisme et l’ignominie. Un commission d’enquête parlementaire serait nécessaire pour éclaircir ce point, cette ombre tellement éloignée de la lumineuse manifestation d’hier.
*Christian Vanneste est un ancien député UMP du Nord.
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