La politique, ce sont les idées, les valeurs ou même les convictions. Ce serait les oppositions sur des questions de fond. Une telle vue n’est pas fausse, mais peut laisser dubitatifs tous ceux qui connaissent le fonctionnement de ce milieu. Si un système doit être jugé, c’est aussi à partir de ses cadres et de son personnel. Certes, ce n’est pas tout : on pourra toujours rétorquer que le microcosme suit parfois sa base, avec ou sans adhésion, et qu’il semble redécouvrir les aspirations de la France d’en bas. Une qualité ? En un sens, oui. Mais également un problème. On peut s’adapter non par intelligence du bien commun, mais tout simplement par opportunisme et versatilité. L’attitude de certains élus sur la défense de la famille, observée dans le récent débat sur le mariage dit pour tous, révèle une incohérence qui ne traduit rien d’autre qu’un manque de fond.
Des cadres de droite différents que leurs homologues de gauche ?
Expliquons-nous. On sait qu’une société déteint fatalement sur ceux qui la composent, à moins que ceux-ci aient fait le choix de résister au « Gros animal » de Platon. Combien d’hommes politiques baignent dans l’air du temps, quitte à le considérer comme naturel ? Combien d’élus, apparemment affranchis de Mai 68, sont, au plus intimes d’eux-mêmes, imprégnés de sa logique déstructurante ? Combien de jeunes dits de droite incarnent la dissociété, l’atomisation des repères et la vulgarité sans rien envier à la gauche ? Le plus instructif serait de comparer le quotidien d’un jeune de droite à celui d’une jeune de gauche. On ne serait nullement déçu du voyage ! Mêmes loisirs (jeux vidéos, etc.) ; même temps passé devant la télé; mêmes fringues ; même goût pour la « déconnade » immature ; même admiration pour les causes humanitaro-mondaines : antiracisme, SIDA ou… écologie planétaire. (On pourrait aussi citer l’exemple récent de la Mandelamania de ces derniers jours). Le hic est que ces jeunes deviendront grands (plus tardivement, vu les dégâts de la Génération Y), prendront des décisions et influenceront leurs contemporains.
Des exemples édifiants pris sur le tas
Il y a quelques jours, je lisais le bulletin d’une élue locale d’un département supposé être bastion de la droite. En tournant les pages de la publication, on y remarque une photo du pape François. Un pied de nez au laïcisme ? Si on aime bien séduire les cathos qui, comme tous les citoyens, sont des électeurs potentiels, on se plaît aussi à rappeler que le pape n’a nullement appelé à abroger la loi instituant le mariage homosexuel. Certes, le pape n’a pas nommément visé la loi « Taubira », mais, il n’empêche – quoi que l’on pense des orientations du présent pontificat – que l’appel est clair : si une loi ne convient pas, la solution de l’abrogation est envisageable. Au fond, l’élue en question joue sur deux tableaux : celui des électeurs catholiques, dont on présume que la pratique religieuse donne encore des barrières (parfois relatives) face aux initiatives déstructurantes, et celui de l’opinion bien-pensante qui s’offusque de tout rappel à l’ordre pour se lover dans un conformisme jouissif et anomique.
Analyse sommaire
Ce que l’on peut reprocher à Mme X, ce n’est pas son refus de s’appuyer exclusivement sur un électorat. L’électoralisme, même catholique, présente des limites (analyser l’apport des catholiques en politique sous l’angle d’un appoint électoral serait forcément réducteur). Ce que l’on reproche justement à cette élue, c’est de n’avoir pas de véritables convictions sur le sujet, plus exactement, un système d’analyse qui aurait pu donner une attitude cohérente, fût-elle solide. Les logiques de marketing l’ont emporté : une photo avec le pape, c’est vendeur. Une image vaut mille discours, si l’on paraphrasait. Aujourd’hui, cela tend à ne révéler aucun discours. Mais, pour reprendre ce que disaient des sociologues des années 80, qui ironisaient sur ces jeunes qui accueillaient le pape sans adhérer au message pontifical : on aime le chanteur, pas la chanson. Dans le cas du bulletin de l’élue, on cajole le chanteur pour préciser immédiatement que l’on se méfie de sa chanson…
Un exemple plus solennel : l’attitude cynique de Jean-François Copé sur le mariage homosexuel
Autre exemple : la pitoyable participation d’un tribun au verbe apparemment sonore à la dernière Manif pour tous du 26 mai 2013 qui, le soir, va placidement affirmer que la loi Taubira ne pouvait plus être abrogée au motif que « constitutionnellement, cela n’a pas de sens » (le mot « sens », on l’entendait plutôt dans la bouche de François Hollande). Pour ne pas le nommer, Jean-François Copé ne promeut pas sa « révolution civique », mais une révolution cynique où la valse des prises de position traduit un vide abyssal. Ce n’est plus de droite décomplexée , mais le cynisme décomplexé. Un cynisme qui permet simultanément de défendre deux attitudes. Non que la subtilité du jeu politique écarte toute idée de prudence, de finesse et d’approche circonstanciée. Mais en l’espèce, ces deux attitudes sont pleinement contradictoires parce qu’elles débouchent sur deux solutions différentes, si ce n’est opposées. Mieux : les récents propos tenus dans Des paroles et des actes, le jeudi 10 octobre 2013, confirment cet opportunisme. Interrogé sur la question du mariage entre personnes de même sexe, Jean-François Copé répond paisiblement : « pour le mariage je n’ai, comme d’ailleurs personne parmi les Français, d’objection de fond». Cette fois-ci, ce n’est pas de Civitas que Jean-François Copé s’attire les foudres, mais de la présidente de la Manif pour tous, Ludovine de la Rochère qui y voit « un reniement en bonne et due forme dont je prends acte, tout comme les millions de Français qui (…) ont (…) manifesté contre le principe même de ce ‘mariage’». On ne saurait être aussi clair ! Les propos de Jean-François Copé laissent songeur : le président de l’UMP n’avait pas hésité à envoyer des courriels invitants les militants UMP à participer à la Manif pour tous. Enfin, si les Français ont manifesté à de multiples reprises entre janvier et mai 2013, ce n’est pas seulement contre l’adoption, mais aussi contre la mariage homosexuel, qui constitue la première aberration anthropologique parce qu’elle dénature justement l’altérité homme-femme. Indépendamment de la question de la procréation ou de l’adoption, la question des époux habilités à se marier (peu ou prou, il s’agit de la question de la définition du mariage) est déjà une enjeu substantiel. En soi, ni l’Église, ni le législateur civil ne considère un mariage invalide au motif d’une stérilité des époux.
Les raisons de cette incohérence : une absence totale de fond
Au fond – justement, c’est bien du fond dont il est question… –, on remarquera l’absence totale de cohérence dans ces contradictions. Incohérence qui ne révèle non pas une absence d’adaptation au terrain, mais plutôt un défaut total d’analyse et de conviction. Ces élus ont baigné dans une société où rien ne se vaut, mais où tout a paradoxalement un coût (selon l’expression d’Alain de Benoist) ; une société où l’intelligence reste en péril de mort (Marcel De Corte); une société où la logique de consommation déjoue les fidélités les plus classiques. En dernier ressort, le principe de non-contradiction, à la base de toute saine philosophie, est cruellement absent de ces différentes positions politiciennes. Le principe de non-contradiction, un séminariste d’Écône,de Wigratzbad, voire un étudiant à l’IPC, pourrait vous l’expliquer, mais certainement pas un parlementaire galonné. La politique n’est certainement pas un monde éthéré : elle est le lieu des affrontements, des ambitions humaines et des oppositions de caractères. Il convient donc de se garder de toute vision désincarnée. Mais en rester à cette analyse sommaire serait tout aussi réducteur : les hommes restent influencés par ce qu’ils respirent. Ils pensent aussi en fonction de ce qui les imprègne. Gardons-nous d’oublier que cette crise intellectuelle et morale déteint sur le personnel actuel. Un relèvement de la chose publique ne pourra se faire sans redressement des esprits.
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